Prédication du dimanche 21 avril 2024

Du fait de la présence de nos amis du Mans le dimanche 21 avril, nous avions donné carte blanche à l'un des prédicateurs laïcs sarthois pour la prédication. C'est Yves MADIBA qui a relevé le défi. Pour cela, il s'est basé sur le chapitre 1 de l’Évangile selon Jacques, versets 19 à 25 pour rédiger son texte.

Parole… Paroles, paroles !

La Parole… paroles… paroles. Le monde est plein de paroles. La télévision déverse des paroles à longueur de journées. Les journaux sont couverts de paroles, le net, les réseaux sociaux sont inondés de paroles. Paroles de ceux qui croient savoir, de ceux qui disent savoir, paroles de ceux qui veulent savoir… et on peut allonger ainsi la liste à l’infini. Spécialistes ou non, intéressés ou non, innocents ou coupables. Followers ou influenceurs (j’avoue avoir du mal avec ces termes, car leurs racines me ramènent toujours à une image de moutons de Panurge, sous influence…). Quoiqu’il en soit, tous croient avoir quelque chose à dire, prennent la parole et font des discours. Multiples bergers qui nous éloignent du bon et nous sortent du chemin. On en a plein les oreilles, mais ces paroles surabondantes ne vont pas toutes jusqu’au cœur. La plupart du temps, elles glissent et nous laissent froids et indifférents. Et parfois même, elles arrivent à changer le regard que nous avons de nous. Mais savons-nous rester malgré tout nous-même, en revêtant le statut de suiveur (followers) ?

 

Nos rassemblements du dimanche sont aussi des lieux de parole. On parle beaucoup pendant un culte. On explique cette parole particulière qu’est la Parole de Dieu. Liturgie et prédication se veulent des proclamations, sous diverses formes, de la Parole unique. Quand Jacques aborde la question de la parole, il vise le culte. Ce culte qui, de son temps comme du nôtre, était à la fois discours et écoute d’une Parole.

Jacques lance un avertissement : attention à ne pas trop parler, veillez plutôt à écouter. “La parole est d’argent et le silence est d’or”, aurait-il pu dire. Et cette mise en garde contre l’empressement à trop parler, on peut encore l’entendre aujourd’hui.

Il serait facile de réduire notre rencontre de ce matin à un monologue : celui du prédicateur qui parle, et de l’assemblée qui écoute dans un silence recueilli ou distrait.

Mais est-ce vraiment tout ce que nous faisons ici ? Peut-on vraiment vous réduire à de simples consommateurs de paroles ?

Que nul ne néglige d’être prompt à écouter, lent à parler”. Ce conseil reste toujours valable. Le silence et l’écoute n’ont pas de sens pour eux-mêmes. Ils ont un sens quand nous décidons de vivre ce que nous venons d’entendre. L’écoute n’est qu’un point de départ. Elle doit être suivie de la mise en pratique. La Parole de Dieu se distingue sur ce point-là au moins de la parole humaine. La parole des hommes n’a pas besoin qu’on lui obéisse, sauf quand ce sont des ordres militaires. Si c’était le cas, nous serions contraints à des obéissances bien contradictoires ! Mais la Parole de Dieu se caractérise par ce fait qu’elle suscite notre obéissance et qu’elle l’attend. Si nous ne la vivons pas, elle ne sert plus qu’à notre condamnation.

Nous avons une bouche et deux oreilles. Ce qui signifie que nous devrions écouter deux fois plus que nous ne parlons. Ce serait déjà bien et Jacques serait sûrement d’accord. Mais je vous fais remarquer aussi que nous avons deux bras et deux jambes. Quatre membres qui servent à l’action ; nous devrions donc agir deux fois plus que nous n’écoutons et quatre fois plus que nous ne parlons. En fait, si ce compte est bon, cela veut simplement dire que l’important, c’est de vivre ce que nous avons compris de la Parole. Ce qui entre par les oreilles doit ressortir en actes, pas seulement en vaines paroles emportées en un souffle par le vent. De fait, la Parole de Dieu nous renvoie donc dans le monde, dans ce lieu où elle se réalise et prend corps à travers ce que nous faisons.

Autrement dit, le culte, ce culte, n’est qu’un point de départ. C’est le premier acte d’une pièce qui se continue ailleurs. Le culte est le moment du ravitaillement, le moment où nous prenons de la nourriture pour pouvoir vivre ensuite. Et la vie commence à la sortie du culte, avec les autres, en public, dans la rue. C’est là que la Parole s’accomplit et devient force de vie.

 

L’image du miroir employée est très significative : la Parole me montre tel que je suis… Et le portrait n’est jamais à mon avantage !

Pour connaître mon aspect physique, il faut que je me regarde dans une glace. Alors, je vois mes traits, mes membres, ma taille et, peut-être aussi, mes défauts corporels. Jacques dit : La Parole de Dieu, c’est comme un miroir. Nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, ou très mal. Nous nous faisons des quantités d’illusions sur nous-mêmes. Il nous arrive de nous tromper volontairement ou inconsciemment, pour éviter de reconnaître nos erreurs ou nos lacunes. Nous ne pouvons trouver une réponse satisfaisante simplement en entrant dans un monologue avec nous-mêmes. Lorsque nous prenons notre propre personne comme point de départ pour savoir qui nous sommes, nous ne contemplons pas un miroir parfaitement poli, mais au contraire nous contemplons un miroir brisé aux multiples facettes. Et personne n’a jamais été capable de détecter son image de manière satisfaisante dans un miroir brisé ! Au mieux, on peut surtout apercevoir quelques reflets de notre image dans un miroir brisé.

