Prédication
Dans ce court passage de son évangile, Marc nous introduit dans une scène de famille. On est dans la ville de Jésus, Capharnaüm. A la maison, eh oui on oublie parfois que Jésus a eu une maison. Il y a même des enfants. Dans cette sphère très intime, loin des foules, les douze sont invités.
Dans cette famille, comme dans toute famille, dans cette communauté comme dans toute communauté, il y a des silences, des non-dits. Et Jésus, fin psychologue, a repéré, ce silence gêné de ses plus proches. Il a envie de crever l’abcès : « Qu’est ce qui se passe ? Qu’est ce qui ne va pas ? » Je pense que dans nos Églises il y a aussi parfois des choses gardées pour soi, gardées à part qui peuvent conduire à des silences lourds, des malentendus. L’Église est un lieu où la parole doit circuler, non pas bien sûr un bavardage stérile, mais un espace, peut-être le seul espace public où chacun peut être entendu.
Dans cette toute première communauté se posent aussi et déjà des enjeux de pouvoir. La question pour chacun dans un groupe de savoir quelle est sa place est légitime. Au-delà, de savoir comment s’organise une société humaine qui reçoit l’appel du Christ. Mais très vite (inévitablement ?) se posent des comparaisons : qui est le plus grand ? Ce texte a été écrit dans un contexte où, Jésus n’étant plus là, se posait la question du leadership. Qui devait conduire la communauté, qui devait être le plus grand ? La famille de Jésus autour de Jacques, ou des disciples autour des plus dynamiques comme Paul, ou du plus ancien, appelé Pierre ? Dès les origines, la question du pouvoir a déchiré l’Église.
La question est importante. Et faire silence n’arrangerait rien. Alors Jésus prend le temps de se poser, de s’asseoir et de les appeler tous. Il aurait pu engager un débat, il aurait pu aussi trancher, en appelant Pierre et disant : « voilà celui qui est le plus grand ». Et les choses auraient été claires, non sans laisser en suspens des jalousies et des querelles de succession : qui après Pierre ? Non. Jésus, comme souvent, veut saisir son auditoire et déplacer la question.
D’abord une lucidité : « tu veux être le premier ». Car derrière la question : qui est le plus grand ? Il y a « moi » ? Et on lit un renversement des valeurs si spectaculaire dans l’Évangile : « tu veux être le premier ? Sois le dernier ». Tu veux être le maître, sois le dernier des esclaves. Tu veux être le plus grand ? Sois le plus petit. Encore une fois Jésus nous désarçonne.
Mais surtout, il déplace la question de savoir qui est le plus grand vers deux idéaux évangéliques :
Le service. Tout engagement, toute autorité dans la charte du Royaume de Dieu est d’abord service. Il en est ainsi, ou il devrait en être toujours ainsi, dans notre Église. Chaque responsabilité est un ministère individuel ou collectif. Es-tu prêt à servir le Christ et tes sœurs, tes frères ? Voilà la question.
D’autre part, à travers l’exemple de l’enfant, le dernier de cordée, le sans droit à l’époque, il déplace aussi la question vers celle de l’accueil. Avec ce jeu de miroirs réfléchissants. Qui accueille un « petit », accueille Jésus, qui accueille Jésus accueille le plus grand, à savoir celui qui a envoyé Jésus. Nous prêchons l’accueil inconditionnel dans l’Église Protestante Unie. C’est très bien. Mais si nous allions plus loin : si nous allions cet accueil à celui du service et de l’édification d’une communauté ? Amen.
Denis PRIZÉ
Granville, dimanche 25 août 2024