Prédication
« Ils viennent à Jéricho ». Et puis, sans transition : Comme il sortait de Jéricho ». Ainsi commence le texte de l’Évangile du jour. De ce qui s’est passé à Jéricho, on en sait et on en saura rien. Comme souvent dans un récit du passé, il y a des blancs, plus encore quand il s’agit de l’Antiquité, où l’Histoire ressemble à un puzzle où beaucoup de pièces manquent. Mais il ne s’agit pas d’histoire ici, mais d’un texte biblique. Quelle parole de Dieu pouvons nous y entendre ici, à Rennes, ce jour de Réformation ? Je vous propose trois axes de méditation :
Un homme au bord du chemin :
Il y beaucoup de monde à sortir de Jéricho : Jésus qui n’est pas nommé, mais dont on voit bien qu’il est au centre du jeu, ses disciples (les douze et les autres), peut-être le jeune Jean-Marc qui a donné son nom à cet Évangile, une foule nombreuse. Enfin on voit bien, pas tous, car il y a au bord du chemin un aveugle. Lui ne voit plus rien. Mais son handicap n’est pas la seule raison de sa mise à l’écart. Il est également pauvre, dépendant du don des autres. C’est un mendiant. Enfin il n’est ni du premier, ni du deuxième cercle, ni même de la foule des curieux qui suit le Christ. Un marginal à tout point de vue et d’ailleurs quand il fait entendre sa voix, on s’empresse de le faire taire. Un aveugle dont on voudrait bien qu’il fût aussi un invisible. Une de ces personnes qui font changer de trottoir ou presser le pas. Jésus lui « s’arrête », écrit Marc. Il ne l’appelle pas, il le fait appeler. Et ce sera ma première question frères et sœurs. Qui sont les femmes et hommes en marge de l’Église que le Christ nous demande d’ appeler ? Je dirais, dans une France largement déchristianisée, presque tout le monde et peut être parfois nous mêmes. Mais le Dieu de l’Évangile a ses hôtes privilégiés : les pauvres, les petits, les exclus. Aux noces du royaume sont invités les clochards des carrefours. Les prostitués vous précéderont dans le royaume des cieux. Notre Église Protestante ne doit pas être un pôle identitaire de plus dans nos sociétés qui en compte trop, refermé sur ses traditions, séparé des autres, mais l’Église par excellence de l’accueil. Les Réformateurs l’ont crié au risque de créer un schisme : la grâce de Dieu est souveraine . Aucune situation de vie n’est inaccessible à l’amour ravageur du Christ. Nous allons le redire tout à l’heure dans notre confession de foi, alors vivons le en acte. Réformons toujours notre Église, pour qu’elle vive non pas pour elle, mais pour les autres, pour les Bartimés, les humains au bord du Chemin.
Deuxième axe : la foi
Quand on demande ce qu’est un Protestant à nos compatriotes, on entend quasi invariablement les mêmes réponses, quelqu’un qui ne croit pas à la vierge, aux saints, (ce qui n’est pas d’ailleurs tout à fait juste) ou encore des clichés : un homme ou une femme austère (ça ne rigole pas beaucoup chez les Protestants !), un gars qui gère bien son argent, entrepreneur qui a parti lié avec l’aventure capitaliste (ah la banque protestante, les capitaines d’industrie luthériens ou réformés), ou encore un homme ou une femmes qui vote radical-socialiste, pas très loin des franc-maçons. Ce qui est très loin de refléter la diversité des Protestants. On ignore encore que les trois critères du protestantisme sont d’abord la lecture libre de la Bible, boussole de vie, puis le sacerdoce universel qui fait de l’Église une communauté sans hiérarchie où aujourd’hui femmes et hommes ont des ministères égaux en dignité, et enfin, la justification par la foi. Quelle image de la foi avons-nous dans ce texte ? D ‘abord si démuni que soit l’aveugle Bartimé, il a entendu et sa curiosité a été éveillée. La plupart des gens avec qui je travaille ou là où j’ai des activités associatives, me disent : moi je n’ai pas la foi. Comme si c’était binaire, comme si celui qui avait la foi, n’avait pas des éclipses dans sa foi, comme si d’autre part l’incroyance était hermétique à toute foi. Il y a souvent une sorte de paresse dans cette attitude. J’aime bien ce que dit la Rabbine Delphine HORVILLEUR, s’engager dans la vie religieuse, c’est chercher. Toi qui dis ne pas avoir la foi, as tu vraiment été curieux, as tu cherché ? Cherchez et vous trouverez affirme l’Évangile. Bartimé crie, son cri est une prière, la plus simple qui soit « prends pitié » qui a donné la fameuse prière liturgique chez nos frères orthodoxes et catholiques en grec : eleison. La foi est aussi dans ce texte, réponse à un appel. Dieu a la droit d’appeler qui il veut, quand il veut, où il veut. Pour moi, c’était jeune à l’adolescence. Et pour vous ?
