Prédication du 13 mars 2022

Vous avez raté le culte du 13 mars dernier ? Retrouvez la prédication de Florian MAZEL ici !

Prédication réalisée d’après la lecture biblique : Luc, chapitre 9, versets 28 à 36.

 

Le récit que nous venons de lire et d’entendre n’est pas de ceux dont les protestants raffolent, en tout cas dans la tradition réformée. Il peut même susciter une certaine gêne : cette apparition miraculeuse de deux figures venues d’outre tombe, Moïse et Elie, la transformation mystérieuse du visage de Jésus, la fluorescence qui affecte ses vêtements, la lumière éclatante qui envahit toute la scène, puis la nuée (c’est-à-dire la brume ou la fumée) qui finit par entourer tous les protagonistes avant qu’une voix ne s’élève, intimidante et impérieuse, pour donner un ordre divin… tout cela fait très grand spectacle. On imagine sans peine ce qu’un réalisateur hollywoodien pourrait faire en termes de scène kitsch. Et le tout est surplombé par ce titre étrange, ésotérique, peu compréhensible, de transfiguration, auquel on pourrait substituer le terme de métamorphose, qui signifie la même chose, mais dans un français plus familier, dérivé non du latin, mais du grec, la langue originelle de l’évangile. Du point de vue des anthropologues ou des historiens, ce genre de récit qui met en scène la divinité se manifestant directement aux hommes, est une théophanie, une révélation de Dieu, un événement transcendant par lequel Dieu décline son son identité, dit qui il est. Au-delà de l’événement, à la fois mystérieux et à jamais inacessible, surmontons nos réticences et mettons-nous à l’écoute du texte, comme la voix de Dieu dit aux diciples d’écouter Jésus, le Christ.

Soyons d’abord attentif à la scène. Elle se déroule sur une montagne, une haute montagne même dit l’évangile de Mathieu. Depuis longtemps celle-ci a été identifiée au mont Thabor ; d’autres traditions évoquent le mont Carmel ou même le mont Liban. Peu importe. L’essentiel est d’être en haut lieu, comme on le dit joliment en français. Car la montagne est le lieu de la rencontre avec Dieu, le lieu où hommes et Dieu se retrouvent, à mi chemin de la terre et du ciel. C’est sur la montagne du Sinaï que Moïse reçut les tables de la Loi, Moïse qui apparaît ici aux côtés de Jésus. Situer l’événement sur une montagne, c’est donc signaler que Jésus, tout en restant homme – il est venu d’en bas, à pied, avec les disciples –, se rapproche de son père et donc de sa divinité. Il est le point de rencontre entre l’humanité et Dieu, entre notre humanité et Dieu.

Mais quel est le sens de cette rencontre ? Qu’est-ce qui s’y joue ?

Pour ma part, j’y décèle quatre paroles, quatre messages.

Le premier message, peut-être le plus évident, découle des protagonistes de la scène. Ils sont six : Jésus, Moïse, Elie, Pierre, Jacques et Jean. On pourrait dire trois prophètes et trois apôtres, trois personnes qui entretiennent un lien direct et personnel avec Dieu, et trois autres pour lesquels tout semble médiatisé par la personne de Jésus, qu’ils ont suivi sur la montagne et auxquels ils s’adressent pour comprendre ce qui se passe une fois sortis de la torpeur de leur sommeil. Le sens de cette association est limpide : elle souligne la continuité qui unit Moïse et Elie aux apôtres à travers la personne et le message de Jésus. Elle vient dire la continuité de l’ancienne alliance avec la nouvelle, et fonder, aux yeux des juifs, la légitimité de Jésus en la faisant reconnaître par les deux figures qu’ils révéraient le plus – c’est sans doute pourquoi les apôtres les reconnaissent immédiatement, miraculeusement d’une certaine manière. Vient-elle poser Jésus en nouveau Moïse ou en nouvel Elie ? Pas vraiment : elle vient plutôt faire de Moïse et d’Elie les témoins de la vérité incarnée par Jésus, les témoins de son identité divine, de sa messianité – « tu es le Christ » dit Pierre – au même titre que les apôtres. Elle vient d’une certaine manière faire de Moïse et Elie des apôtres, au même titre que Pierre, Jean et Jacques. Elle vient élargir aux figures de l’ancienne alliance la conversation que Jésus mène chaque jour avec ses disciples. On peut y voir une belle métaphore de la conversation à laquelle nous sommes invités lorsque nous lisons la Bible et nous faisons par là, nous aussi, disciples de Jésus. Cet élargissement temporel du collège des apôtres a ainsi pour effet d’extraire Jésus et son ministère de son époque, de lui conférer une universalité qui nous interpelle et à laquelle nous sommes bien sûr invités à participer. A nous également, et à toutes celles et tous ceux qui le reconnaissent, de nous considérer comme ses disciples, ses apôtres, les témoins de sa lumière.

