Prédication du 14 mai

Vous avez raté le culte du 14 mai ? Retrouvez la prédication de Charlotte Mijeon.

Actes 8, 1-24

Le grand show ou l’Esprit libre ?

 

 

Actes 8, 1-24

 

Ce jour-là, une grande persécution s’abattit sur l’Eglise qui était à Jérusalem. Tous — excepté les apôtres — se dispersèrent en Judée et en Samarie (…). Là où ils passaient, ceux qui avaient été dispersés annonçaient la Parole, comme une bonne nouvelle.

Philippe, qui était descendu dans la ville de Samarie, y proclama le Christ.

Les foules, d’un commun accord, s’attachaient à ce que disait Philippe, en apprenant et en voyant les signes qu’il produisait. Car des esprits impurs sortaient de beaucoup en poussant de grands cris, et beaucoup de paralytiques et d’infirmes furent guéris. Il y eut une grande joie dans cette ville.

Un nommé Simon, qui se trouvait déjà auparavant dans la ville, y exerçait la magie ; il stupéfiait le peuple de Samarie et se disait quelqu’un de grand. Tous, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, s’attachaient à lui et disaient : Cet homme-là est la puissance de Dieu, celle qui s’appelle la Grande. Ils s’attachaient à lui parce qu’il les avait longtemps stupéfiés par sa magie. Mais quand ils eurent cru Philippe, qui leur annonçait la bonne nouvelle du règne de Dieu et du nom de Jésus-Christ, ils reçurent le baptême, hommes et femmes. Simon lui-même devint croyant et reçut le baptême ; il était assidu auprès de Philippe et voyait avec stupéfaction les signes et les grands miracles qui se produisaient.

Quand les apôtres qui étaient à Jérusalem apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre et Jean. Ceux-ci, une fois descendus chez eux, prièrent pour eux afin qu’ils reçoivent l’Esprit saint. — Car celui-ci n’était encore tombé sur aucun d’eux ; ils avaient seulement reçu le baptême pour le nom du Seigneur Jésus. —  Alors Pierre et Jean posèrent les mains sur eux, et ils reçurent l’Esprit saint.

Lorsque Simon vit que l’Esprit était donné par l’imposition des mains des apôtres, il leur apporta de l’argent et dit : Donnez-moi aussi cette autorité ; que celui à qui j’imposerai les mains reçoive l’Esprit saint. Mais Pierre lui dit : Que ton argent se perde avec toi, puisque tu as pensé acquérir le don de Dieu à prix d’argent ! Il n’y a pour toi ni part ni lot dans cette affaire, car ton cœur n’est pas droit devant Dieu. Reviens donc de ta pensée mauvaise, et prie le Seigneur pour que l’intention de ton cœur te soit pardonnée, si cela est possible ; car je vois que tu es en proie à l’amertume du fiel et aux liens de l’injustice. Simon répondit : Priez vous-mêmes le Seigneur pour moi, afin qu’il ne m’arrive rien de ce que vous avez dit.

Après avoir rendu témoignage et dit la parole du Seigneur, ils retournèrent à Jérusalem, en annonçant la bonne nouvelle dans de nombreux villages des Samaritains.

 

 

Les Actes des Apôtres, dont nous venons de lire un extrait, c’est le roman de la diffusion de la foi. Ce texte nous narre comment, une fois Jésus parti, cette foi se diffuse, entre les embûches et les renversements de situation. Elle est portée par des croyants qui n’ont rien d’extraordinaire mais qui se retrouvent soudain mis en mouvement, dotés d’un courage nouveau pour témoigner du message du Christ. Et ce, grâce à ce Souffle tombé sur eux lors de la Pentecôte, qui vient transformer les cœurs et qui, petit à petit, élit domicile chez un nombre croissant de personnes.

 

Notre texte commence alors qu’à Jérusalem, une première vague de persécution a touché la communauté chrétienne naissante, en particulier ses membres de culture grecque. Beaucoup se sont dispersés pour y échapper. C’est une constante dans le livre des Actes : les difficultés sur le chemin des disciples se transforment en opportunités fécondes pour aller là où ils n’envisageaient pas de mettre les pieds, au-devant de personnes qu’ils n’auraient pas rencontrées sans cela.

C’est ainsi que Philippe se réfugie en Samarie, où il ne peut faire autrement que d’annoncer ce qui le fait vivre, en proclamant ce Jésus ressuscité qui l’a mis en mouvement. Et sa prédication trouve un grand écho : en entendant le message libérateur du Christ, de nombreuses personnes se sentent délivrées de ce qui les handicape au niveau physique et psychique. Tout cela se conclut par une grande joie.

