PRÉDICATION DU 5 FEVRIER 2023

Vous avez raté le culte du 5 février dernier ? Retrouvez la prédication de la Pasteure Zohra Mokri

Prédication réalisée d’après le texte biblique : Matthieu 5 : 1 – 12

Heureux, bienheureux, 8 fois bienheureux, ceux qui…

Frères et sœurs, il est peut-être de plus en plus difficile d’entendre aujourd’hui ce texte des Béatitudes, tant notre monde va mal et de plus en plus mal !

La violence qui explose de partout, la guerre au cœur de Europe, l’Ukraine aujourd’hui, mais qui menace de s’étendre ; les maladies, les mouvements sociaux, les pandémies, la famine et les guerres dans d’autres pays, les catastrophes naturelles ; tant et tant de malheurs qui s’abattent sur l’humanité, au près comme au loin, qui nous feront poser cette question : Serait-il donc déplacé, voire indécent de parler de Béatitudes en pareilles circonstances ?

 

Certes non, car l’Evangile du bout au bout est Bonne Nouvelle ! C’est-à-dire une parole qui non seulement nourrit mais relève l’humain, le redresse dans sa dignité, le console, le réconforte et lui ouvre un horizon, une espérance, quel que soit son état et le mal dont il est victime. Pour ce matin, j’ai choisi de m’arrêter sur 2 des béatitudes :

– La 4ème : « Heureux les affligés (ceux qui pleurent) car ils seront consolés ».

– La 9ème : « Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».

« Heureux les affligés (ceux qui pleurent) car ils seront consolés ».

Comment comprendre une telle béatitude, aussi bien dans tous les contextes que je viens d’énoncer que sur un plan personnel ou communautaire, tant le paradoxe est là ! « Heureux ceux qui pleurent » ? Pourtant cette parole est là, frères et sœurs !

Face à notre histoire quelle qu’elle soit, à nos défaites, à nos morts, la Bible nous renvoie ce seul mot, dans la bouche du Seigneur : « heureux ».

Elle énonce non plus seulement un avenir, mais aussi un présent. Elle parle non plus du salut, mais du bonheur et du témoignage. Elle est donc, vraiment, une bonne nouvelle !

Ainsi, tout d’abord, elle n’affirme pas que les pauvres et les persécutés sont plus heureux que les riches et les tranquilles, alors que notre expérience à tous nous dit et nous montre le contraire. Et elle ne demande pas non plus aux riches et aux tranquilles de devenir pauvres et de se trouver en situation d’être persécutés : ce serait au-dessus de nos forces, à moins que cela ne développe en nous des tendances malsaines, toutes synonymes de masochisme ou d’orgueil.

Non ! Cette bonne nouvelle affirme que le pauvre peut trouver le bonheur, elle affirme que la persécution peut trouver du sens.

Elle affirme que le ciel et la terre sont aussi pour ceux qui croient en être privés à cause du malheur ou de l’indignité.

Elle affirme que ce qui ne compte pour rien ici-bas peut être objet de grande estime dans le Royaume de Dieu. Elle dit la consolation à ceux qui sont incapables de la trouver, à ceux qui n’ont pas de puissance, à ceux qui sont faibles, ou ratés, ou exclus, à ceux qui sont incapables de se défendre. Elle dit, à proprement parler, la béatitude.

 

Il est ainsi possible maintenant, en Jésus-Christ, de pleurer sans être noyé dans ses larmes, sans y sombrer. Il est possible d’être doux et de pardonner. Nous pouvons aussi considérer autrement notre soif d’accomplir la volonté de Dieu, non plus dans la perspective de l’échec, mais dans l’heureuse certitude qu’un Autre a accompli cette volonté pour nous.

Alors, vous qui vivez des épreuves difficiles, sachez au moins que vous n’êtes pas seuls. Le Christ est auprès de vous. Il restera peut-être la souffrance, les souvenirs à guérir ou un avenir à réinventer, mais vous ne serez plus seuls pour les affronter.

« Bienheureux ceux qui pleurent » parce que le Christ les rejoint.

 

« Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu ».

