Prédication
Avez-vous remarqué que les disciples de Jésus ont toujours des questions décalées ? Des questions qui témoignent de l’incompréhension de ce qui leur arrive avec l’irruption de cet homme dans leur vie. Voilà presque une année qu’ils le suivent à la trace, partagent ses repas, écoutent son enseignement, sont témoins des actes qu’il pose. Et voilà cette demande pour le moins étrange, à ce stade de leur cheminement : « ajoute-nous de la foi » … Donne-nous de la foi en plus… ! Augmente notre foi !!!!
La réponse que leur fait Jésus a fait couler beaucoup d’encre. En bons chrétiens que nous sommes, nous n’imaginons pas qu’il soit possible de prendre les paroles de Jésus autrement qu’au sérieux. Que très au sérieux même.
Et donc nous cherchons un sens très, très sérieux à cette réponse de Jésus : « si vous aviez de la foi comme une graine de moutarde, vous diriez à ce mûrier « déracine-toi et plante-toi dans la mer », et il vous obéirait ! »
L’interprétation la plus populairement répandue est que si vraiment nous croyons en Dieu, alors tout devient possible.
La foi peut nous conférer un pouvoir extraordinaire : le pouvoir de notre volonté affranchie de toute limite matérielle, jusqu’à défier même les lois de la physique.
Magique !
Avec l’aide de Dieu certes, mais magique quand même, tout du moins prodigieux. Miraculeux.
A ce compte-là, si les choses nous résistent… serait-ce donc que nous manquons de foi ?
Pourtant, il n’en n’est sans doute pas un parmi nous qui ne porte en lui le souvenir cuisant d’un désir, d’un vœu, d’un projet, pour lequel le fait d’y croire de toutes ses forces n’a simplement pas suffit.
Ce qui pose deux questions :
La première est de savoir si le début de réponse de Jésus est vraiment sérieux… : « si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, de moutarde sauvage… »
La deuxième est de savoir ce que Jésus nous dit vraiment quand il parle de foi.
Ainsi, on peut s’interroger sur certaines réparties de Jésus : N’y aurait-il pas de l’ironie de sa part ? une forme d’humour ?
Nous sommes d’accord de penser que Jésus n’était pas un sur-homme, mais qu’il était tout aussi pleinement homme qu’il est pleinement Dieu. Donc, lors de son incarnation, il avait les mêmes besoins que nous.
Si on regarde la première partie de la réponse de Jésus sous l’angle de la plaisanterie, elle prend une tout autre couleur.
Ne dit-on pas : « à demande idiote, réponse idiote »
Faire se déplacer les montagnes, demander à un arbre d’aller se planter dans la mer, il est où l’intérêt ? ça sert quoi, ça sert qui ?
Même si l’on persiste à vouloir interpréter les paroles de Jésus sur un plan métaphorique, en gardant l’idée générale qu’une minuscule graine de foi, de vraie foi s’entend, pourrait nous permettre de faire des miracles, il y quelque chose qui ne joue pas.
Quelque chose qui ne joue pas tant au niveau de l’interprétation du texte que de celui du réel de la vie : car si nous avons tous connu des hommes et des femmes à la foi profonde, il reste vrai que nous n’avons jamais vu de miracle spectaculaire qui en découle. A ma connaissance, du moins…
Reste que les humains que nous sommes sont tout aussi friands d’extraordinaire et avides de miracles que l’étaient ceux d’il y a deux mille ans.
Je crois que la question n’est pourtant pas ici de savoir si les miracles existent, ni même si Jésus faisait réellement des miracles ou pas, mais plutôt : la foi, d’accord, mais en vue de quoi ?
Pour celles et ceux qui ne seraient pas encore convaincus que la première partie de la réponse de Jésus à des apôtres est un trait d’esprit, il y a encore deux indices qui viennent appuyer cette hypothèse : Le premier, c’est que la réponse de Jésus est en deux temps. Après la boutade en effet, il se met à parler à ses apôtres de service, de faire ce qui nous incombe, et de bien le faire. C’est comme s’il mettait en miroir ce qui est utile, c’est à dire faire du mieux qu’il nous est possible, face à ce qui ne l’est pas.
Le deuxième indice est que ce passage semble avoir pour but de nous interroger sur ce qu’est la foi pour nous…
Cela nous ramène à notre deuxième question : la foi au fond, pour Jésus, c’est quoi ?
Même s’il n’en donne jamais de définition, on s’aperçoit vite en se penchant sur les passages où il la nomme, que lorsque Jésus parle de foi dans l’évangile de Luc – comme dans les autres évangiles d’ailleurs – il n’en fait pas une sorte de baguette magique.
Il ne fait jamais référence non plus à une croyance quelconque, et encore moins à une toute-puissance de la pensée sur la matière.
Il en parle toujours au contraire comme d’une dynamique relationnelle qui a de quoi surprendre.
Jugez-en par vous- même : la foi dont parle Jésus est faite en premier lieu de persévérance, d’effort et d’ingéniosité. Effort persévérance et ingéniosité de ces hommes, dont il est dit qu’ils n’arrivent pas à approcher de Jésus avec leur ami couché sur une civière, tellement il y a de monde. Alors ils vont monter sur le toit, enlever des tuiles, faire descendre la civière devant Jésus.
Jésus ne va pas mettre en avant la foi de l’homme sur la civière, mais au contraire la foi de ceux qui l’ont porté.