 

Mais le narrateur dézoome ensuite de ce tableau triomphal, et c’est le malaise qui s’installe. Nous découvrons que toutes ces personnes qui ont accueilli la parole avec joie, auparavant, étaient collectivement sous l’emprise d’un « magicien » – à savoir une personne qui pratiquait l’ésotérisme et la divination : ce Simon imbu de lui-même, qui encourageait un culte autour de sa personne. Et que, sans aucun discernement, elles considéraient cette personne comme ayant part au divin. Cela nous interroge sur le rôle des dynamiques de groupe et des phénomènes d’emprise.

 

Il y a peut-être un petit reste de condescendance dans la description des Samaritains. En effet, pour les Juifs, ceux-ci étaient des cousins éloignés, voire des frères ennemis, dont la religion s’était éloignée du judaïsme, se teintant de syncrétisme, d’influences diverses et variées. Si on devait se demander qui sont les Samaritains aujourd’hui, certains répondraient sans doute que ce sont les personnes qui, dans notre société sécularisée, n’ont pas vraiment connu de transmission religieuse ; et qui, dans leur quête spirituelle, peuvent tomber à la merci de gourous versés dans l’ésotérisme ou de coach douteux en développement personnel. Ce ne serait peut-être pas complètement faux, mais terriblement réducteur. Car c’est occulter que, quelle que soit la profondeur de notre enracinement spirituel, nous sommes toutes et tous des Samaritains, des Samaritaines. Consciemment ou non, nous nous retrouvons souvent à aduler des individus qui nous en imposent. Et même si nous ne nous disons pas ouvertement « Ah ça, c’est la puissance de Dieu, la grande ! », combien de fois ne nous retrouvons-nous pas à nous prosterner intérieurement devant ce qui nous en met plein la vue ? En mettant à la place de Dieu ce qui nous semble puissant, ce qui brille ? Pour chacun, chacune d’entre nous, ces mirages peuvent prendre un aspect différent. Mirage de la société de consommation, mirage des discours de force, mirage de la technologie ?

 

Mais revenons à nos Samaritains.

Toujours est-il que ceux-ci, touchés par le message propagé par Philippe, demandent toutes et tous le baptême, sans doute joyeux d’être libéré·es de cette emprise. Et Simon lui-même, croit, est baptisé et ne quitte plus Philippe. Est-il sincèrement touché lui aussi ? Peut-être… mais on l’imagine surtout comme en stage d’observation, cherchant à comprendre les « trucs » de quelqu’un qui lui en impose.

 

Or les apôtres restés à Jérusalem apprennent avec joie la conversion des Samaritains. Alors qu’à Jérusalem le message de Jésus rencontre l’hostilité, savoir que ces anciens frères ennemis se sont tournés vers lui et sont désormais des frères dans la foi, ce n’est pas anodin ! C’est dans un esprit de communion que Pierre et Jean, apôtres historiques et leaders de l’église naissante, viennent à eux. Et ils prient pour que soit donné à ces nouveaux frères et sœurs ce qu’ils ont eux-mêmes reçus : cet Esprit promis par Jésus, ce souffle qui est tombés sur eux et qui, travaillant dans l’intime de leur cœur, les a mis en mouvement alors qu’ils étaient repliés sur eux, leur donnant le courage de témoigner et partager ce qu’ils ont reçu. Ils savent que cette expérience est un cadeau et qu’ils n’en sont pas les propriétaires.

Après avoir prié, ils imposent les mains aux Samaritaines et Samaritains, qui reçoivent à leur tour ce souffle.

C’est alors que Simon propose carrément aux apôtres de leur acheter cette possibilité de transmettre l’Esprit. En faisant cette offre, il révèle que sa conversion n’était pas totalement désintéressée. Il a fait son étude de marché. Avec l’arrivée de Philippe, il a perdu ses clients. Constatant que ses concurrents sont plus forts que lui, en homme d’affaire avisé, il leur propose tout simplement de prendre une franchise chez eux, et d’acheter une licence pour distribuer lui-même l’Esprit Saint !

La réaction de Pierre est orageuse, envoyant au diable Simon et son argent. Une colère à la mesure de la gravité de la situation.

Là où ses concitoyens ont entendu une parole qui relève et libère, Simon a voulu instrumentaliser le spirituel pour conforter sa situation de pouvoir. Là où les apôtres et Philippe sont en mouvement, il veut sécuriser son implantation. Là où ceux-ci parlent d’un Autre, le Christ, et s’effacent devant lui, Simon ramène tout à sa personne. Là où il y avait partage d’un don gratuit, il vient introduire des questions d’argent.

