Évangile de Marc , chapitre 6, versets 31 à 44
Quand on s’approche de Jésus, il est rare d’être en pleine forme, plein d’enthousiasme et prêt à se mettre à son service sans discuter.
Cela arrive, mais ce n’est pas le cas habituel…
La plupart du temps nous nous adressons à Jésus, quand, fatigués et inquiets, nous espérons de sa part, un peu d’écoute et de compassion.
C’est le cas de ses disciples ce jour-là qui rentrent de leur première expédition missionnaire.
On peut penser qu’ils sont à la fois excités et en attente de compassion de la part du maître.
Jésus semble abonder dans leur sens, c’est pourquoi il les emmène en bateau pour prendre un peu de distance par rapport à tous ceux qui le sollicitent.
Inutile ! La foule plus rapide qu’eux les a rejoints.
On se reposera plus tard, on mangera à un autre moment, Jésus leur sacrifie sa disponibilité pour se consacrer à plus démunis qu’eux, car l’autre, le prochain, le solliciteur a toujours priorité pour Jésus.
Ainsi en est-il de ceux qui ont choisi de mettre leurs pas dans ceux de Jésus et de répondre à l’appel de Dieu.
Ils sont sans doute fatigués, la mission a été rude mais il leur faut aller de l’avant.
Ils ont sans doute besoin de nourriture matérielle, ils ont besoin de partager leurs difficultés, mais il y a autre chose à faire et Jésus les entraîne dans un nouveau projet.
Eux, ils espéraient de la compassion pour eux et c’est la foule qui y a droit.
Ils s’estimaient privilégiés par rapport à Jésus, mais ce sont les autres qui ont droit à son attention.
Si Jésus s’intéresse à la foule, ce n’est pas pour s’attendrir sur son sort, et ce n’est pas non plus pour les prendre tous en charge individuellement.
Il ne va pas non plus les mobiliser derrière lui pour en faire une armée de partisans qui s’opposeraient pacifiquement aux soldats romains, aux gens du temple et prépareraient une ère nouvelle sur la terre de Palestine.
Le risque serait trop grand, la partie serait loin d’être gagnée, et surtout, ce n’était pas l’ambition de Jésus.
Jésus s’intéresse à eux, parce qu’ils sont comme des brebis sans berger.
Curieusement, Jésus ne se propose pas d’être leur berger.
Au contraire, il va les préparer à retourner chez eux, pour reprendre leur vie comme avant, mais avec quelque chose qu’ils n’avaient pas en venant: l’espérance.
Même si dans un premier temps il semble jouer le rôle de berger, ce ne sera que provisoirement.
Il va les aider à affronter leur destin avec une force nouvelle qui est celle de l’Esprit.
Cet Esprit qu’il leur communique par sa présence et par ses propos.
Ils doivent cesser de se comporter comme un troupeau à l’abandon.
Des brebis sans berger n’ont pas d’avenir, elles vont dans tous les sens, ne savent pas où brouter et sont continuellement en danger d’être volées par les brigands ou mangées par le loup.
Avec ou sans berger, les brebis restent des animaux dépendants.
Le berger leur permet de vivre.
Mais Jésus va leur proposer mieux, même si c’est plus difficile.
Pour répondre à leur détresse, Jésus les enseigne.
Celui qui enseigne n’est pas forcément celui qui prend en charge.
On ne sait d’ailleurs pas ce qu’il leur dit, mais on peut le supposer. Il leur dit que s’ils suivent son enseignement, ils n’auront plus besoin de berger, l’enseignement qu’il leur donne leur suffit pour qu’ils deviennent eux-mêmes leur propre berger.
Jésus les invite à cesser d’être des moutons imbéciles, qui attendent tout de celui qui veut bien les prendre en charge.
Ils n’ont besoin ni de maître ni de gourou.
Jésus leur indique la voie qui donne du sens à leur vie.
En écoutant Jésus, ils sont remplis du désir de vivre. Ils reprennent goût à la vie, même si la vie qu’ils ont menée jusqu’à présent n’est pas très enviable.
