Prédication
Le chœur est vide, sans pupitre, sans table de communion, sans bancs : totalement vide. Le prédicateur s’avance dans l’allée centrale, venant du fond du Temple.
C’est donc ça, la résurrection ?
Un espace vide… Un espace vide ?
Une croix vide…
Plus de corps… tout juste quelques bandelettes et un linge… soigneusement pliés et prêts à être rangés… comme si rien ne s’était passé…
Une pierre roulée comme pour agrandir ce vide…
Des soldats endormis… comme absents…
Il y a bien un jardinier… Mais qu’est-ce qu’un jardinier, une présence insignifiante remarquée par des femmes dont le témoignage ne comptait pas à cette époque…
Il y a cet inconnu sur le chemin d’Emmaüs… qu’on n’écoute pas…
C’est donc ça, la résurrection. Un vide…
Mais c’est une arnaque ! Il y a tromperie ! « Il était celui qui devrait délivrer Israël » « Rebâtir le temple en trois jour ». C’était un prophète, mieux même, le messie, Fils de l’homme, descendant du roi David… Le Fils du Dieu tout puissant…
Et ce matin… rien… le vide…
Bien sûr, il y a eu ses paroles : des paroles d’espérance, des paroles de vie, des paroles qui relèvent…
Et il y a eu ces aveugles qui voient, ces malades guéris, ces paralysés qui marchent…
Des pécheurs et pécheresses libérés d’un poids écrasant… Des foules nourries de pain, de vie, d’espérance…
Après tout cela, la résurrection, on veut y croire… Même si cela paraît extraordinaire.
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Diffusion audio du poème Dites, si c’était vrai… de Jacques Brel :
Dites, Dites, si c’était vrai
S’il était né vraiment à Bethléem, dans une étable
Dites, si c’était vrai
Si les rois Mages étaient vraiment venus de loin, de fort loin
Pour lui porter l’or, la myrrhe, l’encens
Dites, si c’était vrai
Si c’était vrai tout ce qu’ils ont écrit, Luc, Matthieu
Et les deux autres
Dites, si c’était vrai
Si c’était vrai le coup des Noces de Cana
Et le coup de Lazare
Dites, si c’était vrai
Si c’était vrai ce qu’ils racontent, les petits enfants
Le soir, avant d’aller dormir
Vous savez bien, quand ils disent Notre Père, quand ils disent Notre Mère
Si c’était vrai tout cela
Je dirais oui
Oh, sûrement, je dirais oui
Parce que c’est tellement beau tout cela
Quand on croit que c’est vrai
C’est tellement beau tout cela quand on croit que c’est vrai… dit Jacques Brel
Alors, la résurrection, on voudrait que « ça pète ! » comme un feu d’artifice, on voudrait que ça soit comme Broadway, Hollywood en technicolor !
Jésus triomphe : sortez les spots lights.
Allez, brandissez les mégaphones et criez : il est ressuscité !
C’est super ! Confettis et serpentins !
Et regardez-moi la tronche de ces culs coincés de scribes et pharisiens !
Ah, ils ne s’y attendaient pas ! Et vlan, il est ressuscité… Ah ! la revanche !
Il est ressuscité et c’est la fête au chocolat, gigot d’agneau et haricots !
Silence….
Mais la résurrection, c’est d’abord un vide…
La résurrection, c’est d’ailleurs toujours un vide…
Pour ces femmes et ces hommes du premier jour, c’est le vide de la présence d’un corps qu’ils ont vu pendre lamentablement à une croix.
C’est le vide, l’impossibilité de pleurer ce Jésus, ce compagnon de route qui semait à tout va l’espoir.
C’est le vide de tous les gestes que l’on doit faire pour respecter, honorer… Un mort.
C’est le vide de l’incompréhension.
C’est le vide face au trop plein des devoirs, des rites, des sentiments, des habitudes d’une vie mortifère.
Frères et sœurs, nos vies sont pleines. Nos vies débordent…
Vous le connaissez, ce trop-plein : les occasions ratées, les blessures reçues et données, les rendez-vous ratés de notre histoire humaine…
Vous les connaissez : nos silences, nos renoncements, nos colères étouffés, nos colères infondées, nos paroles maladroites, nos gestes regrettés…
Tous ces moments, ces instants de vie où nous avons détourné ou fuis le regard, ces moments que nous cherchons à oublier mais qui débordent de notre mémoire.
Nous sommes pleins de ces blessures qui enflent à en donner un non-sens à notre existence…
La résurrection est un vide face à ce trop-plein.
À Marthe, Jésus dit : « Je suis la résurrection et la vie » (Évangile selon Jean, chapitre 11, verset 24).
Un temps de silence.