Simon n’a rien inventé : dans certains cultes antiques, il était courant d’acheter une charge de prêtre. Mais sa proposition donnera son nom à un phénomène qui, hélas, a souvent sévi dans l’histoire de l’Église : la simonie, le trafic de biens spirituels. Acheter une investiture comme abbé, marchander pour placer un candidat à un poste ecclésiastique, et bien sûr vendre des indulgences : de telles pratiques étaient courantes au Moyen-Âge, et c’est notamment contre elles que s’est élevée la Réforme. Mais ce serait se voiler la face que de considérer que le protestantisme est immunisé contre les Simon. Elles ne sont malheureusement pas rares, les églises fondées par des personnalités charismatiques, qui promettent santé, bonheur et prospérité aux fidèles, mais pour qui la religion est un moyen de se faire de l’argent. Et qui n’hésitent pas à développer une théologie qui les conforte, présentant leur enrichissement comme une preuve d’élection et poussant leurs fidèles à toujours plus de sacrifices !

 

Surtout, la proposition de Simon montre qu’il n’a rien compris. En observant Philippe, en voyant l’imposition des mains, il a pensé saisir le « truc », réduire la venue de l’Esprit à une procédure qu’on peut maîtriser, un protocole à appliquer. Pour lui, il s’agit d’une force qu’on peut canaliser, s’approprier, sur laquelle on peut avoir une autorité. Il y a certes là quelque chose d’humain, de chercher à comprendre, à rationaliser. Mais c’est oublier que l’Esprit est totalement libre. Si on peut l’accueillir, personne ne peut en être propriétaire et le maîtriser. Pas plus qu’on ne peut mettre l’amour en cage, on ne peut tenir en laisse ce souffle qui vient transformer les cœurs. Comme le rappelle Pierre, c’est un don, un don gratuit qui vient de Dieu.

 

Pour autant, le texte nous dit que Simon « a cru ». Il a cru, certes, mais apparemment en ne s’en tenant qu’aux manifestations spectaculaires, aux signes visibles qui lui en ont imposé. Et il est passé à côté de l’essentiel, de l’intériorité. Jusqu’au bout, il reste dans une logique dominée par la fascination pour la puissance visible. Là où Pierre l’appelle avec véhémence à une transformation intérieure et personnelle, lui demande plutôt aux apôtres, qu’il identifie comme puissants, d’intercéder pour lui.

 

Certes, l’annonce du Christ par Philippe a donné lieu, selon ce texte, à des phénomènes impressionnants – quelle que soit l’explication rationnelle qu’on leur donne. Mais si le Christ – et après lui Philippe – ont opéré des guérisons et aidé des personnes à se libérer de ce qui les tourmentait et les asservissait, ce n’était pas pour épater la galerie. Ce n’était pas pour jouer les super-héros qui font l’étalage de leurs super-pouvoirs, et demandent qu’on s’incline devant eux. Car ces miracles, si on les admet, ne sont que des signes qui montrent que quelque chose se passe ; et qui s’arrête à eux est comme celui qui regarde le doigt de celui qui montre la lune. Jésus n’est pas venu pour faire son show, mais pour annoncer une libération, un relèvement, en particulier pour les plus humbles et les plus méprisés. Pour témoigner d’un amour qui ne s’impose pas. Et il n’a pas cherché à être reconnu grand pour qu’on le nomme roi. Mais, par solidarité avec l’humanité, il a assumé de connaître une fin misérable, vulnérable et abandonné à la vindicte populaire. Et c’est dans sa faiblesse que sa vraie nature et sa vraie grandeur s’est révélée.

Comme le disait Saint Exupéry, l’essentiel est invisible pour les yeux. Dieu n’a pas besoin du spectaculaire, qui peut au contraire être un leurre et un support à emprise, et il se révèle le plus souvent à nous non dans la force, mais dans l’à peine perceptible. Ce texte peut d’ailleurs nous évoquer un épisode bien connu du Livre des Rois, où le prophète Élie, après une démonstration de force – il a rivalisé avec 450 prophètes de Baal et les a tués – prend la fuite au désert, et, épuisé, se réfugie dans une grotte du mont Horeb. Là, Dieu s’adresse à lui et lui demande de se tenir devant lui. Des phénomènes spectaculaires sont alors mentionnés. Une grande tempête se déchaîne – mais Dieu n’est pas dans la tempête. Puis un tremblement de terre – mais Dieu n’est pas dans le tremblement de terre. Puis un incendie – mais Dieu n’est pas dans l’incendie. Et c’est alors que se fait entendre – selon les traductions – un « murmure doux et léger », une « brise légère », un « silence subtil » où Élie reconnaît la présence de Dieu. Une présence qui l’encourage à poursuivre son chemin et à changer de vie.

Saurons-nous, au milieu des mirages de notre monde, accueillir la présence de ce souffle qui transforme les cœurs ? Coup de vent qui renverse nos préjugés ou brise subtile qui travaille en nous de façon imperceptible, le vent souffle où il veut. Nul ne peut le dompter, nul ne peut l’acheter. Tout ce que nous pouvons faire, c’est nous reconnaître pauvres et lui demander de venir renouveler nos cœurs, pour nous faire entrer dans sa liberté.

Amen.

 

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