Prédication réalisée à partir de l’Évangile de Matthieu chapitre 2 versets 1 à 12.
Jésus étant né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem, et dirent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer ».
Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et il s’informa auprès d’eux où devait naître le Christ. Ils lui dirent : « À Bethléem en Judée ; car voici ce qui a été écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, car de toi sortira un chef qui paîtra Israël, mon peuple ».
Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et s’enquit soigneusement auprès d’eux depuis combien de temps l’étoile brillait. Puis il les envoya à Bethléem, en disant : « Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant ; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi moi-même l’adorer ».
Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta.
Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Prédication
Le Pasteur Stéphane LAVIGNOTTE a porté un regard que je trouve très pertinent sur cet épisode de l’Évangile de l’enfance dans l’Évangile de Matthieu. Je reprends ici sa pensée.
Le roi Hérode a la peur de sa vie. Ce roi, nommé par Rome, qui a sous ses ordres les troupes de l’Empire Romain : il a les jetons.
Il a tellement les jetons (il fut troublé dit avec pudeur le texte), qu’il rassemble tous les prêtres et tous les scribes. Il a tellement peur, qu’au chapitre suivant, il va entrer dans une grande fureur et faire massacrer tous les enfants de moins de 2 ans.
De quoi a-t-il peur ? Vous trouvez qu’ils font peur, vous ? Ce bébé ? Ces rois mages ? Trois étrangers, alors qu’il y a des dizaines de milliers d’étrangers qui viennent sans doute chaque année à Jérusalem ? Ces trois étrangers, qui ont l’air tout gentils ?
Pourquoi Hérode a-t-il si peur ?
En lisant le texte, une chose m’a frappé. Il y a deux mondes parallèles :
- Il y a d’une côté Hérode. Son titre officiel, qui lui a été donné 40 ans plus tôt par le Sénat romain, c’est « roi des juifs ». À côté d’Hérode, il y a les prêtres et les scribes : le clergé, le pouvoir religieux juif.
- Il y a de l’autre, les rois mages et le bébé Jésus. Les rois mages donnent à Jésus le titre de « roi des juifs », le même qu’Hérode. Et les mages, qu’est-ce que c’est ? Le titre de « mage » c’est celui qu’on donnait aux prêtres chez les Perses, les mèdes et les chaldéens. Il y a le roi des juifs et les prêtres d’un côté, et le roi des juifs et les prêtres de l’autre.
Deux mondes parallèles donc.
Mais Hérode ne perçoit pas cela comme seulement parallèle, il perçoit cela comme un monde concurrent.
Hérode avec ses prêtres pense avoir la légitimité du pouvoir. Et voilà qu’il y a un autre roi des juifs, qui a lui aussi ses prêtres. Donc une légitimité concurrente.
La menace est encore plus importante quand on lit les textes de l’Ancien testament auxquels font référence les prêtres juifs quand ils parlent de Bethléem qui n’est pas la plus petite des villes car y naîtra le chef d’Israël.
Cela commence avec une citation de Michée 5,1. On y reviendra.
Et ça se termine (le chef qui fera paître le peuple) par une citation de 2 Samuel 5,2 :
2 Samuel 5,2, c’est le moment où David devient le roi d’Israël.
Le bébé Jésus serait le nouveau David.
Pourtant, ce bébé, n’a pour tout palais qu’une étable. Il n’a pas d’armée. Il ne va avoir pour toute richesse que ce que vont lui laisser les rois mages.
Hérode s’attend-il à une confrontation violente ? Armée ? Une révolte des bergers alliés aux menuisiers ? À une révolte populaire ? À l’assaut d’une armée formée d’anges et de mages ?
De toute façon, cela ne viendra pas.
Les mages qui sont arrivés en se faisant particulièrement remarquer, en se répandant dans tout Jérusalem sur ce qu’ils cherchaient, qui sont convoqués chez le roi Hérode, qui entraînent une réunion de tout le clergé, ces mages arrivés d’une manière tapageuse… Repartent avec une discrétion extrême dans leur pays.
Jésus et les rois mages sont-ils un pouvoir concurrent ?
Ne sont-ils pas plutôt un pouvoir alternatif ?
