Veillée de Noël 2023, prédication narrative

(Un personnage s’avance appuyé à un long bâton, une lampe tempête à la main.)

Enfin seul….

Enfin débarrassé de ces gosses qui courent autour de moi en criant : « Jacob, il a mauvais caractère », « Jacob, il parle tout seul ».

J’en ai assez de leurs rires moqueurs, de leurs réflexions stupides. À chaque fois que je vais à Bethléem, c’est la même histoire : « Jacob, il a mauvais caractère », « Jacob, il parle tout seul » …

Ben ouais, je parle tout seul… Mais je n’ai pas mauvais caractère (dit-il en râlant) !

Je parle tout seul… Je parle tout seul… Pffff ! Je voudrais bien les y voir, eux, comme leurs parents…

Quand on est berger, on est tout le temps seul… Parce qu’on n’a personne à qui parler… On n’a personne qui vous écoute… Alors, oui, je parle tout seul, je me parle à moi-même. Ce ne sont pas les moutons qui ont une grande conversation… Eux, à part dire « Bêêêê ! » avec un air idiot, il n’y a pas grand-chose à en tirer.

Je parle tout seul, je parle tout seul… Ça m’occupe…

S’ils savaient, tous ces habitants de Bethléem et même de Jérusalem et d’ailleurs, ce que c’est d’être berger… Nous, les bergers, il faut qu’on s’occupe des bêtes tout le temps. Alors, pas moyen d’aller à la maison commune, encore moins au temple de Jérusalem. Pas moyen de suivre les prescriptions des rabbis et des scribes… Même le Sabbat, on ne peut pas le suivre… Faut s’occuper des bêtes…

Alors c’est pour cela qu’on nous prend pour des moins que rien, des mécréants… J’en ai assez du regard méprisant des religieux orgueilleux, de ces villageois bien-pensants… On est berger parce qu’on est pauvre… Parce qu’on ne nous a rien appris d’autre… Parce que personne ne veut garder les moutons… Alors on fait appel à nous.

Les sales boulots, on les refile toujours aux plus pauvres, à ceux qui ne savent pas causer en sociétés… Les gars comme moi… Les gars comme mon père… Les gars comme le père de mon père…

La pauvreté, c’est comme le malheur, la tristesse, la douleur… Ça vous rentre dedans le corps.

Allez Jacob ! Tu ne vas pas te laisser aller à te morfondre sur ta situation !!!

Personne ne veille sur toi ! Eh bien je m’en moque… Moi, j’ai les étoiles comme compagnie : elles sont fidèles, elles sont là tous les soirs. Elles brillent, clignotent… Certaines filent comme une pensée heureuse qui traverse notre âme…

Tiens, je deviens poète : Jacob ! Tu te ramollis !

 

(Silence)

 

N’empêche… Quand j’y pense… Il y a cette étoile qui est apparue dans le ciel, ces dernier temps… Je ne l’avais jamais remarquée… C’est drôle, elle n’était pas plus grosse que les autres mais pourtant, elle éclairait… Non, elle n’éclairait pas ! Elle guidait plutôt… Comme celles que suivent les voyageurs dans le désert, celles qui évitent qu’on se perde quand tout est noir, quand tout est sombre.

L’étoile semblait être au-dessus de Bethléem… Pffff ! Bethléem… Qu’est-ce qui pourrait arriver dans ce trou perdu de Bethléem… Ça a beau être la ville du roi David, ça fait longtemps qu’il n’est plus là, que c’est un petit bourg de campagne… On ne va pas me faire croire que cette étoile signalerait quelque chose comme un nouveau roi… À Bethléem….

N’importe quoi… Un nouveau roi… Et pourquoi pas le Messie tant qu’on y est…

Et puis… Ah, ah ah (Il rigole) … Ah j’y pense… Mais qu’est-ce qui leur a pris, aux collègues… À mon avis, ils ont dû abuser de vin doux… Fourni par qui ??????

