Chers amis, parmi les lectures qui nous sont proposées pour ce dimanche, il y a ce passage du chapitre 3 de la Genèse, au moment dit de la « Chute », quand, pour la première fois dans le texte biblique, Dieu s’adresse directement à l’Homme, l’être humain, pour lui poser cette question : « Où es-tu ? »
Vous connaissez l’histoire.
Adam et Eve vivaient dans le jardin en Éden, tout nus, sans avoir aucune honte.
Tous deux de bonne compagnie, ils avaient tant de choses à leur disposition : de quoi se nourrir ; je ne parle pas de vêtements : ils n’en avaient pas besoin,
Il y avait aussi, nous dit la Bible, de l’or, des pierres précieuses et même du bdellium. Eh oui, le bdellium est une gomme-résine rare aux vertus médicinales reconnues qui la rend très précieuse.
On peut se demander à quoi cela pouvait servir puisqu’il n’y avait aucun besoin de rien acheter, ni aucune maladie à l’œuvre… Mais c’était là en abondance, sous la main, sans aucun effort à fournir si ce n’est maintenir cet équilibre voulu par Dieu, cette harmonie de l’ensemble du vivant.
L’effort se limitait à veiller à tout cela en plus de cueillir et récolter ce qui venait devant soi.
Tout cela encadré de fleuves nourriciers apportant sûrement une eau pure à ses habitants : on ne parlait pas à l’époque de glyphosate !
C’était le jardin en Éden, le « paradis » dont la pensée aujourd’hui nous invite à la paix, à la quiétude. Pas beaucoup d’efforts, pas de soucis, pas de mal, pas de peur…
Je lis dans vos pensées… Je sens le petit soupir du regret. Vous vous dites sûrement : « Si cela pouvait revenir… Ne serait-ce pour un an, un mois, une semaine, un jour, une heure… »
Oui, chers amis, tout est paix et tranquillité.
Tout est abondance et profusion.
Tout est possible, tout est permis.
Tous les fruits des arbres sont à disposition… Sauf celui qui est dans le coin là-bas… Mais c’est un détail.
L’homme respecte la femme comme son égal… Et vice versa.
La femme n’horripile pas l’homme… Et vice versa.
Tout est beau, tout est bon.
Stop, on arrête de rêver !!
« Où es-tu ? », « Où êtes-vous ? »
Bien calé dans votre rêve ? Ou dans notre monde réel ?
N’êtes-vous pas dans la tentation de le fuir, ce monde bien réel ? Ce monde où nous passons notre temps à nous cacher. Ce monde qui nous effraie et fait trembler de peur.
Ce monde où c’est toujours la faute de l’autre.
Ce monde où le mal rampe partout, la tentation permanente est obsédante.
Ce monde où la confiance laisse toujours la place à la suspicion, au mépris et à la domination.
Ce monde où le seul choix possible est de mordre ou se faire écraser.
Où es-tu ? Où sommes-nous ?
Au risque de vous faire tomber dans la déprime, nous y sommes bien sur cette terre… Maudite. Et les deux pieds dedans… Jusqu’au cou et même au-dessus.
Ces premiers récits de la Genèse ne sont qu’un mythe… Un rêve. Les intégristes et les fondamentalistes ont beau essayer de vendre le paradis comme une carotte à leurs injonctions culpabilisantes de soumissions, le jardin en Éden n’a jamais, jamais existé.
« Où es-tu » demande Dieu à l’homme, à l’être humain.
Comprenez que, si le contexte n’a aucun caractère historique, la question devient universelle. C’est à l’humanité que Dieu pose cette question.
Mais le texte nous dit bien que c’est à un individu qu’elle est adressée.
C’est une question que Dieu pose à chacun de nous : nous ne pouvons pas faire comme l’Adam du récit et nous défausser en accusant l’autre, en faisant reporter la question sur d’autres… Ça, nous savons que nous le faisons très souvent.
A l’intimité de notre humanité se pose cette question : « Où es-tu ? »
La question est lourde de sens. Dieu nous dit : « Où en es-tu ? »
Que devient ta vie ? Quels sont tes problèmes ?
On pourrait comprendre aussi : Comment en es-tu arrivé là ? Peux-tu l’expliquer ?
Avant, c’était une vie ce cocagne ? Sans soucis et sans question ? Tout était donné, en abondance.