Un peu plus loin, Jésus donne en exemple la foi d’un centurion, qui donc est romain, et croit certainement en d’autres dieux. On se rend compte alors que la foi est faite d’insistance, de demande répétée et d’amour pour un autre. Ce que l’homme demande à Jésus à grand renfort d’intermédiaires, ce n’est pas pour lui qu’il le demande, en effet, mais pour l’un de ses serviteurs qu’il aime tout particulièrement. Peu après, Jésus souligne aussi la foi d’une femme, une pécheresse de l’avis de l’évangéliste comme de celui des pharisiens… Une femme qui a beaucoup aimé dira Jésus… La foi est amour et gestes de tendresse.
A l’inverse, chez les disciples pris dans une tempête sur le lac, Jésus constate leur manque de foi malgré sa présence en chair et en os. Le pessimisme et la peur inhibent l’action. « Où est votre foi ?» leur demande Jésus. La foi ici est confiance, confiance qui pousse à l’action.
Il y a encore cette femme que Jésus va guérir en lui disant « ta foi t’a sauvée, va en paix ». C’est peut-être le passage le plus troublant car ce qu’a fait cette femme était non seulement interdit par la loi, mais elle aurait dû selon les codes de l’époque être punie pour son geste : elle s’était approchée de Jésus par derrière, se frayant un chemin dans la foule alors qu’elle était impure, puisque souffrant de pertes de sang chroniques. Où ses contemporains voyaient seulement péché grave et transgression, Jésus vient parler, Lui, de la foi qui sauve…
Ici la foi est transgression de tous les codes culturels, moraux et religieux quand ils aliènent et déshumanisent l’humain.
Dans l’évangile de Luc, juste après cette réponse que Jésus fait à la demande incongrue de ses apôtres, on va apprendre que la foi est aussi gratitude et reconnaissance. Car ce n’est pas la foi qui provoque la guérison des 10 lépreux que Jésus guérit tout d’un un bloc ce jour-là. Son geste est gratuit. Un seul va revenir sur ses pas pour le remercier, mais tous sont déjà guéris de leur lèpre quand Jésus dit à cet homme : « relève-toi, ta foi t’a sauvé ». On reste à se demander de quoi sa foi a bien pu sauver ce lépreux déjà guéri. Force est de constater alors que celui qui remercie Jésus est le seul à ne pas être allé chercher auprès du grand-prêtre la permission de réintégrer sa place dans la société. La foi est liberté.
Enfin, la foi est aussi quelque chose de fragile : Jésus lui-même prie, pour que la foi de Pierre ne disparaisse pas tout à fait dans l’épreuve du vendredi saint.
Vous le voyez, la foi dont parle Jésus n’a rien à voir avec une croyance qui s’attacherait à un objet ou à un dogme. Elle est à la fois fragile et forte, elle est combat parfois, concrète, et inscrite dans une interaction avec l’autre, et toujours avec Dieu.
La foi est une force qui nous pousse à être, en vérité, et qui nous pousse à agir, en conscience.
La foi selon Jésus n’a rien à voir avec une toute-puissance qui nous rendrait capables de renverser le cours naturel des choses. La foi à laquelle il nous appelle est bien loin d’être une baguette magique, et on peut légitimement se demander si ce n’était pas ça au fond que demandent les disciples : une baguette magique !
Et Jésus ne leur donne pas ce qu’ils demandent, non, mais il leur répond que la foi en elle-même n’est rien tant qu’elle n’est pas au service de quelque chose, ou de quelqu’un d’autre. Que la foi ne sert à rien, si elle ne sert rien ni personne. Et ce n’est pas une question de morale, c’est bien une question de salut pour nous aujourd’hui, dans nos vies : Une vie humaine qui n’a pas d’autre horizon qu’elle-même ne peut que s’épuiser de solitude, et se perdre dans une quête de sens qui toujours échoue à trouver son objet.
Nous n’avons aucun souci à nous faire pour notre salut dans l’au-delà, le Christ s’en est déjà pleinement chargé. Par contre, dans notre vie terrestre, il faut bien le dire, c’est de nous-mêmes que nous avons besoin d’être sauvés.
Alors nous, oui, nous que le Seigneur a envoyés, « nous, quand nous aurons fait tout ce qu’il nous est donné de faire, nous pourrons dire : nous sommes des serviteurs sans mérite particulier, sans besoins particuliers » puisque l’essentiel nous l’avons déjà, par cet appel du Christ qui nous envoie et nous donne ici vocation commune : le service. Ce que nous sommes appelés par Lui à faire, nous pouvons tenter de le faire, pleinement.
Un certain Paul le dira autrement : « même si j’avais toute la foi, au point de déplacer les montagnes, mais que l’amour, je ne l’ai pas… je ne suis rien. Et même si je distribuais toutes mes ressources par bouchées entières, si je livrais ma vie, afin de me vanter, mais que je n’ai pas l’amour, je ne sers rien ».
Alors, s’il y a une demande, une prière que nous pouvons faire ensemble, c’est peut-être bien celle-là :
Demandons à Dieu, non pas la foi, mais la confiance, l’espérance, et l’amour ; et peut-être aussi, en plus, la grâce, car c’est elle qui nous permet de prendre distance en toutes circonstances, et de nous éviter devant l’absurde, souvent, bien des énervements.
Amen.