On m’a dit, qu’une nuit, un ange est venu avec tout le tralala divin… Ah, ils ont dû avoir une sacrée frousse… Et d’après ce qui se dit à Bethléem, l’ange leur a annoncé la naissance du gamin qui est né cette nuit-là… Dans une étable…

V’là que les anges se déplacent pour annoncer à des moins que rien la naissance d’un pauvre gosse, fils de malheureux…

N’empêche que, ces bergers dans nos campagnes qui se sont mis à chanter, en pleine nuit, avec les « armées célestes », il y a une chose qu’ils ne savent pas…

Le père de l’enfant, je le connais…

 

(Silence)

 

C’est Joseph, le fils du charpentier qui est lui-même charpentier et qui a émigré à Nazareth, là-bas, dans le nord…. Je le connais… On était copain quand on était gamin… On a même fait les 400 coups ensemble… Bien que lui, il culpabilisait à chaque fois qu’on faisait une bêtise… Il avait toujours des remords… Toujours prompt à s’excuser… Mais attention, il n’a jamais dénoncé personne… C’est ce que j’appellerais un type réglo, un gars bien, presque trop bon… S’il était rabbin, on dirait que cet homme est JUSTE.

Mais tu parles, sa famille a beau être de Bethléem, ils l’ont quand même refoulé dans l’étable miteuse, lui et sa toute jeune épouse. Sous le prétexte bidon qu’il n’y avait plus de place ailleurs…

C’est d’ailleurs là qu’elle a accouché… La gamine… Dans l’étable… Parmi les animaux…

Elle est toute jeune, elle est toute fragile… Les gens de Bethléem l’ont quand même laissée là…

Je parie qu’ils faisaient la fête, qu’ils se réjouissaient tous de se retrouver, sous prétexte de ce recensement que les occupants romains (Pffout ! Il fait signe de cracher par terre) ont ordonné : pour obéir à l’occupant, obéir au tyran, tout le monde courbe l’échine… Par contre, pour le devoir d’hospitalité, alors là, il n’y a plus personne.

Et c’est là que l’enfant est né. Naissance misérable… Dans une étable. Pauvre gamin… Il commence bien dans la vie celui-là… Pourvu que Yahvé lui prête vie…

Cette naissance, quand j’y repense, c’est vraiment n’importe quoi…

Le pompon, c’est quand, quelques jours après, on m’a dit que des mages se sont pointés, des mages !!! Venus je ne sais d’où… Mais pas du coin ! Les gens racontent n’importe quoi : il paraît qu’ils sont arrivés avec de l’or, de la myrrhe et de l’encens…

L’or, c’est pour les rois !… La myrrhe, c’est pour les dieux !… L’encens, c’est pour les morts…

Cet enfant, c’est bien un bout de vie qui vient à nous… Et on le prend pour un roi, pour un dieu et on pense déjà à sa mort…. Eh bien moi, je lui souhaite bien du courage !

Non vraiment, cette naissance… C’est n’importe quoi ! Tout ce qui se raconte, ils ne vont pas me le faire croire à moi, Jacob ! Ce n’est pas parce qu’on est pauvre, berger, qu’il faut croire des histoires pareilles…

Un enfant… Dans de la paille… Pauvre enfant… Si ce n’est pas malheureux…

D’après ce qu’on raconte, ce sont ses parents qui ont dû être surpris. Les gens du village les envoient dans l’étable et v’là qu’ils voient défiler toute la racaille des bergers du coin et ces drôles de mages, des étrangers…

Ah, le gars Joseph… Il ne s’y attendait pas… Lui et sa toute jeune épouse… Une jeune fille charmante et toute douce…

Comment s’appelle-t-elle au fait ?? Ah, v’là que je n’ai plus ma tête…

Myriam ?… Marie ?… Marie de Nazareth ! … Ça y est, ça me revient !

Ils sont mariés depuis moins de 6 mois…

 

(Il devient songeur)

 

6 mois… !!!??? Et l’enfant qui vient de naître !!!!???

Mais dites donc !! … N’auraient-ils pas mis la charrue avant les bœufs ?

Ce n’est pas du genre du Joseph….

Alors la Marie… ??? Est-ce qu’elle aurait fauté… ???