C’est aussi le but de l’Evangile pour tous ceux qui l’écoutent, c’est-à-dire nous.
Il leur dit que Dieu vient jusqu’à eux et cela leur donne envie de se mettre debout et d’aller plus loin.
Il provoque en eux le désir de vivre malgré leur détresse, c’est pourquoi il les nourrit miraculeusement.
Ici Jésus leur donne un coup de pouce, pour les lancer sur le chemin d’une autre vie.
Ce coup de pouce prend alors figure de miracle. Le miracle, bien souvent, réside dans le fait que les hommes qui ne peuvent plus avancer se mettent quand même à le faire.
Le miracle ici, comme ailleurs, sert à faire jaillir le désir de vie.
C’est le coup d’envoi pour eux d’une nouvelle existence que Dieu partage avec eux.
Dieu est celui qui provoque le désir et le désir rend inventif.
Nul ne sait de quoi a été fait ce miracle.
Beaucoup de propos ont été tenus et de nombreuses d’explications ont été données à ce sujet.
On a dit que le fait de vouloir nourrir cette grande foule avec quelques pains et quelques poissons a dénoué les consciences et que chacun s’est mis à partager avec les autres le casse-croûte qu’il avait emporté…
Quoi qu’il en soit l’espoir de vivre une nouvelle vie s’est transformé en espérance de vie et chacun a été rassasié autant de pain que d’espérance.
Ils ont découvert qu’avec rien, on pouvait faire beaucoup.
Ils n’avaient pas à attendre passivement qu’on leur donne, mais ils découvraient qu’ils avaient en eux la possibilité d’avancer avec rien en poche
De moutons apeurés sans berger qu’ils sont, il s’est mis à les transformer en humains responsables.
C’est pourquoi Jésus sollicite encore ses disciples.
Même s’ils sont fatigués, il doit encore les mettre à contribution pour provoquer un désir de vivre chez chacun des membres de cette foule.
Il les remet donc au travail, car le miracle, réside aussi dans le fait que les disciples soient capables de se mettre au service des autres malgré leur fatigue.
On a pris l’habitude de considérer que les disciples de Jésus étaient des râleurs qui comprennent toujours trop tard ce que Jésus attend d’eux et qui se font prier pour accomplir les désirs du maître…
Nous leur ressemblons sans doute…
Il n’empêche que malgré leur indisponibilité, c’est quand même par eux que s’accomplit le miracle.
Pourtant Jésus ne leur demande pas de faire un effort au-delà de leurs forces.
S’ils sont épuisés, Jésus leur a quand même laissé un peu de temps pour se reprendre.
Jésus en effet n’est pas un bourreau de travail pour les autres.
Il connaît parfaitement leurs limites et il prend soin de les ménager malgré l’urgence du moment.
Ainsi celui qui nous guide sur les sentiers d’une vie nouvelle connaît parfaitement les gens auxquels il s’adresse, il sait jusqu’où ils peuvent aller.
Mais il sait aussi quel est le but à atteindre et il fait le nécessaire pour qu’il se réalise.
Inutile de lui dire qu’il y a urgence.
Il le sait.
Le soir tombe, la nuit approche.
C’est la nuit de l’angoisse et de l’incertitude.
Nuit de ce jour qui s’achève, nuit aussi dans leur vie intérieure faite d’angoisses et de questionnements.
Il faut que tout soit dit et que tout soit compris avant que les ténèbres ne surprennent tout le monde.
Il faut que chacun reparte, animé d’une puissance de vie nouvelle qui lui permettra de franchir les obstacles que l’obscurité lui réserve.
Si Jésus a mis en eux l’espérance d’une autre vie, il ne leur a cependant pas donné une potion magique qui déjoue tous les obstacles.
Il leur a donné une autre vision des choses qui les remplit d’énergie, mais les difficultés de la vie subsistent
Les chemins de la vie où ils s’engagent les mèneront sans doute vers le Royaume,
mais chacun devra s’y employer, parfois au-delà de ses forces, comme ce fut le cas pour les disciples fatigués, qui ont donné du sens au miracle par le dépassement qu’ils ont accompli sur eux-mêmes.