Mais ils ont été prendre et manger le fruit d’un des deux seuls arbres qui leur était interdit : celui qui permet de distinguer le bien du mal. Le fruit qui permet de juger.
Où es-tu ? Demande Dieu.
Et la réponse de l’humanité, notre réponse, est toujours la même : Nous nous cachons. Nous avons peur.
Nous nous rendons compte de notre fragilité, et cela nous effraye.
Les onze premiers chapitres de la Genèse, par tous les mythes qu’ils narrent, fait le terrible constat de notre humanité.
L’homme doit faire face à la réalité de son humanité : gorgée de haine et de violence, cette humanité ne semble faire place qu’au mensonge et au mépris. L’homme naît, mais dès que sa conscience prend forme, ce n’est que peur et la mort, toutes les petites morts qui stérilisent l’existence, gagnent sans fin.
L’être humain voudrait juger, c’est à dire rendre juste ce monde.
Mais qu’est-ce que le bien ? Qu’est-ce que le mal ? Nous croyons savoir mais en fait je ne sais rien comme en témoigne l’apôtre Paul lui-même.
Consciemment ou non, mes actes, ma manière d’être m’éloignent à chaque instant de ce rêve. Ils m’éloignent à chaque instant de Dieu… C’est la signification du péché.
Ainsi, nous nous sentons au centre d’un monde qui ressemble de plus en plus au chaos.
La tragédie pourrait se terminer ainsi.
Mais vous connaissez la suite du récit… Enfin, vous croyez la connaître.
Vous pensez que Dieu punit alors qu’il décrit simplement la réalité de notre monde.
Dieu aurait pu laisser tomber cet être humain qui a osé l’initiative de prendre un fruit défendu. Il aurait pu lui tourner le dos, le laisser au centre du jeu, et se dépatouiller tout seul avec l’existence.
Oui, mais vous savez aussi une chose, symbolique, que nous dit le récit de la Genèse : l’homme est né du souffle de Dieu ! Peu de temps après avoir pris conscience de la réalité de l’existence (ce qu’on appelle « la Chute ») l’être humain va donner un nom à sa part féminine. Adam (en hébreux : humanité) va appeler sa moitié Eve, en hébreu : vivante.
Quand on dit : Adam et Eve, on peut entendre aussi « humanité vivante ».
Au cœur de notre monde, au cœur de ce qui nous apparaît souvent comme un chaos, il y a l’être humain. Et au cœur de l’être humain, il y a la vie, le souffle de la vie : il y a Dieu.
Ainsi, Dieu n’est pas le spectateur désolé ou outré (c’est selon) d’un monde à la dérive.
Il est celui qui toujours sera présent.
Il est toujours celui qui se tiendra là. Il est toujours, en fin de compte à la place centrale.
Les malédictions tomberont sur l’être humain… Mais toujours sa main, sa bénédiction sera là.
L’être humain aura peur, s’éloignera, tombera… Mais toujours sa main, sa bénédiction sera là.
Reprenons ce passage de l’évangile de Marc : au milieu de cette foule faite de parents comme d’inconnus, cette foule qui juge, cette foule bien humaine, il y a Jésus, Dieu parmi nous.
Il nous rappelle une chose : « tout sera pardonné aux fils des hommes : péchés, blasphèmes… mais n’écartez jamais Dieu du centre de la vie, de votre vie. N’anéantissez pas l’Esprit qui est en vous, qui est au cœur de votre existence. C’est quelque chose qui vous éloignera pour toujours de la vie, la vie avec un grand « V ».
Car au cœur de notre monde, de notre terrible monde, en son centre comme au centre de chacun de nous, il y a ce Dieu.
Il nous fait voir la lumière quand tout semble ténèbres ;
Il nous donne du goût quand tout semble fade ;
Il est la main qui se tends ;
Le sourire qui réchauffe.
La caresse qui apaise.
Il est la ténacité face à l’obstacle.
Il est le poing qui se serre dans la colère.
Il est le cri face à l’injustice.
Il est… Il est… Les multiples signes de vie qui traversent notre existence.
Où es-tu ? Nous dit-il, Lui qui nous dit aussi, par Jésus Christ : « je suis là ! »
Il est cette musique, l’harmonie du monde.
Il n’attend que nous.
Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, dimanche 9 juin 2024
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