Pour reconnaître à quoi ressemble notre propre visage et découvrir véritablement qui nous sommes, il nous faut nous regarder dans le miroir de la Parole de Dieu.

La Parole de Dieu nous apprend, ou nous réapprend, qui nous sommes. Elle nous montre notre véritable nature, elle reflète notre vrai visage. Non, la Parole nous montre notre véritable nature humaine, Elle nous dit certes que nous sommes comme les pièces brisées d’un miroir, mais en même temps, elle nous restaure en un tout uni, tel que Dieu l’a créée. Par elle, nous découvrons notre véritable personnalité, celle que le Seigneur a formée et qu’il veut nous conserver.

A nous de ne pas être celui qui se regarde dans une glace et puis s’en va en oubliant comment il est. Nous ne devons pas être comme celui qui se regarde dans une glace, et choisit quel morceau du miroir il souhaite emporter en souvenir. Nous gardons le souvenir de nous-mêmes, nous conservons notre moi entier, reconstitué par la mise en pratique de la Parole. Les gens nous connaissent, non seulement en voyant notre aspect physique, mais aussi en voyant comment nous vivons. Nous révélons notre visage encore mieux par nos actes. Cette personnalité que Dieu nous donne, nous la conservons par notre manière de vivre en accord avec sa Parole, par sa mise en pratique. Si nous oublions cette Parole, si nous la laissons derrière nous en sortant du culte, nous nous perdons nous-mêmes en cours de route, nous perdons notre moi, nous perdons notre nature.

C’est de cette façon que la Parole de Dieu devient vérité. Elle n’est pas comme la parole des hommes, souvent inefficace et d’autant moins importante qu’elle se multiplie davantage, au point de se diluer parfois, ou de disparaître. La Parole de Dieu agit, elle crée et recrée notre personnalité, elle nous montre qui nous sommes pour nous permettre de vivre en accord avec nous-mêmes.

De cette Parole, il dit qu’elle est la loi de la liberté. Elle nous libère de nos illusions et de nos mensonges sur nous-mêmes, de nos faux principes moraux. La Parole ne nous enferme pas dans la conscience de nos péchés ou dans le souvenir amer de nos manquements, comme si Dieu prenait plaisir à nous humilier. Au contraire, elle nous libère de nos fautes et de nos erreurs, pour nous permettre de vivre libres, de cette liberté que Dieu nous donne. Elle apparaît comme vérité au-delà de ce que nous renvoie le miroir, intangible mais tellement palpable, si loin et à la fois si près, parce qu’elle fait partie de nous. Elle est un don de Dieu.

Cette Parole, cette “loi”, n’est pas un « code » contraignant mais la pensée révélée d’un Dieu connu et aimé dont la volonté est suivie avec joie, car elle ne parle que d’amour infini.

 

Au milieu de ces exhortations de Jacques, relevons deux promesses. Nous avons déjà relevé la première : celui qui vit la Parole se trouve lui-même. La seconde est une promesse de bonheur : “Le réalisateur agissant trouvera le bonheur dans ce qu’il réalisera”. Le bonheur n’est pas la récompense de nos efforts, il n’est pas ce qu’on mérite quand on met la Parole en pratique. Mais il est le résultat normal, l’accompagnement tout naturel de la vie juste.

Le bonheur de la Parole mise en pratique ressemble au plaisir que procure l’exercice physique à une personne en bonne santé, ou à la sensation d’aisance qui envahit l’artiste réalisant une œuvre. Cette sensation-là, c’est le bonheur d’être soi-même, de se sentir bien dans sa peau. Il correspond à notre nature retrouvée, dans une relation juste avec Dieu et avec nous-mêmes. Ce bonheur est aussi un don de Dieu. Et c’est un Bonheur qui irradie et se partage.

C’est pourquoi aujourd’hui, je voudrais que nous marquions ce rendez-vous entre nos deux paroisses avec des mots :

A l’entrée du temple, vous avez une corbeille posée à côté d’une ramette de papier vierge et de stylos. Dans cette corbeille, il y a un petit tas de feuilles pliées en quatre. Ce sont des paroles offertes venant du Mans. Et je vous invite à faire comme nos paroissiens : à prendre une feuille et à y mettre une pensée, une prière, un mot, quelque chose qui deviendra le repos d’un autre vous-même que vous ne connaissez pas forcément, mais qui compte aux yeux de Dieu… Comme vous. Vous pouvez prendre en retour un pli d’un inconnu ou d’une inconnue.

Ces paroles anonymes sont un peu la respiration de quelqu’un qui vous souhaite du bien, quelqu’un qui vous dit qu’il vous aime, quelqu’un qui partage avec vous le souffle secret qui nous traverse et transforme le monde…

Le souffle de Dieu.

Amen.

 

Yves MADIBA

Rennes, dimanche 21 avril 2024

Photographie : Wikimedia Commons / DR

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