PREDICATION DU 10 septembre

Vous avez raté le culte du 10 septembre ? Retrouvez la prédication de Stéphanie Mercier.
Prédication tirée du texte : Matthieu 19, 23-30 et 20, 1-16  

Entrer dans la logique du Royaume : un chemin de vie

 

Quand ma fille cadette était petite, elle rêvait d’être comme sa grande sœur… Quand elle avait quatre ans, elle souhaitait être « une douze ans », à cinq ans, « une treize ans »… Et comme elle avait les oreilles qui traînaient au culte, voilà qu’un jour, elle me dit comme ça, l’air de rien : « Pas vrai, maman, que les derniers seront les premiers »… Il y en avait une qui était arrivée à la première heure… Et une autre à la huitième… L’évangile lui donnait une espérance… Celle qu’un jour, il n’y aurait plus d’écart entre sa sœur et elle, qu’elle jouirait des mêmes libertés par exemple…

Du point de vue de ceux qui manquent et qui espèrent, il est parfois bien plus facile d’accueillir l’inouï de la grâce que du point de vue de ceux qui pensent l’avoir mérité par leurs efforts et par leur travail…

C’est donc aussi, et même d’abord à ceux qui ont, aux méritants, que la parabole que nous venons de lire s’adresse, et plus précisément, en l’occurrence, aux disciples, dans le cadre d’une réflexion sur le salut et sur la grâce…

Avec son langage imagé, la parabole permet de montrer, de faire entrevoir, de faire comprendre « à quoi le Royaume des cieux est semblable »…
C’est l’histoire d’un maître qui possède une vigne et qui embauche des ouvriers à différentes heures de la journée pour travailler dedans…

Ce que tout le monde comprend à peu près, dans le cadre d’une traditionnelle lecture allégorique, c’est que la vigne, c’est Israël ; le maître, c’est Dieu et les ouvriers, ce sont les disciples aussi bien que nous-mêmes… tout homme ou toute femme, en fait, appelé par Dieu à le servir…

 

Et en ce qui concerne les rapports des ouvriers au maître, la parabole délivre pas mal de bonnes nouvelles :

La première, c’est que c’est le maître qui cherche ses ouvriers, qui sort, « appelle » inlassablement… C’est Dieu qui se met en route, c’est Dieu qui nous cherche, nous trouve et nous appelle. Dieu a souci de nous. Dieu a besoin de nous.

La seconde bonne nouvelle, c’est que tout le monde est payé à la fin et que le salaire est le même pour tous, c’est-à-dire que la grâce de Dieu s’applique à tous, le Salut est donné à tous… sans distinction…

Pourtant, c’est là que le bât blesse car, au lieu de louer Dieu pour cette grâce, au lieu de lui rendre grâce pour ce que le maître appelle « sa bonté », nous ne parvenons pas aisément à entrer dans sa logique qui est aussi la logique du Royaume…

Très vite, en effet, le récit nous paraît dérailler. Il déraille par rapport à la logique économique : Qui est cet exploitant agricole qui est prêt à payer un ouvrier qui n’a travaillé qu’une heure autant qu’un ouvrier qui en a travaillé douze ? Telle est la question du gestionnaire… Ce maître est un panier percé… Sa petite entreprise risque de prendre l’eau…

Mais le maître semble aussi dérailler sur le plan de l’équité. Certes, du point de vue de la justice, il ne revient pas sur sa parole et paie ses ouvriers le salaire promis… mais, du strict point de vue de l’équité, la disproportion, la différence de traitement entre les ouvriers saute aux yeux… elle est colossale… C’est un véritable scandale…  Il faut l’entendre…

Ainsi, selon la logique du monde, la logique du Royaume de Dieu est à la fois injuste et absurde.

Elle ne rend pas justice à nos efforts, elle ne rend pas justice à notre travail, elle ne rend pas même justice à notre engagement …  C’est le pavé dans la mare de ceux qui ont sué tout le jour : le Royaume de Dieu n’est pas une méritocratie ! N’en déplaise aux disciples qui rappellent au Christ qu’ils ont tout abandonné pour le suivre, la parabole nous dit que le Royaume de Dieu, c’est le Royaume de la grâce, de la gratuité, de l’accueil sans condition.