Je vais vous raconter ce qui m’est arrivé un jour, une expérience unique qui a surgit dans mon existence à un moment inattendu.
J’avais une vingtaine d’année. Un ami m’avait prêté un petit voilier, un été. Je suis parti, seul (j’aime être seul sur un voilier) un jour qu’il faisait très beau et la brise m’éloigna rapidement de la terre.
Mais comme souvent, dans les périodes anticycloniques estivales, le vent tombe autour de l’heure du midi solaire… Et je me suis retrouvé là, loin de la côte qui n’était qu’un fin ruban sur la ligne d’horizon. La mer était d’huile.
Là, j’ai fait l’expérience du silence… Absolu.
Dans la vie, sur terre, à moins d’être dans un espace fermé et isolé, le silence n’existe pas : il y a toujours le bruit d’un frigo ou d’une machine, le bruit d’un insecte, un son proche ou lointain… Des sons qu’on entend sans y prêter attention.
Là, au milieu de l’océan, rien. Le silence dans l’espace, entre ciel et mer.
Et alors, le moindre bruit attire notre attention : une goutte d’eau, le grincement d’un espar. Chaque bruit devient unique.
Un poisson qui effleure l’eau. Un clapotis le long de la coque. Le gouvernail qui manque d’huile.
Tout semble avoir une place au sein d’un équilibre immense.
j’ai même entendu puis suivi du regard un banc de marsouins passant à plusieurs centaines de mètres du bateau.
De cette expérience, j’ai acquis cette conviction : Il n’y a pas de vide. Il y a un espace. Il y a, ce que la Bible appelle « Les cieux ». Et Dieu est dans les cieux…
Nous avons souvent peur du vide, peur de l’absence, peur de ce que nous ne maitrisons pas. C’est la crainte des premiers témoins de la résurrection. C’est la crainte que nous avons face à ces multiples vides qui écrasent notre vie.
Devant nous, aujourd’hui, c’est le tombeau vide.
Devant nous, c’est ce chœur de notre Temple vide.
Mais, comme les premiers témoins, nous nous trompons…
Le tombeau du premier jour n’est pas vide.
Le chœur de notre Temple n’est pas vide.
Jésus est ressuscité. Et par ce geste impensable, Dieu crée… Un espace…
Souvenez-vous, dans les toutes premières pages de la Bible, la terre n’était pas « vide » comme l’écrivent maladroitement beaucoup de traduction. La terre était « tohu-bohu », c’est-à-dire que tout était confus, mélangé… Et Dieu posa une Parole. Cette Parole ouvrit un espace. Et dans cet espace, la Vie est possible…
La résurrection de Jésus-Christ est un espace que Dieu ouvre devant nous.
Un espace où tout ce qui encombrait nos vies et les figeait sont écartés. Tout ce qui nous éloignait de Dieu, nos péchés, sont écartés et cette espace est devant nous.
Cet espace nous est offert. Mieux : Dieu y espère nous y aspirer !
C’est l’espace de tous les possibles. L’espace de tous les relèvements, de toutes les résurrections des petites morts qui traversent chacune de nos existences.
La résurrection, c’est une invitation comme un père tend les bras pour accueillir son enfant qu’il croyait perdu.
La résurrection, c’est l’espace de tous les possibles. Depuis le premier jour, comme à chaque matin de notre vie, la résurrection s’ouvre à nous.
Et un espace, c’est fait pour être rempli.
Et pour le remplir, il suffit de se mettre à l’écoute de la Parole, de l’Évangile, il suffit de se mettre à l’écoute de Dieu : Aimer Dieu, aimer son prochain, prendre conscience que Dieu compte sur chacun de nous qui que tu sois…. Oh, il ne s’agit pas de se lancer dans des programmes ambitieux et compliqués : il s’agit, dans le quotidien de notre vie et de nos rencontres, d’offrir un peu d’espérance, de consolation, de joie peut être.
Il suffit d’apprendre à recevoir, à accueillir une parole, un signe… Un sourire même peut faire l’affaire.
Il suffit de résister contre tout ce qui écrase, humilie, anéanti l’être humain et la vie.
Dieu nous invite à remplir ses cieux, qui sont aussi nos cieux, de vie. Il nous y invite pour moi, pour toi, pour mon prochain, pour chacun de nous. Dieu nous invite à la vie : il attend que nous prolongions son élan à notre tour !
C’est comme cela que l’espace ouvert par Dieu se remplit !
Ma sœur, mon frère tu y es invité : choisi la vie ! Amen.
À ce moment-là, la table de communion qui était préparée dans la bibliothèque est glissée et disposée dans le chœur.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, dimanche 20 avril 2025 – Pâques