Prédication
Nous nous réfugions parfois dans la lecture de la Bible quand, fatigués du monde ambiant, nous aspirons à autre chose que d’entendre les mesquineries quotidiennes qui ne manquent pas de nous provoquer dans notre vie de chaque jour. Nous cherchons à élever notre âme dans des sphères plus spirituelles. Nous cherchons aussi à puiser une nouvelle énergie dans la prière et le recueillement, avant de retourner vers le monde où, malgré tout, Dieu nous envoie.
Cependant, aujourd’hui, nous ouvrons la Bible sur un passage qui nous emmène dans un monde qui semble ressembler terriblement au nôtre.
Nous y rencontrons un notable qui tourmente par son mépris une pauvre femme.
Il commet ouvertement un délit qui, s’il le commettait chez nous se devrait d’être plus discret sous peine de sanction.
Mais discrète ou pas, une telle attitude est odieuse.
C’est hélas monnaie courante.
Le fait que ce notable soit un juge rend la situation encore plus insupportable.
La fonction du juge est de rendre la justice.
Et dans la société antique, plus que dans la nôtre, la justice était l’apanage de Dieu.
C’est lui qui au dernier jour jugera tous les hommes.
C’est donc lui qui décidera de leur sort.
Par son attitude détestable, ce juge jette le discrédit sur Dieu.
Dans leur manière de rendre la justice, les juges humains essayent de ressembler à Dieu et de juger comme Dieu lui-même le ferait. Avec justice et équité.
Ah, sans doute, chacun de nous pourrait citer des tas d’exemples où la justice rendue par les hommes n’est pas à la gloire de la justice divine.
Mais quoi qu’il en soit la justice humaine essaye d’approcher autant que faire se peut de la justice de Dieu.
Notre histoire met en scène un juge dévoyé qui ne rend pas la justice et qui finit par céder aux instances de la plaignante parce que cette dernière l’importune.
Bien que Jésus s’en défende nous pensons que Dieu parfois en fait autant !
En effet, nous avons l’impression qu’il ne répond que très rarement à nos prières.
Tous les affamés de la terre ne crient-ils pas vers lui jour et nuit et il ne leur répond pas ?
Les Églises et les associations prennent le relais et Dieu ne s’en soucie toujours pas.
Les injustices augmentent et il semble ne pas en avoir cure.
C’est le reproche que lui font ceux qui se détournent de lui en pensant qu’il se désintéresse des affaires des hommes. « Il n’y a plus de justice disent les uns », et les autres répondent en faisant écho : « il n’y a plus de Dieu. »
C’est à cause de ces questions latentes que l’étude de ce texte devient intéressante.
Il nous replonge dans le monde auquel nous voudrions échapper : celui où les gens en place ne tiennent aucun compte des petits qui ont tant de mal à survivre.
Ce monde ne s’améliore que trop lentement à notre gré et Dieu, malgré les beaux sermons qu’ont faits à son sujet, y est souvent invisible.
Pourtant, en commentant cette parabole Jésus prétend qu’à la différence du juge, Dieu fera prompte justice.
Paroles en l’air semble-t-il, à moins que Jésus s’attende à ce que nous tenions notre sagacité en éveil et que nous l’employions à comprendre ce texte autrement que ce que nous venons de faire.
En fait, ce n’est qu’au bout d’un certain temps que le juge répond à la requête de la veuve.
Il y met même beaucoup de temps.
Cependant, la veuve lui assénait continuellement, la même rengaine : « rends-moi justice » !
Elle ne cessait pas de lui rabâcher son histoire en lui expliquant en quoi elle était victime d’un adversaire qui, soit dit en passant trouvait son compte dans l’inaction du juge.
Elle lui demandait de faire ce que Dieu demande aux hommes de faire, à savoir d’être juste.
Nous le savons tous ! : Dieu fait entendre sa voix dans les récits des prophètes aussi bien que dans l’Évangile pour réclamer la justice pour la veuve et l’orphelin.
On peut donc dire, pour ce que l’on sait de Dieu, qu’il mêlerait certainement sa voix à celle de la veuve et qu’il ferait chorus avec elle.
Dieu n’était pas du côté du juge, il était du côté de la femme.
Il joignait sa voix à la sienne.
