PREDICATION DU 11 JUIN

Vous avez raté le culte du 11 juin ? Retrouvez la prédication de Stéphanie Mercier.

Marc 10, 13-16   Traduction en français courant.

Esaïe 46, 1-8 (jusqu’à « soyez des hommes ! ») Traduction NBS

 

Échapper aux identités d’assignation

 

 

Dans la vie, il n’est pas rare qu’on nous assigne une place : tu es une fille, un peu de délicatesse s’il te plaît… tu es un garçon, sois courageux et fort, serre les dents… tu es l’aîné, montre l’exemple… tu es le petit dernier, forcément le chouchou mal élevé ! … Les normes sociales, le regard des autres, le nôtre aussi lorsque nous intériorisons ces assignations, tout nous enferme dans des fonctions et dans des rôles : tu es un leader et moi un suiveur ; tu réussis tout, je suis un bon à rien ; tu es trop jeune pour comprendre, attends de grandir, passe ton bac d’abord …

Or, ce que les textes que nous venons d’entendre nous racontent, c’est l’histoire d’un Dieu qui ne veut pas qu’on lui assigne une place et c’est l’histoire d’un Dieu qui ne veut pas qu’on nous assigne notre place !

L’évangile de Marc nous raconte une toute petite histoire : Jésus, poursuivant sa prédication sur les routes, est entré dans une maison où il répond aux questions de ses disciples. Des gens se présentent, qui apportent des enfants pour qu’il les touche. Dans le contexte, on peut penser qu’il s’agit d’une demande de guérison.  Or les disciples de Jésus, qui se voient certainement comme sa garde rapprochée, exercent un barrage filtrant et considèrent que les enfants ne sont pas dignes d’approcher du Maître, d’entendre ses paroles, d’écouter la manière dont ils commentent la Loi…

Il faut dire que dans l’Antiquité, l’enfant, ce n’est pas du tout l’enfant-roi… Tout au contraire, c’est celui qui n’a pas la parole, celui qui n’est pas en âge de parler mais aussi celui à qui on ne donne pas la parole… En droit romain, le père a même droit de vie et de mort sur son enfant. Il n’est donc pas un sujet. Pour le judaïsme de l’époque, les enfants sont ceux qui n’ont aucune capacité de comprendre la Torah, c’est-à-dire la volonté de Dieu… Les disciples, font donc le tri… Ils contrôlent, oserais-je dire « en Église », l’accessibilité à la Parole et l’accessibilité au Christ… Et cela fait sortir Jésus de ses gonds… C’est l’une des rares fois, notez-bien… Plus tard, il chassera les marchands du temple, ici il s’indigne et rabroue ses disciples… Or, ce que la colère de Jésus fait voler en éclat, c’est notre tendance permanente à mettre tout le monde en boîte ou en bouteille, et Dieu en premier… C’est l’assignation des enfants à rester dehors parce qu’ils sont des enfants et c’est l’assignation de Jésus lui-même que l’on rend inaccessible, et que, d’une certaine façon, on statufie comme l’une des idoles du livre d’Esaïe… Les disciples, à travers lesquels on peut voir une anticipation de l’Église, ont, en effet, tôt fait de confisquer Dieu… de prétendre détenir un contrôle au nom d’un savoir sur Dieu…  C’est cette assignation identitaire que Jésus refuse avec force.

Parce que le Dieu de la Bible n’est pas un Dieu figé, ni un Dieu que l’on confisque : c’est un Dieu en mouvement…  Parce que le Dieu de la Bible n’est pas un Dieu qui se replie, fut-ce dans une église : c’est un Dieu qui ouvre les bras et accueille – qui nous accueille comme Jésus ces petits enfants – ; un dieu qui accueille sans condition et qui nous prend au sérieux, tels que nous sommes ; c’est un Dieu qui fait voler en éclat les catégories, les hiérarchies et toutes les logiques de classification et de domination… Lorsque nos identités deviennent des prisons, rappelons-nous que Dieu nous adresse une parole de libération, une parole d’amour inconditionnel qui nous dit, comme dans le livre d’Esaïe : Vous vous enfermez et vous m’enfermez dans des rôles, dans des rapports de soumission et de domination… Moi je vous libère, relevez-vous, « Soyez des hommes ! » c’est-à-dire des humains, faut-il le préciser….

