Prédication du dimanche 1er septembre 2024

Premier dimanche de septembre, mais dernier dimanche et dernier jour des vacances scolaires de l'été. C'est Stéphanie MERCIER qui anima le culte. Pour concevoir sa prédication, elle s'est basée sur le chapitre 7 de l’Évangile selon Marc, versets 1 à 23.

Évangile selon Marc, chapitre 7, versets 1 à 23

Les pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent autour de lui. Ils voient quelques-uns de ses disciples manger avec des mains souillées, c’est-à-dire non lavées. Or les pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s’être soigneusement lavé les mains, parce qu’ils sont attachés à la tradition des anciens. Et, quand ils reviennent de la place publique, ils ne mangent qu’après avoir fait les ablutions rituelles. Ils sont encore attachés à beaucoup d’autres observances traditionnelles, comme le bain rituel des coupes, des cruches, des vases de bronze et des sièges. Les pharisiens et les scribes lui demandent : Pourquoi tes disciples mangent-ils avec des mains souillées, au lieu de suivre la tradition des anciens ?

 

Il leur dit : « Ésaïe a bien parlé en prophète sur vous, hypocrites, comme il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est très éloigné de moi ; c’est en vain qu’ils me rendent un culte, eux qui enseignent comme doctrines des commandements humains. »

 

Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous vous attachez à la tradition des humains. Il leur disait : Vous rejetez bel et bien le commandement de Dieu pour établir votre tradition. Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère, et : Celui qui parle en mal de son père ou de sa mère sera mis à mort. Mais vous, vous dites : Si un homme dit à son père ou à sa mère : « Ce que j’aurais pu te donner pour t’assister est korbân, un présent sacré. » Vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou pour sa mère ; vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous avez transmise. Et vous faites bien d’autres choses semblables.

 

Il appela encore la foule et se mit à dire : Écoutez-moi tous et comprenez. Il n’y a rien au dehors de l’être humain qui puisse le souiller en entrant en lui. C’est ce qui sort de l’être humain qui le souille.

 

Lorsqu’il fut rentré à la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogèrent sur cette parabole. Il leur dit : Êtes-vous donc sans intelligence, vous aussi ? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui, du dehors, entre dans l’être humain ne peut le souiller ? Car cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, avant de s’en aller aux latrines. Ainsi il purifiait tous les aliments. Et il disait : C’est ce qui sort de l’être humain qui le souille. Car c’est du dedans, du cœur des gens, que sortent les raisonnements mauvais : inconduites sexuelles, vols, meurtres, adultères, avidités, méchancetés, ruse, débauche, regard mauvais, calomnie, orgueil, déraison. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et souillent l’être humain.

 

Texte extrait de la Nouvelle Bible Segond.

Quand Jésus met les pieds dans le plat…

Il y a ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qui relève de la bonne éducation et ce qui dérange ou qui choque… Il y a les règles de politesse, les règles d’hygiène et puis aussi des règles religieuses dont le fondement, sans doute hygiéniste devient avec le temps un rituel aliénant et idolâtre : se laver les mains avant de manger mais aussi se baigner tout entier quand on s’est mêlé à la foule et qu’on a pris le risque de se mélanger et même « baptiser » dit littéralement le texte, le service de table, les sièges et les vases, coulés dans le même métal que les statues des dieux païens : le bronze, l’airain…

Marc ne se contente pas d’énumérer des pratiques pour sa communauté de lecteurs fraîchement convertis et ignorants des rituels propres au judaïsme de son époque, il s’amuse avec un peu d’ironie à en suggérer les dérives et les aberrations.