Pauvre gamine… Si les gens de la religion avaient su ça, elle aurait été surement lapidée, rejetée, humiliée…

Elle aurait pu dire, pour se défendre, que c’est un coup du Saint Esprit… Mais qui l’aurait cru ?

Qu’elle affaire !? Pauvre gamine, pauvre Marie… Ce n’est pas possible qu’elle ait pu faire cela ! Pas elle !

 

(Temps de silence)

 

Joseph.

Joseph… Mais c’est bien sûr… Joseph.

Il aurait pu… Il aurait dû la répudier… Tout le monde aurait alors publiquement loué l’honneur de l’homme vertueux… Tout le monde aurait crié sa haine de la femme « pêcheresse » : c’est si facile pour les humains d’aduler le héros quand c’est un homme et de mépriser la malheureuse quand c’est une femme…

Mais Joseph, le gars Joseph… Lui, c’est un JUSTE.

Pas un de ces « Justes », ces soi-disant vertueux dont les gens du temple prétendent définir les qualités à la place de Dieu.

Non, Joseph est un… Juste… Je le connais, Joseph, depuis l’enfance…

C’est un juste devant Dieu, devant Dieu seul.

Un juste dit oui quand tous disent non, au prétexte de la bonne morale.

Un juste accueille quand tous voient avec méfiance.

Un juste ne dit rien quand tous s’excitent et s’exubèrent.

Un juste voit, écoute les cœurs.

Un juste ne parle pas… Mais ses gestes, sa manière d’être, sa relation à l’autre dit tout.

Le juste est une louange à Dieu car c’est un être humain libre, debout qui marche avec Lui.

Joseph est un juste.

Il a accueilli Marie, il a accueilli l’enfant. Il a rejeté la haine, ignoré le mépris.

Il a du bien rigoler en lui-même quand il a vu les yeux écarquillés des bergers et la démesure des mages.

Mais Joseph n’a rien dit : comme Dieu, il a bien vu la joie et l’espérance qu’il y avait au fond du cœur des bergers et des mages.

Cette histoire, cette naissance sont insensées. Une nuit, une étoile, une étable, des bergers, des mages…

Mais Joseph est un JUSTE… Joseph est mon ami.

Il connait la promesse.

 

Livre d’Ésaïe, chapitre 9

 

Le peuple qui marche dans la nuit voit une grande lumière.

Sur ceux qui vivent au pays des ténèbres, une lumière se met à luire.

Seigneur, tu fais grandir la nation, tu rends sa joie immense.

On se réjouit en ta présence comme on se réjouit à la moisson, comme on crie de joie en partageant le butin.

Ainsi que tu le fis autrefois, quand tu mis les Madianites en déroute, tu brises aujourd’hui le joug de l’oppression qui pèse sur ton peuple, la barre qui écrase ses épaules, le gourdin dont on le frappe.

Et toute botte ennemie martelant le sol, tout manteau roulé taché de sang s’enflamment et deviennent la proie du feu.

Car un enfant nous est né, un fils nous est donné.

Dieu lui a confié l’autorité.

On lui donne ces titres : Conseiller merveilleux, Dieu fort, Père pour toujours, Prince de la paix.

Il doit étendre son autorité et assurer une paix sans fin.

Il occupera le siège royal de David et régnera sur son empire, pour l’affermir et le maintenir en établissant le droit et l’ordre de Dieu, dès à présent et pour toujours.

Voilà ce que fera le Seigneur de l’univers dans son ardent amour.

Joseph est mon ami.

Je ne sais pas, je ne sais plus si tout ce qui s’est passé cette nuit-là est vrai, est bien réel.

Mais je sais que Joseph a accueilli Marie comme il est devenu mon ami. Je sais qu’il a un cœur assez grand pour rendre cette histoire vraie, cette histoire possible.

Tout est possible quand on a un cœur accueillant, tout est possible quand on ne juge pas les gens au premier regard, tout est possible quand on a le courage de laisser de côté la bêtise humaine pour faire place à la douceur que Dieu met en chacun de nous, tout est possible quand notre humanité est à l’image Dieu.

Bon, Jacob, il est tard maintenant. Le jour va se lever et tu n’as pas beaucoup dormi.

