Prédication
Prenons le temps de faire un saut dans l’Histoire. Je vous invite si vous le souhaitez à fermer les yeux, et à vous représenter en image cet Évangile. Je vous invite à entrer dans la pièce où se tiennent Jésus et ses disciples.
Ils viennent de partager un dernier repas. Nous devinons qu’il s’agit du repas de la Pâques Juive. Jésus s’est levé de table, a déposé son vêtement, il a versé de l’eau dans un bassin, puis il a lavé les pieds de ses disciples un à un. Lorsqu’il a achevé de leur laver les pieds, Jésus prend son vêtement et se remet à table.
Puis Il déclare, solennellement, « En vérité en vérité je vous le dis, l’un d’entre vous va me livrer ». Jésus prend alors la bouchée qu’il a trempée, et la donne à Judas Iscariote. Il lui dit : « Ce que tu as à faire, fais-le vite ». Et Judas, ayant pris la bouchée, sort immédiatement.
Il fait nuit.
Notre texte commence à ce moment précis : « dès que Judas fut sorti ».
Le processus est en branle, rien ne peut plus l’arrêter. Le mécanisme de la passion, c’est-à-dire de l’arrestation, de la souffrance, de la crucifixion de Jésus, est enclenché. L’inéluctable est en route.
J’imagine que les disciples ne comprennent pas, ne peuvent pas comprendre : en quoi cette heure serait-elle différente de la précédente ?
Et les mots que Jésus leur adresse paraissent pour le moins énigmatiques :
« Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui ; Dieu le glorifiera en lui-même, et c’est bientôt qu’il le glorifiera ».
Que de gloire dans ce verset !
Le mot gloire est une traduction d’un mot hébreu Kabod qui, dans son étymologie, signifie « qui a du poids ».
Ce que nous dit cette parole, c’est que Jésus et Dieu, par la mort et la résurrection, se « donneront du poids mutuellement ».
Car cette petite bouchée qui marque la trahison de Judas, est finalement comme un point de bascule : Jésus, le fils de l’homme, lui qui vient de partager le repas de la Pâques comme un homme parmi les hommes, sera glorifié par la croix et la résurrection. Ses paroles, ses actes « prendront du poids », ils prendront sens, comme des morceaux d’un puzzle qui s’assemblent.
Ils prendront sens, car c’est par sa mort et sa résurrection que nous pourrons le voir pleinement fils de Dieu.
Jésus pleinement fils de l’homme, Jésus pleinement fils de Dieu. C’est ainsi qu’il « donnera du poids », c’est-à-dire qu’il glorifiera Dieu son Père.
Cette petite bouchée, ce point de bascule est comme un pas vers un entre deux : Jésus est encore présent, je veux dire physiquement présent parmi les hommes, mais parce qu’il sait que le temps est venu de rejoindre son Père, il est déjà tourné vers l’après, la passion, le temps où il ne sera plus parmi nous en chair et en os.
Et c’est peut-être pour cela que pour la première et la seule fois dans les Évangiles, il s’adresse à ses disciples en les appelant « Mes petits enfants ». Je n’avais jamais prêté attention à cette appellation avant de préparer cette prédication. Elle ne me semble pas anodine, à cet instant précis de bascule.
Mes petits enfants,
C’est sans nul doute une marque de tendresse de Jésus pour ses plus proches amis,
De la tendresse car il connait leur tristesse à venir,
De la tendresse car il sait qu’ils seront perdus, désemparés.
« Vous me chercherez » dit Jésus. Il sait que ses disciples, que nous tous, nous tâtonnerons à sa recherche, qu’il nous faudra croire « à l’aveugle », et que ce n’est pas facile. « Vous me chercherez », cette parole de Jésus est comme un baume apaisant lorsque notre foi vacille, elle est comme une reconnaissance a priori de la difficulté de croire.
Mes petits enfants,
C’est une marque de tendresse aussi, car Jésus connaît nos faiblesses, il les connait mieux que nous les connaissons nous-même.
Le passage qui suit notre texte est celui du reniement de Pierre : « Seigneur pourquoi ne puis-je te suivre tout de suite, je me dessaisirai de ma vie pour toi ! » Et Jésus répondit : « te dessaisir de ta vie pour moi ? En vérité, en vérité je te le dis, trois fois tu m’auras renié avant qu’un coq ne se mette à chanter ».
Le passage de l’Évangile qui est notre lecture du jour se situe donc entre l’annonce de la trahison puis le départ de Judas, et le reniement de Pierre.
C’est à ce moment, que Jésus nous donne un commandement nouveau. Ce commandement nouveau, qui est ici comme un testament, qui puise sa force dans ce temps qui est maintenant compté, dans ces hommes, les proches parmi les proches, qui ne comprennent pas, qui tâtonnent, dans ce reniement que Jésus connait avant l’heure,
« Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »
Ce commandement n’est pas un commandement de « il faut »,
C’est une invitation, une invitation à aimer à l’image de l’amour que Dieu, que Jésus nous a donné. Un amour qui dépasse les trahisons, un amour qui dépasse les reniements, un amour qui dépasse le manque de confiance.
Un amour sans contrepartie. Un amour gratuit, sans condition.
Ce commandement est aussi un commandement de « je suis là »,
Car cet amour que nous avons les uns pour les autres, fait de nous des disciples du Christ. Cet amour gratuit, sans condition, est la marque de la présence de Dieu parmi nous. Lorsque nous recherchons Dieu, que nous tâtonnons, que nous doutons de sa présence, soyons attentifs, à tous les signes d’amour, des pardons donnés, des sourires échangés, une main tendue, des signes d’amour parfois infimes, parfois éclatants,
Ils sont signes de la présence de Dieu parmi nous.
C’est dans la possibilité même de cet amour gratuit, à l’image de Dieu, et signe de Dieu, que germe l’Espérance la plus folle.
Par la mort du Christ, par sa résurrection, par ce commandement d’Amour qu’il nous a donné, c’est bien un monde nouveau qui nous est offert.
Je vous propose de conclure avec les paroles de l’Apocalypse de Jean, chapitre 21, versets 3 et 4, qui était l’une des lectures de ce jour :
Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu.
Amen.
Anne-Violaine TROCMÉ
Rennes, dimanche 18 mai 2025