Des ouvriers sont là qu’on n’a pas embauché, le maître les accueille et, ce faisant, à toute heure du jour, leur donne les moyens de vivre. Parce qu’au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit, avec les salaires versés, au propre et au figuré… vivre et pas juste survivre… pour ceux qui sont arrivés en premier autant que pour ceux qui arrivent en dernier…

 

Mais la parabole déraille encore plus et nous déroute aussi par sa chute : « Les derniers seront premiers et les premiers derniers » : On avait bien entendu, et c’était dur à digérer, que le maître avait aboli tout classement, toute hiérarchie…

Et ne voilà-t-il pas qu’il en recrée une autre, une hiérarchie inverse ?

Pourquoi ce renversement nous demandons-nous ? Quelle nouvelle injustice ?

La phrase tout d’abord, fait référence au paiement des salaires : les salaires des derniers sont, dans l’économie du récit, volontairement payés en premier afin, sans doute, que les premiers voient et entendent quel salaire est réservé aux derniers…

Mais cette phrase balaie aussi notre logique méritocrate d’un revers de manche et met en crise nos représentations du Salut, de la justice divine et du Royaume…

Elle met en effet en crise de façon très ironique la position de supériorité souhaitée par les disciples en raccordant la parabole à la conversation qu’ils ont avec Jésus : « C’est ainsi que les derniers seront les premiers et les premiers derniers » conclut Jésus à l’issue de la parabole pour expliquer ce qu’il entendait précédemment en affirmant : « Beaucoup de premiers seront derniers et beaucoup de derniers seront premiers ».

C’est assez étrange parce que les disciples sont en pleine discussion avec Jésus sur le Royaume et le mérite… et ce que Jésus vient de leur dire, c’est que les humains ne peuvent se sauver par eux-mêmes : c’est Dieu qui sauve, gratuitement, pour rien…

Or tout se passe comme si les disciples n’avaient pas compris que ce que leur disait Jésus s’appliquait aussi à eux-mêmes puisque Pierre met immédiatement en avant leur mérite personnel : « Nous qui avons tout quitté pour te suivre, qu’en sera-t-il pour nous ? » et Jésus – qui sait si ce n’est pas pour s’en moquer – leur promet qu’ils seront assis à ses côtés sur des trônes de gloire. Qui sait si ce n’est pas pour s’en moquer puisque presqu’aussitôt, il conclut que les derniers seront les premiers… et les premiers les derniers… Ceux qui ont le plus fait ne sont pas ceux qui accueillent le plus facilement la grâce… Il est bien plus facile de l’accueillir quand on n’a rien mérité que lorsqu’on croit l’avoir gagnée… Ainsi pouvons-nous peut-être comprendre la parabole des ouvriers… adressée d’abord aux disciples… Les premiers à entrer dans le Royaume, à reconnaître le prix, la valeur de la grâce, ce sont ceux qui ne l’ont pas mérité ou qui n’ont jamais cru l’avoir mérité…

Dire que les premiers seront les derniers et les derniers les premiers n’équivaut pas à instaurer une autre hiérarchie mais permet à Jésus de mettre à mal nos hiérarchies : il s’agit d’aider ceux qui se croient supérieurs – en l’occurrence ses disciples- à arrêter de s’ériger en juges des autres… entrer dans le Royaume, c’est renoncer à y entrer par ses propres forces et abandonner la logique du podium.

 

Ainsi, nous sommes tous au bénéfice de la grâce parce que Dieu ne laisse personne sur le carreau, même ceux qui croient avoir mieux travaillé que les autres, parce qu’il nous cherche inlassablement, parce qu’il nous appelle à la vie…

Et ce que nous dit aussi le maître de la parabole en nous envoyant dans son champ pour un travail quotidien, c’est que le Royaume est à vivre ici et maintenant, que c’est ici et maintenant la « nouvelle naissance », que c’est ici et maintenant qu’il faut se laisser déplacer, qu’il faut se laisser déranger, faire ce pas de côté, changer de regard sur les autres et sur nous-mêmes… juste pour vivre, juste pour saisir ce vent de liberté qui nous délivre de toutes nos logiques de compétition… et dans le monde dans lequel nous vivons, c’est une sacrée libération…

Ainsi à travers la parabole, le Royaume de Dieu se rend-il présent dans le monde. La parabole est en elle-même, pour celui qui l’écoute, pour celui qui se laisse déranger et puis déplacer, à la fois une mise en route et un chemin de vie…

Oui, nous sommes appelés à la vie, et nous n’avons pas à nous inquiéter de la rétribution et nous pouvons arrêter de nous comparer, parce que la grâce de Dieu est gratuite comme son amour pour nous est gratuit…et cela fait vivre…

 

Amen

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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