Parmi les disciples, il y a ceux qui respectent ces règles et ceux qui, ici, s’en détachent. Tout comme dans les premières communautés chrétiennes au sujet de la nourriture, le groupe des disciples du Christ n’est pas unifié au sujet des ablutions mais Jésus ne s’en offense pas, au contraire. Lorsqu’on reproche à certains de ses disciples de ne pas se laver les mains, Jésus, lui va plus loin : il met les pieds dans le plat…

 

Il met les pieds dans le plat lourdement même car il s’attaque au plus sensible, il s’attaque à la manière dont nous instrumentalisons et détournons la religion pour lui faire servir nos propres intérêts, il s’attaque à la religion lorsque celle-ci ne relie plus aux autres mais isole ; lorsqu’au lieu d’inclure, celle-ci devient un système pour exclure et pour séparer… Lorsqu’à force de vouloir purifier ceux qui la pratiquent, elle sacralise les uns au détriment des autres, lorsqu’elle ne conduit plus à la vie mais à l’autosatisfaction et au moralisme, lorsqu’elle permet de prendre le pouvoir et d’asservir plutôt que d’accueillir et de servir, lorsqu’elle trahit le Dieu dont elle est censée témoigner…

Jésus s’en prend à ce qui, dans la religion trahit Dieu et trahit sa bonne nouvelle… Il oppose Loi et tradition pour montrer les dérives d’un système : celui de rituels de purification qui n’ont d’autres fonctions que de donner bonne conscience et de rassurer ceux qui les pratiquent et celui des offrandes faites au temple qui peuvent avoir comme effet pervers de détourner du respect de la Loi en même temps que des responsabilités familiales : l’assistance à ses parents dans une société où il n’y a pas d’assurance vieillesse. Ce qui est « korbân », en effet, c’est ce qui a été légué au temple, qu’on ne peut plus donner à personne mais dont on peut conserver l’usufruit pour soi-même. Et le premier bénéfice de ce genre de don, bien sûr, c’est une nouvelle fois de se croire plus pur… Quand on est juste centré sur soi-même et qu’on n’assume pas ses vraies responsabilités…

Ainsi reliée à des rituels et à des pratiques, la pureté peut-elle s’entretenir facilement. Si l’on en sort ponctuellement en se mêlant à la foule d’un marché, comme le suggère Marc, ou en faisant la toilette d’un mort par exemple, on peut la réintégrer avec un peu d’eau ou quelques jours de quarantaine…

Pourtant, ce qu’en rupture avec la tradition, Jésus fait entendre à tous, ce qui est suffisamment important pour qu’il rassemble la foule qui d’habitude le presse et semble ici se tenir à distance, c’est que l’impureté n’est pas extérieure à l’humain, elle n’est pas attachée aux autres, elle est en chacun de nous : « Il n’y a rien au dehors de l’être humain qui puisse le souiller en entrant en lui. C’est ce qui sort de l’être humain qui le souille »…

Jésus dresse ainsi le constat de notre ambivalence et de ce qui nous broie le cœur, nous tourmente et nous empêche d’accomplir pleinement notre humanité : envie, injures, orgueil, déraison, mauvaises intentions, ruse, perversité…

La ruse et la perversion ultime étant sans doute d’arriver à nous persuader que le respect des règles religieuses établies avec le moralisme qui leur est associé, pourrait nous dispenser de regarder de plus près en nous-mêmes puisque le mal ou le danger viendraient nécessairement des autres, de ceux dont on dit qu’ils « ne sont pas comme nous ». La ruse et la perversion ultime est sans doute d’en arriver à penser que le respect de ces règles que Jésus associe à la tradition et non à la Loi pourrait légitimer toutes nos peurs et nos défiances vis-à-vis des autres, de ceux qui ne vivent pas, ne prient pas ou ne pensent pas comme nous.

Au fond, on pourrait dire qu’une religion ainsi conçue est l’ultime divertissement, au sens pascalien du terme, que nous ayons inventé pour éviter de regarder la réalité en face, l’ultime moyen que nous ayons trouvé pour nous voiler la face : de même que le jeu ou le travail dans lequel on se noie peuvent parfois nous détourner de l’essentiel, la religion ainsi pratiquée nous maintient dans l’illusion et le faux semblant en nous détournant d’une authentique relation à Dieu, aux autres et à nous-mêmes. C’est ce que Jésus dénonce avec force.