Un pouvoir concurrent, cela aurait signifié qu’ils auraient voulu se mettre à la place d’Hérode et de ses prêtres.
Chef à la place du chef, vizir à la place du Vizir. Mais c’est tout autre chose qui se passe.
Jésus et les mages ne prennent pas le pouvoir. Ils ont une série de gestes, de symboles qui ne disent pas : nous voulons le pouvoir sur le monde.
Ils ont une série de gestes, de symboles qui disent : le monde pourrait fonctionner différemment.
En ce sens-là, ce n’est pas concurrent mais alternatif.
En quoi fonctionne-t-il différemment ? L’Israël ancien (et encore aujourd’hui l’actuel ?) est obsédé par une question : quelle relation avec les étrangers, les pays voisins, voisins si puissants alors qu’Israël est si petit ?
À l’époque de Jésus, c’est la relation à la domination romaine qui se pose.
Mais auparavant, c’était la menace (ou la domination effective) des assyriens, des syriens, des grecs, etc.
La relation avec les voisins se pose un peu tout le temps de la même façon : Israël est dominé, son peuple est déporté, ses richesses pillées.
C’est encore cette peur ancestrale qui se trouve derrière la citation de Michée 5,2 à laquelle font référence les prêtres.
Que dit Michée 5,2 ? Et toi, Bethléhem Éphrata, Petite entre les milliers de Juda, De toi sortira pour moi Celui qui dominera sur Israël, et dont l’origine remonte aux temps anciens, aux jours de l’éternité. C’est pourquoi il les livrera Jusqu’au temps où enfantera celle qui doit enfanter, et le reste de ses frères reviendra auprès des enfants d’Israël. Il se présentera, et il gouvernera avec la force de l’Éternel, avec la majesté du nom de l’Éternel, son Dieu : Et ils auront une demeure assurée, car il sera glorifié jusqu’aux extrémités de la terre.
Ça, c’est la partie de Michée 5,2 qui est utilisée dans le texte de l’Évangile, soit comme citation, soit comme justification au débarquement des mages qui viennent des extrémités de la terre.
Michée 5 continue ensuite comme ça :
C’est lui qui ramènera la paix. Lorsque l’Assyrien viendra dans notre pays, et qu’il pénétrera dans nos palais, Nous ferons lever contre lui sept pasteurs et huit princes du peuple. Ils feront avec l’épée leur pâture du pays d’Assyrie et du pays de Nimrod au dedans de ses portes. Il nous délivrera ainsi de l’Assyrien, lorsqu’il viendra dans notre pays, et qu’il pénétrera sur notre territoire.
Qu’ils aient choisi de citer ce texte montre que c’est une vision guerrière de la relation à l’étranger que partagent Hérode et le clergé.
Les rois mages instaurent une autre relation à l’étranger que cette vision guerrière.
Alors que jusque-là, les élites du pays étaient déportées, là, ce sont des élites du pays voisin (les rois mages) qui viennent en Israël.
Alors que les arrivées de puissances étrangères étaient signe de domination, là ces prêtres, ces gens importants de pays voisins, non seulement viennent en paix, mais viennent se soumettre au roi des juifs. Alors que d’habitude (et sous les romains c’était le cas) ses richesses étaient pillées par les étrangers, là, les étrangers offrent des richesses à Israël.
Alors que dans le cas d’Hérode, le roi des juifs était nommé par l’étranger, le Sénat Romain, pour dominer Israël, là l’étranger reconnaît le roi des juifs mais pour s’y soumettre.
Ce n’est pas seulement un renversement des relations d’Israël et des étrangers.
Ce n’est pas tant qu’Israël deviendrait dominant sur l’étranger alors qu’il a été dominé jusque-là, comme dans Michée 5.
Ce n’est pas un renversement, c’est un changement de regard : Vous étiez obsédé par la peur de la domination étrangère, arrêtez, ce n’est plus le cas. Regardez ce qui se passe, ce qui se vit entre Jésus et les mages, d’autres relations, d’échanges, d’amour, de respect peuvent s’instaurer avec l’étranger. Cessez la peur. Et ce que disent les rois mages et Jésus à Hérode et au clergé, nous pourrions le dire aux dirigeants de notre monde.
