Prédication
Chers amis,
Ce texte, écrit il y a des milliers d’années est d’une actualité criante.
La prise de conscience globale des méfaits du patriarcat sur toute la société, sur les femmes et les hommes, sur l’éducation des filles et des garçons, nous permet de réagir vivement à la façon dont les scribes et les pharisiens utilisent une loi écrite par des hommes, pour des hommes, qui intime l’ordre de lapider une femme prise en flagrant délit d’adultère.
Transportons-nous un instant un Iran ou en Afghanistan… Nul besoin de faire un dessin… des femmes, dans le monde, sont toujours lapidées par des hommes bien-pensants – qui oublient au passage qu’on ne commet pas un adultère tout seul, et que derrière la femme adultère, il y a bel et bien un homme, tout aussi adultère, et tout aussi responsable de la situation !
Regardons comment Jésus, lui, réagit à cette interpellation violente de la part des pharisiens.
Jésus, arrivé il y a peu en Judée, se rend au temple pour « instruire le peuple », nous dit le texte. On imagine une scène vivante, animée, avec un Jésus enseignant, un Rabbi, passionné, qui veut donner vie à son interprétation des Écritures. Scène interrompue par des scribes et des pharisiens en colère, remplis de haine, sûrs de leur coup.
Cette fois-ci, ils auront la peau de cet imposteur !
Invoquant la loi de Moïse, ces hommes cachent leur lâcheté derrière une interprétation rigoriste et rigoureuse des textes sacrés.
Ils donnent en pâture une femme, qui n’a pas de nom ; une femme-objet qu’ils utilisent pour, pensent-ils, arriver à leurs fins.
C’est alors que Jésus prend du recul, fait un pas de côté.
Il coupe court à cette vague de violence en interrompant la communication visuelle : il se baisse, et écrit sur la terre.
J’aime à penser que Jésus souhaite, par ce geste, montrer que, à sa manière, il écrit également des préceptes, des commandements.
J’aime à penser qu’il nous dit, par ce geste, que les textes de l’Ancien Testament sont à ré-interpréter au regard de ce qui fait son enseignement : « Aimez votre prochain comme vous-même, et aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. »
Face à l’intolérance sous couvert de respect religieux, Jésus répond par une invitation à prendre conscience de ses propres faiblesses, afin de ne pas tomber dans le jugement hâtif, si facile, et si destructeur pour celui qui juge, comme pour celui qui est jugé. Jésus inverse la charge. Il répond à ces hommes qui cherchaient le conflit en les renvoyant à leur propre humanité, à leur propre péché.
Le péché, que ces hommes avaient incarné dans la femme, en la jetant en pâture, se retrouve alors renvoyé vers chacun, et devient individuel. Ce n’est plus l’autre qui a tort, c’est moi qui suis mis devant mes fautes et mes faiblesses.
Remarquons comment une fois encore, Jésus est déroutant dans sa façon de mener la conversation : après avoir regardé les hommes de Loi dans les yeux pour les renvoyer à leur propre humanité, il se baisse de nouveau, pour écrire sur la terre.
En adoptant cette position, peut-être a-t-il envie de se mettre à la hauteur de la femme qui a été traînée là, devant lui, et qu’on imagine facilement faible, honteuse, effrayée. Je me dis que Jésus, par son attitude, prend le parti des plus faibles. Nul besoin d’en dire plus.
D’ailleurs, la réaction des scribes et des pharisiens en dit long… « Quand ils entendirent cela, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus âgés. »
Jésus choisit donc de ne pas juger, mais au contraire, d’accueillir.
Nous remarquons que dans ce passage de l’Évangile selon Jean, le mot « jugement », ou le verbe « juger » n’apparaissent pas. Pourtant, ils transpirent dans l’attitude péremptoire des scribes et des pharisiens. Ces hommes jugent la femme pour ce qu’elle a fait et ce qu’elle est à leurs yeux, et ils jugent Jésus pour ce qu’il dit et ce qu’il fait.
