Prédication du dimanche 16 juin 2024

Pour le dimanche 16 juin, Stéphanie Mercier a choisi de s'appuyer sur la parabole du semeur que l'on trouve dans l'Évangile de Marc chapitre 4, versets 26 à 34.

Assurés dans la confiance

                       

A travers les paraboles du semeur et de la graine de moutarde rapportées par Marc, Jésus nous parle du Royaume et il nous parle de confiance. Voilà, c’est simple, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles, le Royaume croit, le Royaume grandit à notre insu.

 

Pourtant, est-ce si simple d’ajouter foi à ces récits lorsque l’on voit l’état du monde ? Comment faire confiance à la promesse dont ces textes sont porteurs lorsque l’on considère le chaos du monde lorsqu’il ne s’agit pas de faire germer la terre mais de la conquérir pied à pied, lorsqu’il ne s’agit plus d’habiter ensemble sous les branches d’un arbre mais de détruire, de massacrer, d’exiler ou même d’exclure, de repousser, de rejeter.

 

Dans ces conditions, ne sommes-nous pas tentés de considérer ces paraboles comme de petits discours utopistes, naïfs et un peu lénifiants : ne vous en faites pas, les gars ; ne vous en faites pas, les filles ; ne vous en faites pas, les humains, le Royaume germe quand même. Veillez, dormez, faites comme vous voulez, il germe, soyez-en sûrs.

 

Cette question, mes amis, elle travaillait déjà les premiers chrétiens, elle travaillait déjà St Augustin qui distingue deux cités : la cité terrestre, celles des humains, faite de violence, de colère, de guerres et de massacres où l’injustice règne et où il semble qu’il n’y ait plus d’espoir et puis la cité de Dieu qui croit malgré tout, mystérieusement.

 

Et cette question de savoir si vraiment on peut y croire à ce Royaume déjà présent de façon cachée, Dieu y a déjà répondu. Il y a répondu avant nous, il y a répondu le premier en s’engageant le premier : Dieu nous fait confiance, Dieu met sa confiance en nous. Il ne s’impose pas mais nous donne sa Parole qui est une Parole pour croître, une parole pour grandir, une parole pour devenir nous-mêmes c’est-à-dire, très exactement, une parole d’amour.

 

C’est lui qui commence, il nous donne sa Parole et nous pouvons l’entendre à la fois comme une promesse comme quand on nous dit « je te donne ma parole » et comme quelques mots qui sont de ces mots qui ensemencent, qui relèvent, qui donnent courage, qui réorientent.

 

Et dans sa Parole, le Royaume est déjà là, en germes.

Dieu nous donne sa Parole et il se donne même lui-même, en Jésus, Parole qui fait croître, Parole qui fait grandir, même si le monde l’a crucifié.

C’est ce qui donne sens à la vie malgré tout, c’est ce qui donne espérance dans le monde, malgré tout, c’est ce qui nous donne force dans notre faiblesse malgré tout.

Et c’est pourquoi cela vaut bien la peine d’entendre cette Parole de confiance de Dieu sur nous pour que, nous aussi, nous vivions de confiance. Pour que, nous aussi, nous apprenions à faire confiance, malgré tout.

 

Et le tout début de la confiance, c’est peut-être de se mettre à l’écoute de ces paraboles, de ces petits récits, littéralement « jetés à côté » (c’est le sens du mot parabole), au bord de notre route, l’air de rien, par Jésus. Des petits récits dans lesquels le Royaume est juste à côté, tout proche de la vie de ceux qui écoutaient Jésus et encore raisonnablement proche de la nôtre, plus urbaine : c’est l’histoire d’un humain qui sème des céréales, c’est l’histoire d’une pousse de moutardier dans un potager.

 

Le tout début de la confiance c’est peut-être d’accepter que le récit germe en nous parce que ces récits, en des images parlantes, portent en eux une promesse de croissance et une promesse de joie :

Un humain jette des graines et récolte du fruit ; un grain de moutarde – ou de sénevé, c’est la même chose -, la plus petite des graines, donne un arbre immense qui abrite tous les oiseaux du ciel, ceux qui viennent de partout. « Ceci est le Royaume de Dieu » dit le texte.

 

Comprenons donc que le Royaume est ici, ce qui croit, ce qui grandit. Que le Royaume c’est chaque fois qu’une parole nous amène à grandir et à devenir nous-même. Chaque fois que nous recevons, mais aussi chaque fois que nous prononçons une parole qui accueille, qui met debout, qui redresse plutôt qu’une parole qui nie l’autre, l’accable ou l’humilie.

 

Mais faire confiance, c’est aussi accepter de ne pas tout maîtriser. Et c’est bien de ce lâcher prise dont nous parlent ces paraboles.