Frères et sœurs, c’est vrai, nous sommes tellement habitués aux actes de violence, tant au loin comme au près… Et que nous nous retrouvons chaque fois à dire : Plus jamais ça ! Puis voilà, une actualité en chasse une autre et la tentation est grande de tourner la page chaque fois et de passer à autre chose. C’est humain, c’est la vie !

 

Je pense évidemment à la guerre en Ukraine, mais aussi à ces récentes dernières années, où l’horreur de la violence a atteint son paroxysme en France-même ! Je pense à tous ces actes terroristes qu’a connu notre pays, œuvre des hommes dans leur folie, comme l’ont connu et la connaissent encore aujourd’hui d’autres pays, générant son lot de morts, de blessés, de traumatisés, de peur, de suspicion, de méfiance et parfois même du désir de vengeance!

La violence comme les hommes en ont connu hélas depuis les origines de l’humanité…

Mais il me semble que ces questions autour de la violence « au nom de Dieu », sont trop graves pour être laissées sans réflexion, sans éléments de réponse et pour nous, sans une parole d’Evangile qui nous aide à y voir plus clair…

 

Que dit la Bible de la guerre « faite au nom de Dieu » ? Y a-t-il seulement des guerres « justes » ? Puis, que penser du pacifisme pour qui aucune guerre ne saurait être justifiée ?  Le Christ refuse-t-il tout combat en demandant de tendre l’autre joue et d’aimer ses ennemis ? La colère est-elle forcément à rejeter ou à enfouir ? Et puis, qu’est-ce que cela signifie pour un chrétien qu’être un artisan de paix ?

 

Dans la Bible comme dans nos vies, la violence est présente très tôt. La violence se manifeste déjà au tout début avec Caïn et Abel et elle se manifeste, de manière fondamentale, dans le meurtre du Christ.

Au niveau de notre histoire personnelle et chez tout être humain, même le plus pacifique, la violence est un caractère latent, naturel, mais généralement réprimé et maîtrisé par la société, la famille, l’éducation, la morale, etc. La paix est donc toujours à conquérir, une conquête fragile et menacée.

Les sociétés primitives ont plus ou moins enrayé la violence en la canalisant dans des sacrifices d’animaux ou d’êtres humains parfois, pour éviter la répétition du meurtre par vengeance. Dans le même objectif, fut mis en place plus tard l’institution judiciaire. Le Psaume 94 par exemple nous montre comment la réalité des désirs de vengeance peut être retournée en nous et se dissoudre en Dieu. Car oui, le désir et le sentiment de vengeance sont également inhérents à notre nature humaine ! La vengeance est le dédommagement de l’offensé par punition de l’offenseur. Elle va entraîner une succession de violence qui peut passer de génération en génération.

 

La Bible n’évacue donc pas l’idée de vengeance. Mais elle cherche à la déloger, puis nous ouvrir un chemin pour que notre désir de vengeance ne nous empêche pas de rencontrer le Dieu d’Amour. Nous pouvons alors passer du Dieu, projection de notre vengeance au Dieu de la grâce et de l’amour.

C’est déjà ce qu’ont perçu et expérimenté les croyants de l’Ancienne Alliance, attesté par plusieurs textes. En fin pédagogue, la Loi décrit ce processus : Après une reconnaissance de la soif de vengeance et la justification du désir de vengeance, vient doucement une remise en cause de ce sentiment. S’ouvre alors le temps du bonheur d’être réorienté par la Loi. « Heureux l’homme que tu éduques Seigneur, que tu enseignes par ta loi, pour le reposer des mauvais jours », nous dit par exemple, le Psaume 94.

Puis vient enfin l’étape du renversement : Dieu n’est pas vengeur, il n’est pas accusateur, il est l’avocat, le consolateur. « Si le Seigneur ne m’avait pas secouru, je me serais emmuré dans le silence » poursuit le même Psaume.

 

Heureux les artisans de paix. Après le bonheur d’être éduqué par la Loi, voici le bonheur d’être artisan de paix ! Travailler la paix, la façonner, conduit au bonheur. Celui qui prononce cette phrase est Jésus de Nazareth. Il est l’artisan de paix par excellence !