C’est ce que Jésus exprime quand il dit que Dieu se proposait de faire promptement justice.
Dès qu’il y a une injustice sur terre, dès qu’une détresse s’abat sur le monde, la voix des êtres humains en souffrance est prise en relais par celle de Dieu.
Il n’est donc pas possible de comparer l’action de ce juge à celle de Dieu.
Dieu écoute, il entend, il dit ce qui est juste.
Pour Dieu, faire justice, cela consiste à prendre le parti des opprimés contre les oppresseurs et à se mettre dans le camp des victimes contre celui des bourreaux.
Mais, si, comme le juge, sa fonction est de prononcer la sentence, il n’exécute pas la sentence.
Dieu n’est ni gendarme, ni bourreau.
Il est celui qui dit le droit.
Pour exécuter la sentence, il n’a que les mains, le cerveau et l’intelligence de tous les hommes capables de mettre en pratique ce que Dieu a décidé qu’il était juste de faire.
Dieu n’est pas celui qui va contraindre le coupable à réparer le tort qu’il a fait à sa victime.
Il ne faut pas confondre les genres.
Bien sûr, même si on entre dans cette logique, on ne peut s’empêcher d’être frustré et de dire son amertume.
On a surtout l’impression d’être victime d’un marché de dupe.
Nous nous attendions à ce que Dieu assume tous les rôles : celui du juge et du justicier.
Ce n’est pas le cas.
Dieu dit ce qui est juste, il dénonce ce qui est injuste.
Et c’est par notre référence à l’Évangile que l’on sait ce que Dieu pense des situations d’injustice qui sont faites aux hommes.
C’est en lisant l’Évangile que l’on perçoit ce que Dieu a à dire.
C’est ainsi que l’on perçoit la voix de Dieu.
Ce sont les hommes qui entendent la voix de Dieu qui sont enjoints par lui à faire justice et à exécuter la sentence.
C’est en prenant acte du jugement de Dieu qu’on en sent toute la pertinence.
On éprouve alors le besoin de le diffuser autour de nous, si bien et qu’on l’amplifie et que ceux qui nous entendent font de même.
À force d’être amplifié par les uns et les autres il devient assourdissant au point qu’enfin quelques humains se sentent concernés et remédient à l’injustice dénoncée.
C’est à force de répéter qu’il est injuste d’opprimer les faibles et de maltraiter les petits, que des hommes ont fini par promulguer la Charte des Droits de l’Homme, sans savoir qu’ils devenaient ainsi le bras agissant de Dieu.
Comme souvent dans l’Évangile on assiste à un renversement des valeurs.
Les hommes croient qu’à force de prier, ils finiront par être entendus de Dieu qui les exaucera.
Plus ils sont nombreux à prier, plus ils espèrent être entendus de Dieu qui finira par intervenir en faveur de la cause pour laquelle on le prie.
Plus les hommes sont nombreux à dire la même chose à Dieu, plus Dieu entend, croient-ils.
En fait, c’est le contraire qui se passe.
Dieu est alerté bien avant nous des injustices qui se passent dans notre monde. Dieu sait avant nous les souffrances des hommes victimes de la sécheresse, des tremblements de terre, des maladies et c’est Dieu qui à son tour inspire nos prières.
C’est Dieu qui avec nous ne cesse de crier « justice », jusqu’à ce que nous, les hommes, nous comprenions que c’est à nous de mettre la main à la pâte pour secourir ceux qui en ont besoin.
Tout se passe comme si c’était Dieu qui nous priait pour que nous agissions alors que c’est nous qui croyions que par nos prières nous réussirons à provoquer l’action de Dieu.
Il n’empêche que Dieu se met parfois à l’œuvre à son tour et se met à agir de telle sorte que c’est lui-même qui met en œuvre la solution opportune qui soulage celui qui est dans la souffrance.
On appelle cela un miracle. Mais ce n’est pas le mode habituel de fonctionnement que Dieu a choisi.
Curieusement nous croyions que c’est de cette manière que Dieu choisit d’exaucer les hommes, alors que c’est l’exception.
Heureux l’être humain qui a compris que Dieu faisait de lui l’instrument par lequel sa justice entre en vigueur parmi les hommes.
Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, dimanche 19 octobre 2025