PRÉDICATION DU 29 JANVIER 2023

Vous avez raté le culte du 29 janvier dernier ? Retrouvez la prédication du Pasteur Didier Fievet.

RVB de base

Prédication réalisée d’après le texte biblique : Deutéronome 30

     Deutéronome, deutéronome… Qui c’est celui-là ? Et son titre, il est bizarre, les gars… Vous vous souvenez peut-être il y avait une chanson comme ça… Vous savez ce que ça veut dire, Deutéronome ? Une seconde loi. C’est étrange, puisque le livre fait partie de la Torah, c’est à dire de la loi. C’est bizarre, non ?

     Nous sommes au retour d’exil, à peu près six cents ans avant Jésus-Christ. Très schématiquement, après bien des guerres, des trahisons, des coups de poignard dans le dos et des tribulations le peuple juif a été déporté à Babylone. D’abord les élites, puis tout le peuple. On a tout perdu, mémoire, culture, identité. Même le temple… Tout perdu. Au retour d’exil, on réécrit le texte biblique, on le revisite à la lumière de cette question présente dans tous les cœurs, dans tous les esprits : pourquoi ce malheur est-il arrivé ? Et comment éviter pareille catastrophe ? A question angoissée, réponse simpliste : c’est arrivé à cause de votre infidélité. Revenez à la fidélité… (La recherche historique nous apprend que dans cette refondation, il y a une dangereuse volonté de sacraliser une identité, aux relents guerriers.) Car la vraie question, c’est la fidélité à qui, à quoi ? C’est quoi être fidèle ?

     Sur quoi fonder un avenir ? Sur quoi fonder la vie, s’il y en a encore une à venir ? Vous entendez bien que ces questions sont d’une terrible actualité. Les nationalismes tueurs, les fiertés imbéciles, une technologie qui n’a pas d’autre limite que celles de ses possibles, l’État quand il se prend pour Dieu et que ses devises prétendent dire l’ultime horizon de l’humain, la religion quand elle se recroqueville sur elle-même… Tout notre monde s’effondre. Dur constat. Pas pire, sans doute, que le monde du Deutéronome.

     Ce qui fait Évangile, je dis bien Évangile, (je ne parle pas des quatre romans qui mettent Jésus en scène, mais de la bonne nouvelle de Dieu qui traverse toute la Bible, de part en part) c’est le cri d’une fidélité bafouée, comme anéantie, trahie : celle de Dieu ! L’insistance des répétitions, l’appel à la fidélité, la dénonciation des idoles, c’est le cri d’un Dieu qui supplie : choisis la vie ! Choisis la vie pour que tu vives. C’est ce que Dieu dit, encore ce matin, au peuple des humains. Et à chacune et chacun. Choisis la vie, ici, maintenant. C’est ici et maintenant que je coupe à nouveau l’alliance avec toi. (En hébreu, on dit couper une alliance. Une alliance consacre une séparation pour verser, au fond du fossé, la confiance. La fidélité c’est faire confiance à la confiance de l’autre. L’Évangile, c’est d’affirmer que c’est Dieu qui est fidèle. Fidèle à son désir de vie pour nous, les humains. Pas d’une vie émasculée, édulcorée, passée à la machine des faux-semblants. Pas d’une vie de saints. Mais d’une vie gracieusement offerte. Sans rien n’avoir à prouver.

     Choisis la vie… Car souvent, nous choisissons la mort. C’est notre premier mouvement. Paradoxal, je vous l’accorde, mais qui mine notre histoire. Qui mine nos histoires. Pourquoi ont-ils tué Jaurès chante Brel ? Pourquoi préférer la soumission à la liberté, la complicité avec le malheur plutôt que le bonheur ? Pourquoi préférer la rancœur au pardon ? Pourquoi la vie nous fait-elle peur ? Pourquoi voulons-nous l’endiguer, la confiner dans des principes qui finissent par l’étouffer ? Choisir la vie, c’est d’abord reconnaître une fascination, pire un attachement à ce qui tue. Au cœur du principe de plaisir, dans les replis de son manteau disait Freud, se tapit un principe de mort. Au cœur même de ce que l’on croit être le bonheur se dissimule un goût pour le malheur. Peut-être parce qu’on a peur d’être déçus…

     Choisis la vie… Ne confonds pas le « toujours plus » de confort avec le désir de la vie. Il y a assurément un confort nécessaire, mais il est un autre confort qui t’enferme sous son abondance, t’enterre dans des cercueils de velours. Il y a un confort qui vise une vie qui se suffirait à elle-même, qui aurait perdu sa contingence, sa gratuité. Qui ne serait plus humaine.

     Choisis la vie, ne démissionne pas de ton humanité, ne te résigne pas à n’être que le fruit d’un monde qui fuit sa fragilité dans une culture du « toujours plus ». Est-ce à dire qu’il faut se réfugier dans un ascétisme religieux ? Une fuite hors du plaisir. Les protestants n’ont que trop donné de ce côté-là. Choisis la vie, choisis aussi le plaisir, c’est un cadeau. Mais ne te laisse abuser par lui : qu’il ne soit pas ton maître sauf à découvrir qu’au creux du plaisir tu pourrais bien entrevoir une fascination pour ce qui tue. Qui a mené à bien des défections coupables. On a préféré un silence coupable du confort feutré à la protestation. On n’a rien dit. On n’a pas fait de vagues. Ils sont tous morts, et notre âme avec… Entendez-bien, il ne s’agit plus de se réfugier au ciel, de croire que la tragédie se diluera dans une vie après la mort. Il ne s’agit plus d’obéir à des prescriptions religieuses qui n’auraient d’autre valeur que de payer le ticket d’entrée dans un autre monde, inhumain à force de se croire saint. Les religions ont beaucoup cultivé cette vision des choses, y compris dans la chrétienté. Mais, c’est oublier que l’alliance de Dieu ne vise pas à faire de nous des anges, mais des humains. Toujours pris dans un désir trouble. Toujours pris dans des contingences qui lui font peur : inscrit dans une histoire, avec un début et une fin. Inscrit dans un corps. Toujours pris dans le malheur, mais assez aimés pour choisir la vie et le bonheur. Il ne s’agit pas de déserter le monde. Il s’agit d’y écrire une nouvelle page à l’encre de la promesse. C’est cela choisir la vie. Consentir à n’y être que de passage, consentir à ce qu’elle nous traverse sans que nous puissions la retenir. Mais s’y risquer de tout son désir.

     C’est cela être fidèle à la fidélité de Dieu.

     Pour que tu vives. Que tu vives d’humanité.

     Amen !

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