Jésus a promis : quand je serai élevé sur la croix, j’appellerai tous les humains à moi. Encore faut-il lâcher son portable, se mettre à l’écoute. La foi sauve. Jésus dit à Bartimée : ta foi t’a sauvé. C’est le fameux salut par la foi si cher à Martin LUTHER. La foi n’est ni une assurance vie : elle ne vous soustrait pas des épreuves de la vie, des souffrances de la vie, des doutes non plus. Le fanatisme, ce n’est pas la foi. La foi n’ôte pas le péché. Pèche, dit Luther, mais crois encore plus fort. Nous ne serons jamais totalement justes par nos efforts, mais la foi nous ajuste à Dieu. Les saints de l’Église ne sont saints que dans la mesure de la grâce sanctifiante de Dieu, de leur foi en Dieu et de l’amour sans faille de leur prochain. Ce n’est pas un état permanent. Toute vie chrétienne est métanoia, repentance. Luther écrit : « en disant « changez radicalement » notre Seigneur et Maître Jésus Christ a voulu que toute la vie des fidèles soit retour sur soi ». Il traduira en 1522 : repentez vous par améliorez vous. C’est la première des 95 thèses de Luther. La foi sauve Bartimée en lui redonnant la vue et surtout en le remettant sur le chemin.
Troisième et dernier axe : « Courage, lève toi »
À l’aveugle, comme aux disciples Jean et Jacques la semaine dernière, rappelez vous la prédication du Pasteur Hervé STÜCKER, Jésus demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». Arrêtons nous un instant. Je m’adresse à chacune, chacun de vous. Et toi, ma sœur, mon frère, que veux tu que Jésus fasse pour toi aujourd’hui ? Les fils de Zébédée, dimanche dernier demandaient une promotion. Lui demande « rabbouni ». C’est de l’araméen, la langue maternelle de Jésus et des habitants du levant. Et ce mot signifie à peu près « mon maître » (registre affectueux). « Que je retrouve la vue ». C’est bien naturel pour un aveugle, mais c’est aussi ce que nous pourrions tous demander. Redonne nous Seigneur de la clairvoyance, là où notre vie est obscure, là où notre foi a des espaces sombres, des angles morts .
Notre mendiant a rejeté son manteau, le haillon signe de son état. Nous avons tous des choses à abandonner quand nous nous convertissons au christ, pour vivre d’une vie nouvelle. Et puis, avez-vous remarqué, « il se lève d’un bond » ? C’est dangereux pour un aveugle, mais suivre le Christ, le suivre vraiment, c’est inévitablement s’exposer à des risques. Martin LUTHER le savait. Prisonnier de sa conscience, expérimentant la justice libératrice de Dieu, il a dû faire face à l’incompréhension et l’hostilité de sa hiérarchie. Dès réception de la lettre que Luther lui envoie, Albert de Brandebourg, saisit Rome de l’affaire. On sait la suite : on somme Luther de se rétracter dans les soixante jours, puis la bulle du pape le condamne, bulle qu’il brûle publiquement. Devenu hors la loi, il est enlevé par un prince et est caché au château de la Wartburg où il traduisit la Bible en allemand et dut organiser la première Église Protestante, l’Église luthérienne. Nous ne risquons pas tant aujourd’hui en France, protégés par la laïcité.
Bartimé est guéri. Cette guérison est la dernière de l’Évangile selon Marc. Jéricho est la dernière station avant Jérusalem. Bartimée sauvé par la foi se mit à suivre Jésus Christ. C’est ce que je nous souhaite à tous.
À Dieu seul la gloire. Amen.
Denis PRIZÉ
Rennes, dimanche 27 octobre 2024
Crédits : Évangile et Peinture / Bernadette Lopes Heredia