Prédication
Chers amis,
Quels liens peut-on faire entre les deux textes du jour – celui de Jérémie et celui de Luc -, et que peut-on en dire qui nous parle aujourd’hui, dans nos vies, dans nos communautés ?
Un homme, Jérémie, prophète de son état, est porteur d’une parole qui dérange. En effet, alors que Jérusalem est assiégée, Jérémie propose de se rendre plutôt que de lutter l’arme au poing. « Celui qui restera dans cette ville », dit-il, « mourra par l’épée, par la famine ou par la peste ; mais celui qui sortira pour se rendre aux Chaldéens gardera la vie, sa vie sera son butin, et il vivra. » Se rendre plutôt que de se battre, voilà qui déplaît aux princes. Cela les conduit à aller voir le roi Sédécias, afin qu’il mette Jérémie à mort.
Cette Parole, à travers le prophète, est la parole de l’Éternel, parole qui lui a été donnée pour communiquer avec le peuple d’Israël.
Alors, que veulent les princes, et que fait le roi ? Ils veulent faire taire la parole de Dieu, cette parole qui dérange, qui décourage, qui divise.
Sédécias ne sait pas trop comment se positionner et il décide non pas de tuer Jérémie directement, mais de le laisser agoniser au fond d’une citerne inutilisée et inutile, car pleine de boue.
En quelque sorte, il le met aux oubliettes.
Luc aussi, dans son Évangile, relate des paroles de Jésus qui dérangent… Je suis venu mettre un feu sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais plutôt la division… La division au sein des familles : trois contre deux ; deux contre trois…
Oui, c’est vrai, les Paroles de Jésus dérangent et sèment la division. On en trouve de nombreux exemples dans les évangiles. Pensons à l’expulsion des marchands du Temple quand Jésus les accuse de faire de la maison de Dieu un repaire de bandits, ou encore à ce que Jésus dit aux scribes et aux pharisiens en Matthieu 23, ne mâchant pas ses mots, les traitant d’hypocrites, de guides aveugles pareils à des serpents et des vipères.
Jésus sème la division dans les familles, entre celles et ceux qui veulent suivre ses enseignements, et celles et ceux qui le rejettent. Nous pouvons aisément imaginer les disputes, les fâcheries, les divisions.
Transposons-nous dans le temps, et imaginons le fameux repas dominical en famille, durant lequel on évite de parler politique et religion pour, comme dit l’adage, préserver la paix des familles… Quelle pagaille ce devait être !
D’ailleurs, souvenez-vous … Jésus a parfois été très dur avec sa propre famille… Qui sont ma mère, mes frères ? dit-il alors qu’on lui dit qu’ils sont dehors et qu’ils l’attendent… (Marc 3, 33) Ou même encore plus tôt, quand, à 12 ans, il renvoie ses parents à leur inquiétude en leur disant qu’il doit s’occuper des affaires de son père (Luc 2)…
Avec ses paroles parfois tranchantes, Jésus provoque, remue, secoue. Il ne laisse pas indifférent. Ni hier, ni aujourd’hui.
Et cela le mènera au Golgotha, crucifié. Il recevra alors son baptême, celui auquel il fait référence dans l’extrait d’Évangile que nous avons lu : « J’ai un baptême à recevoir ; comme cela me pèse d’ici qu’il soit accompli ! » Ce baptême, c’est la mort par la croix, et la résurrection.
Je vous propose maintenant de nous poser la question suivante : que faisons-nous aujourd’hui de cette Parole dans nos vies, au quotidien ? Comment la faisons-nous vivre ? Et d’ailleurs, avons-nous vraiment à cœur de la faire vivre, ou, à l’image de Sédécias qui fit jeter Jérémie au fond d’une citerne, la mettons-nous bien à l’abri, loin des yeux, loin du cœur ?
Jésus dit qu’il est venu mettre un feu sur la terre.
Ce feu, on peut l’interpréter de différentes manières.
Ce peut être le feu de l’Évangile, qui brûle en nous, comme un carburant qui pousse à agir. Ce peut être aussi un feu purificateur, qui brûle le mal pour laisser place au bien.
Dans la Bible, Dieu se manifeste parfois par le feu, comme dans le buisson ardent, ou encore lorsque, à la Pentecôte, l’esprit de Dieu descend sur les disciples comme des lames de feu.
Le feu, s’il peut être destructeur (et nous en avons quantité d’exemples bien réels tous les étés) peut aussi être celui qui régénère. Après un incendie, la végétation reprend ses marques, nous le savons. On parle de plantes phénix, ces plantes qui se régénèrent après un incendie dévastateur.