 

Hier était une journée harassante :

 

J’ai entendu les cris des habitants de Bethléem quand les soldats sont arrivés. Les cris de rage, les cris de fureur, les cris d’effroi…

Il paraît qu’ils cherchaient l’enfant-roi… Un ordre d’Hérode…

Les tyrans montrent toujours leur force pour mieux cacher leur peur.

Ils ont fouillé les maisons, poursuivis les enfants…

Les idiots… Comment pouvaient-ils penser que l’enfant qu’ils cherchaient, un innocent comme tous les autres, comment pouvaient-ils penser qu’il se trouverait dans une étable, posé dans une crèche, une mangeoire, offert comme une nourriture au monde, une nourriture qui fait vivre….

 

Le lecteur se lève et tient la lampe dans sa main

 

Je les ai vu, hier soir. À la tombée de la nuit….

Marie et le petit dans ses bras. On m’avait dit qu’il s’appelait Emmanuel « Dieu avec nous », mais en fait, ses parents lui ont donné le nom de Jésus « Dieu (Yahvé) Sauve ».

Elle et le petit étaient montés sur un âne. Joseph était devant.

Ils cherchaient le chemin de l’Égypte. Ils fuyaient la folie des hommes.

Moi, je connais toutes les collines, toutes les vallées, tous les sentiers.

Alors, je les ai conduits à travers les chemins que seuls les bergers connaissent. Des chemins tortueux et rocailleux, certes, mais des chemins humains, des chemins de liberté.

La nuit est tombée mais nous avons continué à marcher : c’est facile avec les étoiles.

Et puis, quand j’ai su qu’ils étaient en sécurité, je leur ai montré le chemin. Tout droit vers l’ouest. Joseph m’a serré dans ses bras pour me remercier… Mais bon, c’est normal d’avoir fait ça, c’est mon ami après tout… Et il est JUSTE devant Dieu…

Mais c’est quand je me suis retourné que j’ai vu le regard de l’enfant …

Je sais que personne ne me croira, mais, dans la nuit, j’ai vu son regard…

Un regard comme cela, personne ne peut l’oublier : il réchauffe les cœurs les plus froids.

Ce regard donne à espérer même dans les nuits les plus sombres.

Il n’a rien dit… Il m’a juste regardé… Un court instant…

Et c’est à ce moment-là que j’ai compris….

 

(Silence)

 

Allez, Jacob : il faut dormir. Demain, tu te lèves tôt car tu vas aller le dire aux autres, à tous les autres, que l’espérance est en route…

 

(Il éteint sa lampe.)

 

Dans notre monde où tout se vend, s’achète et où l’homme et la femme s’étonnent et suspectent lorsqu’ils reçoivent gratuitement, j’annonce aujourd’hui l’évangile, une bonne nouvelle, la venue parmi nous de Jésus de Nazareth. Ne vous étonnez pas, il se donne gratuitement, pour rien, par amour et c’est là l’essentiel.

À ceux qui cherchent et qui doutent, il s’offre comme un chemin.

À ceux qui peinent et qui plient sous le poids de la vie, il se présente comme berger.

Dans notre monde où l’on juge, sélectionne et classe les hommes pour faire régner un ordre, il vient apporter un nouvel ordre, mangeant avec les pécheurs, les collecteurs d’impôts, relevant la prostituée, rétablissant les exclus.

Voici, il vient pour nous libérer de nos servitudes, de nos fatalités, de nos craintes, et nous rappeler à une vie nouvelle. Gratuitement, pour rien, par amour pour nous, il vient.

 

Nous te prions Seigneur !

                Vois nos faiblesses : sois notre force.

                Vois nos folies : sois notre sagesse.

                               Vois notre angoisse : sois notre paix.

                               Vois notre faim : sois notre pain.

                                               Vois notre soif : sois notre foi.

                                               Vois nos ténèbres : sois notre lumière.

                                               Vois notre nuit : sois notre étoile.

Amen.

 

Que sa lumière se lève dans nos ténèbres, que notre nuit soit comme le plein midi.
Que le Seigneur nous guide sans cesse et nous donne sa paix. Allez, dans l’amour du Père, du Fils et du saint Esprit.

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