Ce n’est donc pas un changement de pouvoir qu’annonce Jésus et les mages. C’est bien plus. Ce pouvoir alternatif, c’est un changement regard.
Hérode convoque les prêtres juifs pour savoir une chose : où a lieu la naissance.
Leur savoir, leur pouvoir, est celui de l’espace, du territoire. Une religion qui s’incarne dans l’espace, c’est une religion qui s’incarne dans des bâtiments, les temples. Un pouvoir qui s’incarne dans l’espace, c’est le propre du militaire, de l’étatique qui contrôle des villes, des régions.
Les mages eux savent autre chose. Ce qu’ils savent et qu’ils vont dire à Hérode, c’est « quand » : Quand naîtra l’enfant.
Hérode maîtrise l’espace, les mages maîtrisent le temps.
Maîtriser le temps, c’est d’un autre ordre que maîtriser l’espace, les temples, les villes, les régions. Sur le moment, ils ne peuvent pas faire tomber le pouvoir d’Hérode. Leur pouvoir n’est pas d’ordre matériel, militaire, policier, institutionnel, celui des palais et des temples.
Il est de l’ordre du rêve : Le monde magique et merveilleux des mages d’Orient.
Il est de l’ordre du don : Le don de cadeaux précieux, sans attendre de retour.
Il est de l’ordre du pari, du risque, de la folie, de la confiance faite à la faiblesse et à la fragilité : Donner tout cela, reconnaître comme roi un bébé dans une étable, né dans une famille pauvre.
Il est de l’ordre de la tendresse : la tendresse pour un bébé.
Il est de l’ordre de la rencontre et de la sortie de la peur : un autre ordre des relations entre Israël et l’étranger.
Et tout cela passe par des images qui frappent l’imagination (celle de ces rois mages en plein Israël). Celles de cette étoile qui les a menés d’Orient.
Et tout cela passe par des gestes (donner les cadeaux).
Par des sentiments : éprouver une grande joie.
Le pouvoir des mages et de Jésus est de l’ordre de l’imaginaire, du ressenti, du changement de regard sur le monde et sur ce qui est important dans le monde. Et pour changer le monde ainsi, ce qui compte, ce n’est pas la confrontation immédiate, ce n’est pas le rapport de force : c’est le temps.
Ils n’ont pas besoin de s’affronter à Hérode. Ils peuvent partir discrètement chez eux :
Ils ont rendu visible la naissance de Jésus, ils ont semé des graines d’imaginaire différent, de doute, ils ont fait des gestes qui ont frappé les esprits.
Le temps va maintenant faire son office et tout cela faire son chemin, les graines vont germer, même s’il faut attendre le printemps et qu’on passe d’abord par l’hiver.
Nous-mêmes, nous sommes souvent dans la confrontation. Nous avons l’impression que nos pauvres forces ne peuvent rien contre la police qui arrête les sans-papiers et quadrille l’espace de la ville, contre la mondialisation économique qui entraîne la pauvreté et les licenciements, en ne faisant de la planète plus qu’un seul espace, contre nos propres difficultés personnelles contre lesquelles nos prières sont sans effet.
C’est compter sans la force du temps que nous donne Dieu.
Les gestes des rois mages, nous les recommençons dans nos vies : Faire entendre dans nos propres oreilles la prière des rois mages : Où es-tu fils de Dieu ? Et renouveler avec persévérance cette prière ; vivre au grand jour notre amitié, nos joies de partager ensemble que l’on soit enfant juif ou roi mage étranger, avec ou sans papiers, blanc ou noir, français ou étranger, riche ou pauvre, homo ou hétéro ;
Faire des dons et faire des rêves, faire gestes et éprouver des sentiments.
Ce n’est pas prendre le pouvoir à Hérode pour le remplacer.
Nous ne sommes pas un pouvoir concurrent. C’est faire fonctionner déjà le monde différemment et, avec le temps, être sûr qu’un jour il fonctionnera différemment.
Notre amour est le plus fort et le plus subversif des pouvoirs alternatifs quand il sait qu’il peut compter sur le temps de Dieu.
Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER,
A Rennes, le dimanche 7 janvier 2024