Extrait de L'Ethique et la Civilisation, d’Albert Schweitzer (théologien, médecin, musicien… et pionnier du mouvement écologiste) :
« Pour Descartes, toute philosophie part de cet axiome : « Je pense, donc je suis ». Avec un pareil point de départ, étroit et arbitraire, la philosophie tombe irrémédiablement dans l’abstraction. Elle ne trouve pas d’ouverture vers l’éthique et reste prisonnière d’une conception morte du monde et de la vie. La vraie philosophie doit avoir comme point dedépart la conviction la plus immédiate et la plus compréhensible de la conscience, à savoir :
« Je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre ».
Il ne s’agit pas là d’un aphorisme ingénieux. Chaque jour et à chaque heure cette conviction m’accompagne. A tout instant de ma prise de conscience des choses, elle se dresse à nouveau devant moi. Il en jaillit sans arrêt, comme d’une sève remontant de racines toujours vivantes, une conception du monde et de la vie pleine de vigueur, englobant toutes les manifestations de l’Être. Elle fait naître en nous le sens éthique de notre union mystique avec l’Être. » Ce texte d’Albert Schweitzer, qui nous invite à réfléchir sur notre rapport aux autres êtres vivants, nous invite aussi à renouveler notre façon de nous penser devant Dieu.
En effet, depuis plusieurs siècles, et notamment depuis la Renaissance, la théologie chrétienne – qui réfléchissait auparavant sur l’ensemble du monde vivant – s’est accompagnée d’une vision de l’humain et de Dieu focalisée sur la vie intérieure, sur le face-à-face de l’individu avec Dieu. Un face-à-face existentiel qui pouvait facilement virer à l’individualisme…
Parfois, dans ce face-à-face, nous avons oublié que nous ne sommes pas que des âmes à sauver, mais aussi des corps. Quant à la nature qui nous entoure, nous avons oublié que nous en faisions partie. Nous l’avons laissée aux sciences et évacuée de notre vision spirituelle. Certains théologiens en ont fait le simple décor du théâtre de nos vies – un peu comme dans certains jeux vidéos où seuls les personnages sont animés, et où le reste n’est qu’une toile de fond. Mais une telle vision spirituelle s’est malheureusement avérée parfaitement compatible avec une approche voyant dans la nature un simple stock de ressources à exploiter.
« Je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre »… L’intuition d’Albert Schweitzer, énoncée bien avant le constat actuel de l’effondrement de la biodiversité, vient nous rappeler ceci : nous ne sommes pas juste des âmes ou des intellects, mais des vivants aux côtés d’autres vivants, humains, animaux, végétaux… D’autres vivants qui méritent le respect, en tant que créatures dont l’existence a été déclarée bonne en soi.
Prenons le temps de nous arrêter, d’écouter les oiseaux, comme ce pinson qui chante en ce moment… de regarder les arbres qui nous entourent, l’acacia, le frêne, le chêne… Prenons le temps de réaliser que tout cela provient du même jaillissement de vie voulu par Dieu. Et que cette prise de conscience nous mène au respect, à la solidarité… et à l’action !