Un deuxième message se niche au cœur même du miracle : dans la transformation du visage de Jésus. Par là, Jésus donne à voir ce que les théologiens décrivent comme la double nature du Christ : à la fois homme – ce que révèle son visage et toute sa personne au quotidien – et Dieu – ce que révèle sa métamorphose. Un autre élément du récit va dans le même sens : la proposition de Pierre de dresser trois tentes pour abriter Jésus, Moïse et Elie, que l’on peut interpréter comme une allusion à la tente qui abritait le tabernacle et tenait lieu de sanctuaire aux Hébreux dans le désert, avant la construction du temple de Jérusalem. Jésus est ainsi assimilé au tabernacle, figure de la présence physique de Dieu parmi les hommes dans l’ancienne alliance ; mais figure précaire, éphémère : il s’agit d’une tente non d’une maison, signe de la précarité de notre condition d’homme que Dieu est venu partager. Car là figure le cœur de la bonne nouvelle : Dieu s’est fait homme, Dieu s’est incarné, pour habiter au milieu de nous, pour planter sa tente parmi les hommes, pour partager nos vies et notre faiblesse ; et s’il apparaît en habit de lumière à Pierre, Jacques et Jean, ce n’est que l’espace d’un instant, avant de redevenir l’homme qui partage leurs chemins à travers la Galilée. Cependant, dire que Jésus donne alors à voir sa nature divine n’est pas l’expression juste car en réalité les disciples ne voient rien : d’abord, ils sont éblouis ; ensuite, une nuée, un brouillard, dissimule Jésus à leurs yeux. Cet éblouissement et ce brouillard sont aussi importants que le miracle lui-même, car ils nous disent que nous sommes là dans l’ordre du mystère, de l’incompréhensible, de ce qui dépasse les sens et la perception commune. La reconnaissance de la divinité du Christ est une parole de confiance, comme celle que prononce Pierre ; non la contemplation subjuguée d’une réalité ineffable et, au sens propre, invisible. De nouveau, retenons la leçon pour nous même : sachons rester éblouis, acceptons de rester dans la nuée ou la brume ; et sachons tirer de notre aveuglement, de notre embrumement, de notre incapacité à voir, la confiance qui habite l’apôtre Pierre.

Un troisième message réside dans les paroles de l’échange que Jésus a avec Moïse et Elie. Jésus évoque son départ prochain à Jérusalem, c’est-à-dire sa mort. Remarquons d’abord qu’il l’a déjà fait dans un épisode qui précède de peu notre texte, et directement à l’apôtre Pierre. Mais ici, cette annonce résonne différemment car elle est dite alors que se manifeste dans tout son éclat la toute puissance de Dieu. Il y a là un puissant paradoxe qui dit tout l’amour de Dieu pour les hommes, tout l’amour contenu dans l’incarnation, dans cette vêture de la condition humaine jusque dans la mort ; alors même qu’il manifeste sa divinité par sa métamorphose, Jésus dit son humanité par l’annonce de sa mort. Remarquons ensuite que le texte inscrit de nouveau cette destinée de Jésus dans la postérité directe de l’ancienne alliance. En effet, le terme utilisé par Jésus pour dire son départ est le terme exode. Le départ de Jésus est ainsi comparé à l’exode des Hébreux hors d’Egypte sous la conduite de Moïse. Et il s’agit bien d’une épreuve, assurément. L’épreuve la plus dure, celle de la mort. Mais cette épreuve est donc aussi une promesse de délivrance : celle de la sortie du désert, celle de l’arrivée en terre promise. La mort de Jésus est cette promesse. Promesse de résurrection, promesse de vie. Faite à chacun et chacune d’entre nous.

Un dernier message réside dans ce qui apparemment n’a pas grande importance, ce qui enserre le cœur de texte, son début et sa fin. Jésus est monté sur la montagne avec ses trois disciples pour se retirer à l’écart des foules et prier. Il y a là un enseignement fondamental et précieux : c’est dans la prière, dans l’intimité et le retrait de la prière, que Dieu se manifeste pour ce qu’il est au cœur des disciples, au cœur des hommes. Ce n’est pas en manifestant sa toute-puissance sur les places publiques et devant des foules immenses que Dieu dit qui il est. C’est dans l’appel à l’écoute de sa parole qui se révèle au creux de la prière. Dieu n’est jamais plus Dieu que dans l’intimité, dans la « sainte conversation » que j’entretiens avec lui, dans la familiarité que je partage avec lui, seul ou avec quelques amis – les disciples ne sont que trois. Là réside sans doute l’explication du secret dont Pierre, Jacques et Jean vont entourer la scène qu’ils ont vécu : cette expérience de la rencontre personnelle avec Jésus ne se vit qu’au singulier, dans le secret du cœur de chacun. De nouveau nous sommes confrontés à un paradoxe : le miracle spectaculaire se passe de spectateurs. Mais ce paradoxe nous dit l’essentiel : la transfiguration, c’est le visage que Dieu revêt lorsque, par-delà les nuées, en dépit de la brume qui l’éloigne de moi, je me mets à son écoute dans l’intimité de la prière ; c’est le visage que je découvre à la lumière, éblouissante, de la promesse de la résurrection.

Nous avons commencé notre écoute de la parole intimidés par le grand spectacle, subjugués par le son et lumière de la puissance divine. Nous finissons dans l’intimité d’une révélation qui illumine celui qui partage une prière. D’abord endormis sur la montagne avec Pierre, Jacques et Jean, comme les disciples le seront de nouveau au jardin des oliviers peu avant le grand départ, nous voici éveillés et éclairés, comme les pèlerins d’Emmaüs après le grand départ. Voilà peut-être le sens profond et véritable de la transfiguration : elle nous invite à nous transfigurer nous-mêmes à la lumière de l’espérance.

Amen.

Florian MAZEL

Dimanche 13 mars 2022, Rennes

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