Il est intéressant de noter que ce passage est encadré par 2 citations aux chapitres 7 et 8 :
Chapitre 7, verset 24 :« Ne jugez pas selon l’apparence. Que votre jugement soit juste ! »
Chapitre 8, versets 15 et 16 : « Vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne. Et si moi, je jugeais, mon jugement serait vrai, car je ne suis pas seul : il y a moi et le père qui m’a envoyé. »
J’aimerais m’attarder un instant sur cette question du jugement des hommes et du jugement de Dieu.
Dans notre société où on nous demande d’avoir un avis sur tout, et si possible, tout de suite, sans prendre le temps de réfléchir, les paroles de Jésus que je viens de citer sont précieuses. « Que votre jugement soit juste ! »
L’être humain est souvent prompt au jugement, et il veut une justice punitive. Il suffit de voir comment « on », cet « on » qui n’a pas de nom, réagit lorsque la presse se fait l’écho d’un fait divers crapuleux. La femme n’a pas respecté la loi de Moïse, il faut donc la punir, lui faire mal. Cette situation est d’autant plus insupportable aux yeux de ceux qui l’accusent, qu’elle est femme, c’est-à-dire qu’elle a moins de valeur qu’eux.
Or, ces hommes de la Loi savent qu’ils ne peuvent pas lapider la femme, car il faudrait pour cela l’aval des romains, qui ont interdit la lapidation. Ainsi, en jugeant la femme, ils attaquent Jésus et ils le mettent à l’épreuve, afin de le juger, lui. Jésus se retrouve devant deux choix cornéliens : s’il accuse la femme, il la condamne. S’il récuse la loi de Moïse, il se condamne. Il va donc emprunter une 3ème voie : il renvoie les hommes de Loi à eux-mêmes et, se positionnant à côté de la femme, il la restaure dans sa dignité, il lui redonne toute sa place.
Ainsi Jésus instaure-t-il ici une justice restaurative, une justice qui relève et qui fait vivre, à l’inverse de la justice punitive des scribes et des pharisiens, qui écrase et qui meurtrit.
« Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus ». Jésus redonne à cette femme une dignité de femme pleinement responsable de sa vie.
Quand les hommes partent un à un, penauds, et que Jésus et la femme se retrouvent seuls, on ne nous précise pas quelle a été l’attitude du peuple à qui Jésus enseignait dans le temple avant d’être interrompu, et qui a été spectatrice de cette scène. C’est comme si Jésus se retrouvait en tête à tête avec la femme.
Je me dis que les personnes qui étaient là pour écouter Jésus sont des spectateurs ahuris, étonnés par ce qu’il dit et ce qu’il fait. Et je nous mets nous, lecteurs du 21è siècle, aux côtés de ces personnes à qui Jésus enseignait dans le temple. Que voyons-nous ? Qu’entendons-nous ?
Nous voyons un homme profondément bon et respectueux qui prend le temps de redonner à cette femme son statut de femme, son statut d’être humain qui a une valeur aux yeux du Rabbi, malgré son péché. Il rentre en dialogue avec elle, celle dont on n’avait pas entendu la voix, et il lui donne la parole. « Personne ne t’a donc condamnée ? Personne, Seigneur. Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et ne pèche plus ».
À ce moment, Jésus reprend son statut d’homme dans une société patriarcale : « moi non plus ». Moi non plus, en tant qu’homme. Et moi non plus, en tant que Maître et Seigneur. Moi non plus, qui suis envoyé par le Père, je ne te condamne pas.
Chers amis, en lisant et en méditant ce passage de l’Évangile selon Jean, nous comprenons combien il est essentiel de ne pas se laisser aller aux jugements à l’emporte-pièce, porteurs de violence et de mépris. Prenons exemple sur Jésus, et accueillons les plus faibles, rendons-leur leur humanité en les considérant comme nos sœurs et nos frères, et soyons acteurs d’une justice restaurative.
Jésus pose un regard d’amour sur la femme que les bien-pensants accusent. Sachons dire, comme lui, « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais, ne pèche plus ».
Que Dieu nous vienne en aide.
Amen.
Sara Claire LOUEDEC
Rennes, dimanche 6 avril 2025