Si nous comprenons dans ce passage que le feu que Jésus est venu apporter, ce sont les paroles de grâce et de sel diffusées par les Évangiles, interrogeons-nous pour savoir comment nous les recevons, et ce que nous en faisons.
Il est plus facile, avouons-le, de recevoir des paroles de grâce.
Les paroles qui dérangent, celles qui bousculent nos habitudes, nos certitudes et notre confort, nous préfèrerions parfois ne pas les entendre… et les mettre bien au chaud, au fond du puits de nos consciences. Nous aimons à les garder sous le coude, histoire de les ressortir lorsque nous en sentirons l’utilité… mais nous nous gardons bien de les faire nôtres au quotidien…
Quant aux paroles qui divisent, elles sont un poil à gratter qui nous empêche parfois d’avancer, de peur de semer la zizanie, ou de provoquer des divisions. Père contre fils, mère contre fille, nous dit Jésus… Nous préférons parfois ne rien dire, plutôt que d’oser une contradiction saine qui fasse avancer le dialogue et la compréhension mutuelle, car nous souhaitons préserver une harmonie de surface.
Or Jésus nous invite à mettre les pieds dans le plat, à combattre l’hypocrisie, la malveillance. Il nous invite à le suivre dans son intégralité, lui qui, de tout temps, a été adoré par les uns, et détesté par les autres.
Oui, frères et sœurs, il est des divisions qui peuvent être nécessaires, et fécondes.
Revenons au texte du livre de Jérémie, et arrêtons-nous un instant sur le personnage d’Ebed-Mélek, le Koushite – c’est-à-dire l’Éthiopien.
Ebed-Mélek n’est pas un juif. C’est un étranger, serviteur audacieux du roi Sédécias. Contrairement aux autres, Ebed-Mélek ne regarde pas ailleurs quand survient l’injustice. Non seulement il n’est pas insensible au sort de Jérémie, mais en plus, il ose agir, alors que cela pourrait être très mal perçu par le roi. Il en faut de l’audace pour rompre le silence et oser une opinion qui n’est pas partagée par la majorité !
Ebed-Mélek est celui qui ouvre la voie vers un possible. Il n’a pas entendu dans les paroles du prophète Jérémie des paroles qui dérangent et qui divisent. Il a entendu une parole qui ouvre une perspective d’avenir, une conduite à tenir, un chemin à prendre qui évite de se retrouver dos au mur. Grâce à lui, la parole du Seigneur n’est pas étouffée. Au contraire, elle jaillit, elle résonne et elle est entendue.
Sachons, comme Ebed-Mélek, être une caisse de résonance aux paroles qui dérangent l’ordre établi, cet entre soi qui ne peut être que mortifère.
Jésus-Christ, lui aussi, a bousculé ses contemporains. Il n’a pas hésité à provoquer, à déplacer les frontières, à questionner les habitudes. Les Évangiles sont remplies de récits où l’on voit Jésus poser des actes qui provoquent la division. Une division saine, qui permet d’avancer, de ne pas s’enliser dans les eaux boueuses de nos certitudes.
Je ne peux m’empêcher de vous partager ici la première image qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai préparé cette prédication : je me revois adolescente, portée par un désir de changement profond de la société comme peuvent l’être les ados, baignée de culture chrétienne et militante… Chantant à tue-tête lorsque j’étais en camp « La vérité » de Guy Béart..
« Le premier qui dit se trouve toujours sacrifié
D’abord on le tue, puis on s’habitue
On lui coupe la langue on le dit fou à lier
Après sans problèmes, parle le deuxième
Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté.
Un jeune homme à cheveux longs grimpait le Golgotha
La foule sans tête était à la fête
Pilate a raison de ne pas tirer dans le tas
C’est plus juste en somme d’abattre un seul homme.
Ce jeune homme a dit la vérité, il doit être exécuté. »
Aussi, frères et sœurs, sachons accueillir la division sans peur, mais avec confiance.
Dans nos communautés, dans nos familles, dans nos relations amicales, n’ayons pas peur de la différence qui, même si elle entraîne des frictions au premier abord, sera source d’ouverture et d’accomplissement si nous brûlons du feu de la Pentecôte qui parle à chacun et chacune dans la langue de son intimité pour lui permettre d’être authentiquement lui-même.
Car le contraire de la différence, c’est l’indifférence, celle qui refuse de prendre en charge la souffrance d’autrui, et qui va à l’encontre du commandement ultime de Jésus : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés.
Pour qu’à notre tour, nous osions prendre la parole, dire les vérités qui bousculent l’ordre établi, que Dieu nous vienne en aide. Amen