Parce que, lorsque Jésus parle de nos tréfonds obscurs, ce n’est pas pour nous condamner mais pour nous libérer… Nous sommes divisés, c’est un fait et tous nos efforts pour regagner le champ de la pureté n’y feront rien…

Mettre au jour ce qui nous habite c’est simplement nous obliger à arrêter de chercher à être parfaits… Afin d’habiter, non la perfection, mais notre humanité… Dans ce domaine, contrairement aux Jeux Olympiques et Paralympiques, il n’y a pas de compétition et aucune victoire n’est jamais assurée d’en être une… Comme le dit si bien Pascal, toujours lui, « l’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête »…

Chez Jésus, il n’y a pas de jugement moral. Juste un constat et une promesse : ce n’est pas par nos actes, seraient-ce des prouesses, que nous sommes justifiés. C’est Dieu qui nous justifie… C’est son amour qui nous justifie, tous, tels que nous sommes…

Et cet amour-là n’a que faire des rites, c’est un amour qui appelle à la conversion…

La conversion ce n’est pas pareil…

La conversion, c’est Jésus lui-même qui dans l’épisode suivant se laisse toucher par une femme syro-phénicienne, c’est-à-dire par une femme étrangère qu’il avait commencé par refuser d’écouter parce qu’elle était étrangère… Se convertir, c’est sortir du champ d’une prétendue pureté qui est d’abord celui de sa zone de confort pour faire une place à l’autre et le rencontrer…

Et c’est pourquoi la prédication de Jésus, de part et d’autre du passage que nous venons de lire, comprend deux récits de partage des pains : l’un en direction d’Israël, au chapitre 6, à la fin duquel il reste symboliquement douze paniers, autant que de tribus d’Israël, et l’autre, le second, après cette remise en question de la tradition, en direction de l’humanité entière car, à la fin, il reste sept paniers, en signe d’ouverture à l’universel.

Jésus, chemin faisant, passe d’une bonne nouvelle centrée sur Israël à une bonne nouvelle pour tous… Et cela aussi, pour le judaïsme de l’époque, c’est une sacrée conversion ! Alors, souvenons-nous lorsque nous sommes tentés par le repli identitaire et le rejet de l’autre au nom de « valeurs » que nous pensons commodément pouvoir associer à notre religion : Jésus rejette le religieux dès lors que celui-ci sépare au lieu de relier. Le Dieu de Jésus c’est celui qui inclut et qui accueille, toujours.

 

Il y a ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, il y a nos habitudes, nos rituels et nos rites, il y a ce que nous méprisons et ce que nous sacralisons. Par exemple, la religion mais aussi la consommation et pourquoi pas le sport avec la dérive possible de faire des sportifs des « dieux du stade »… Notre besoin de sacré ne cesse de se déplacer…

Et puis il y a Jésus, en qui nous reconnaissons le Fils de Dieu, Dieu qui nous rejoint dans notre humanité. Il y a Jésus qui s’invite chez les collecteurs d’impôts et les prostituées, Jésus qui se laisse toucher par une femme aux écoulements de sang impurs, Jésus qui touche nos plaies, Jésus dont les disciples mangent avec les mains sales si cela leur chante et encore Jésus qui met les pieds dans le plat et remet en cause à la fois la pratique des pharisiens, l’interprétation des docteurs de la Loi qui ont remplacé cette dernière par la tradition et les règles du temple… Vous n’êtes pas pur… Est-ce si grave ?

Il y a ce Jésus gênant, un tantinet agitateur, franchement perturbateur, que l’on a crucifié …

 

Alors, nous qui aimerions être ses disciples, si nous venons au temple, que ce ne soit pas seulement par habitude. Que la grâce nous soit donnée de désirer être là, pour nous mettre à l’écoute de ce Dieu qui chamboule, qui dérange, qui met en mouvement et nous libère, qui nous rééquilibre, nous pousse en avant et nous déséquilibre quand nous nous sentons trop bien assis sur nos bancs…  Que la grâce nous soit donnée de nous mettre à l’écoute de ce Dieu qui vient à nous, de ce Dieu vivant qui appelle à la vie !

Et à cette condition, sans arrière-pensée, je suis certaine qu’il reste possible et certainement souhaitable de se laver les mains avant de passer à table ;-)

 

Amen.

 

Stéphanie MERCIER

Rennes, dimanche 1er septembre 2024

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