 

De lâcher-prise parce que, nous le savons bien, il y a plusieurs façons d’habiter le monde comme il y a plusieurs manières d’entrer en relation avec les autres. Nous pouvons habiter le monde en propriétaires, définir des frontières et des limites à nos territoires et pourquoi pas les agrandir. Nous pouvons aussi habiter le monde en démiurges, tenter de façonner les autres comme nous aimerions qu’ils soient, même par amour disons-nous parfois, en confondant l’amour véritable avec nos fantasmes.

 

A l’inverse, ces paraboles nous invitent à l’humilité et à la dépossession :

La première parabole du Royaume n’insiste pas sur le territoire du semeur – le Royaume ne se possède pas – mais sur son geste : le geste de celui qui se dessaisit.  Elle ne parle pas non plus de sélectionner et de choisir des semences mais elle parle du retrait du semeur. Le Royaume, c’est quand celui qui a semé, son geste accompli, se retire, et, de jour comme de nuit, laisse grandir. C’est quand ce qui est semé échappe à celui qui l’a semé.

 

Et c’est certainement la seule façon de vivre en laissant sa vraie place à l’autre, sa juste place à l’autre. C’est vrai dans nos relations aux autres, c’est vrai pour nous tous qui vivons des relations de transmission ou de témoignage, d’accompagnement, d’échanges. C’est vrai pour toutes nos interactions, familiales, amicales, professionnelles. C’est vrai d’une parole et c’est vrai d’un geste. Leur effet, même et surtout lorsqu’il s’agit d’interactions bienveillantes nous échappe et c’est important qu’il nous échappe. Comment le grain pousse et même s’il pousse, le semeur ne le sait pas et cela ne lui appartient pas.

 

Et puis, ce qui nécessite aussi de la confiance, c’est l’inscription du Royaume comme de notre humanité dans le temps long qui est celui de la croissance et d’une croissance dont le rendement n’est pas assuré : le semeur ou la semeuse de la parabole, si nous lisons bien le texte ne récolte qu’un seul épi, avec plein de grains sur l’épi certes, mais un seul épi et cela ne pose aucun problème.  A nous qui vivons une époque où il est question constamment de rendement et de rentabilité, il faut entendre que le Royaume échappe à cette loi, raison peut-être de reposer en paix, comme l’humain de la parabole, et de se réveiller dans la confiance.

 

 

Ainsi, s’enraciner dans la confiance, habiter la confiance, choisir la confiance, c’est aussi pouvoir se réjouir de ce qui vient, de ce qui croît, de ce qui grandit, quelles qu’en soient la taille et le fruit ; de se réjouir que cela nous échappe et aussi d’en accepter la surprise. Et l’on peut dire que dans ces récits, Jésus choisit de surprendre, en particulier en jouant de la disproportion. Dans la première parabole, le semeur sème et sa récolte, assez curieusement, se manifeste sous la forme d’un seul épi. A l’inverse, dans le second récit, d’un singulier – une minuscule semence – germe tout un monde, un arbre immense avec des branches qui donnent de l’ombre aux oiseaux innombrables du ciel. Du plus fragile, de presque rien, peut naître tout un monde et n’est-ce pas cette bonne nouvelle qu’il nous faut accueillir ? Le Royaume ne peut grandir et s’épanouir qu’à partir de cette fragilité première de la graine, qu’à partir du retrait premier du semeur. Pour que le monde soit vivable, pour que nous puissions accomplir notre humanité, pour qu’il y ait de la place pour tous, pour que nous puissions y prendre part dans la liberté qui est celle des oiseaux du ciel et des enfants de Dieu, nous ne pouvons qu’accepter la fragilité, notre fragilité presque comme un principe premier. C’est ce que Dieu accepte, c’est ce sur quoi il insiste, c’est ce qu’en Jésus, il vient vivre avec nous ! Car, en Jésus, Dieu ne vient pas à nous dans un esprit de conquête mais avec des paroles de rencontre, il ne vient pas à nous dans la toute-puissance d’une Parole qui s’impose mais dans la fragilité de récits qu’il nous appartient d’interpréter les paraboles. Des récits qui nous parlent d’une fragilité qu’il faut vivre dans la confiance et, soit dit en passant, des récits dont on n’épuise jamais le sens et surtout pas dans le cadre d’une prédication.

 

 

Faire confiance enfin, c’est entendre ces paraboles non seulement comme une parole publique mais comme une parole privée, intime, qui nous parle, à nous en propre. Et c’est ainsi que l’on peut comprendre le verset 34 qui dit « Mais sans parabole, il ne leur parlait pas. Et en privé, à ses propres disciples, il dénouait tout ». Pour que les paraboles ne soient pas juste de jolies histoires, nous sommes invités à les entendre en disciples, c’est-à-dire à les laisser résonner en nous pour qu’elles deviennent une parole intime et à l’ombre de laquelle, il nous est possible de méditer, de nous reposer, d’espérer et d’accomplir notre humanité. Qu’il nous soit donné de l’entendre dans la Paix et la Joie !

 

Amen

Stéphanie Mercier

Rennes, dimanche 16 juin 2024

 

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