A de nombreuses reprises, il a désamorcé la violence, mais il l’a également expérimentée en lui-même. Dès le tout début de son ministère et jusqu’à sa mort, Jésus a mené un combat contre tout ce qui faisait obstacle à la volonté de son Père, en lui-même et en dehors de lui, combat mené jusqu’au dernier ennemi qu’est la mort. Lorsque dans l’Evangile de Jean, Jésus dit : « Je vous donne ma paix », il offre le fruit de son combat. Grégoire de Nysse définit ainsi l’artisan de paix : « C’est celui qui donne la paix à autrui et l’on ne saurait offrir à un autre ce que l’on ne possède pas soi-même. Jésus nous offre sa paix, résultat de son combat ».

Heureux les artisans de paix, l’artisan de paix Jésus est la manifestation du Dieu d’amour. Ainsi, prendre le chemin de la paix n’est plus une utopie, la paix est faite, accomplie en Jésus-Christ. Il me précède sur le combat à mener, il me délivre petit à petit de toutes les guerres qui se livrent en moi. Son regard me désarme de mon amour propre, pour m’armer de l’Amour de Dieu. Je peux alors devenir artisan de paix.

 Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. Rien de moins !

Les artisans de paix entreront dans un réseau de relations filiale et fraternelle. Ils seront appelés fils de Dieu, ils seront adoptés. Ils recevront leur identité de la parole du Père. Ils seront reliés à sa présence mystérieuse et finiront par être à sa ressemblance et ça c’est perceptible !

Cette paix que nous recevons de notre relation avec le Dieu de Jésus-Christ comme une arme pour affronter notre propre violence, surmonter notre peur, être soi-même, espérer parfois contre toute espérance, nous pouvons la transmettre, car elle a vocation à se diffuser, se communiquer ; peut-être pas toujours comprise, ni reçue d’ailleurs, ou prise pour une faiblesse de notre part. Mais qu’importe !

Frères et sœurs, les Béatitudes nous disent, certes, le bonheur éternel que les souffrances et la mort du Christ nous ont acquis, mais elles nous disent aussi le bonheur possible maintenant, dans une existence humaine que Dieu tient en un tel honneur qu’il l’a partagée en son Fils.

Aujourd’hui, c’est comme si Jésus nous disait en substance : Ne crains pas, ne crains pas les larmes, mais sois heureux malgré elles et à travers elles. Ne crains pas, mais profite déjà ici et maintenant de la vie du Royaume que tu saisiras pleinement un jour. Ne crains pas même la mort, car elle ne peut rien contre toi.

Car si tu es heureux là où les autres ne trouvent que leur échec, si tu es heureux là où les autres affrontent leur finitude et leur impuissance, alors tu seras auprès d’eux un bon témoin du vrai bonheur, celui du Royaume, celui de l’éternité bienheureuse de la vie en Dieu. Parce que les autres, ceux qui ne connaissent pas Christ, ceux qui ne savent pas l’offre gratuite de Dieu, il faut bien qu’ils soient éclairés ! Il faut bien qu’ils aperçoivent quand même, même de loin, ce qu’ils n’entendent pas.

 

Toi qui es sur la montagne avec ton Seigneur, comme ses disciples l’ont été lorsqu’il a prononcé les béatitudes, les pieds posés sur la terre mais le cœur dans l’éternité du Royaume, tu as reçu la lumière, tu vis avec, tu en vis et tu l’espères. Elle éclaire même tes propres pas, cette lumière qui ne vient pas de toi. Mais tu peux et c’est possible ! Tu peux briller un peu plus fort, un peu plus loin.

Si tu le fais, ton bonheur actuel sera plus grand, et d’autres aussi, peut-être, pourront-ils être heureux de cette lumière-là, car ils la verront, ils en profiteront ! Et peut-être un jour sauront-ils d’où elle vient, peut-être un jour leurs oreilles s’ouvriront-elles enfin, et leur cœur, pour recevoir du Christ la lumière véritable. C’est notre prière, chers amis, pour notre temps, nos proches, nos relations et tous les affligés, quels qu’ils soient. Mais c’est aussi notre prière pour ceux qui n’ont d’autre langage que la violence ! Puisse l’étendard de la paix du Dieu de Jésus-Christ, cet étendard que nous arborons inlassablement, fasse fléchir leur violence et leur faire découvrir le vrai bonheur : Celui de la paix, ce don merveilleux du Seul Dieu en Jésus-Christ !

Amen

 

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