 

 

Dans l’Évangile, Jésus ne nous enferme pas, il ne nous assigne pas… Tout au contraire, il nous déplace ! Et, pour cela, il utilise fréquemment le langage de la radicalité et du renversement… Un langage qui remet en question et qui interroge, un langage qui fait bouger les lignes…

Aux disciples qui cherchent le Royaume dans l’étude de la Torah, Jésus dit et répète qu’il faut « recevoir le Royaume comme un enfant. »

Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que cela signifierait qu’il faudrait renoncer à l’étude, qu’il faudrait arrêter de se laisser questionner par les textes bibliques ? Sûrement pas…

Est-ce que cela pourrait vouloir dire qu’il faudrait être pur et innocent ? Certainement pas … La pureté et l’innocence ne sont jamais une condition pour entrer dans le Royaume…

Il faut plutôt entendre que le règne de Dieu est un règne à recevoir et non à conquérir.

Et si le Règne est à accueillir comme un enfant, c’est aussi parce que l’enfant, c’est celui qui est démuni, fragile, à la merci des autres, dans une relation de totale dépendance mais aussi, de ce fait, dans une relation d’abandon et de confiance…

C’est cette fragilité même qui rend apte à recevoir le Royaume comme un don et non comme un dû…

Dieu n’attend pas des athlètes ou des compétiteurs qui suivent un programme ascétique quotidien, que ce soit dans le domaine de la prière, de l’étude, ou de l’observance scrupuleuse des règles de conduite… Des compétiteurs qui, comme dirait Esaïe, portent leur dieu et ploient sous son fardeau…

C’est parce que les enfants ne peuvent se prévaloir de connaissances établies sur Dieu ou d’exploits personnels, c’est parce qu’ils ne peuvent rien porter, c’est parce qu’ils vivent d’abord de confiance, dans leurs parents et dans leur proche, c’est parce qu’ils ne sont pas autosuffisants, qu’ils peuvent accueillir pleinement le Royaume comme un don… et se laisser porter… C’est dire que Dieu ne se donne pas comme un savoir ou comme un ensemble de règles…mais comme une relation à accueillir… dans la confiance…

Car que reste-t-il quand on ne peut pas ou qu’on ne peut plus porter quoi que ce soit ? Que reste-t-il sinon le choix de la confiance dans une parole aimante qui trace son chemin dans notre histoire comme une promesse ? :

« Écoutez-moi (…) vous que je prends à ma charge depuis le ventre de votre mère, / que je porte depuis le sein maternel ! / Jusqu’à votre vieillesse, c’est moi ; / Jusqu’au temps des cheveux blancs je vous soutiendrai ;/ je l’ai fait et je veux encore porter, /soutenir et libérer. »

Le Dieu d’Israël, notre Dieu, n’est pas un Dieu qu’on a à porter : c’est lui qui nous porte et nous supporte… jusqu’au bout… Et nous porter, c’est aussi nous libérer, nous délivrer du poids mort de nos idoles et de nos représentations, de lui, des autres et de nous-mêmes pour nous appeler à la vie !

 

 

Alors voici, dans l’Évangile de Marc, Jésus prend les enfants dans ses bras, il les porte, il les touche et il les bénit… Cela n’a rien d’abstrait… c’est vraiment très concret… En Jésus, Dieu se fait tout proche… Il prend dans ses bras – c’est le langage de la tendresse ; il touche – c’est un geste de guérison ; et il bénit – c’est une parole de libération…

Une parole de libération parce que cette bénédiction est le signe d’un accueil inconditionnel… Elle nous dit que nous sommes aimés sans rien avoir à prouver… C’est une base solide, en quelque sorte… Une parole de libération aussi parce qu’elle ouvre l’avenir…  Elle le rend d’autant mieux possible que nous sommes aimés pour nous-mêmes, comme ces enfants, et non pour les identités dans lesquelles on veut parfois nous enfermer…

Et tous, nous sommes au bénéfice de cette Parole là…

 

 

Au fond, c’est à ce titre que notre Église accepte de baptiser les enfants : parce qu’elle les prend au sérieux et ne prétend pas tout savoir de leur relation à Dieu… Parce qu’elle ne les assigne pas à une place mais qu’ils ont tous leur place, qu’ils ont toute leur place !

 

 

 

Amen !

 

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