Baptême de Sacha MEJEAN-LE BERRE
Lorsque l’homme sortit vers l’est, il avait dans la main un cordeau et il mesura mille coudées ; il me fit traverser l’eau, et j’avais de l’eau jusqu’aux chevilles. Il mesura encore mille coudées et me fit traverser l’eau, et j’avais de l’eau jusqu’aux genoux. Il mesura encore mille coudées et me fit traverser, et j’avais de l’eau jusqu’aux reins. Il mesura encore mille coudées ; c’était un torrent que je ne pouvais traverser, car l’eau était si profonde qu’il fallait y nager ; c’était un torrent qu’on ne pouvait traverser. Il me dit : « As-tu vu, humain ? » Il me conduisit et me ramena au bord du torrent.
Quand il m’eut ramené, il y avait beaucoup d’arbres au bord du torrent, de chaque côté. Il me dit : « Cette eau sortira vers le district oriental, descendra dans la plaine aride et entrera dans la mer ; lorsqu’elle se sera jetée dans la mer, les eaux de la mer deviendront saines. Partout où le torrent arrivera, tous les êtres vivants qui grouillent vivront ; il y aura une grande quantité de poissons, car cette eau arrivera là-bas et les eaux deviendront saines, et il y aura de la vie partout où arrivera le torrent. »
Près du torrent, sur ses rives, de chaque côté, pousseront toutes sortes d’arbres fruitiers. Leur feuillage ne se flétrira pas, leur fruit ne s’épuisera pas ; ils donneront des primeurs tous les mois, parce que ses eaux sortiront du sanctuaire. Leur fruit servira de nourriture et leur feuillage de remède.
Prédication
Nous venons de baptiser Sacha. J’insiste sur le « Nous », car vous l’avez compris j’espère, il ne s’agit pas d’un geste fait par Gaël sur des paroles liturgiques que j’ai moi-même prononcé mais bien un temps de parole et de geste symbolique qui nous concerne tous : membres de l’EPUF… Ou pas, protestants… Ou pas. Et Je rajouterai : croyant ou pas…
En le baptisant nous avons témoigné de l’amour de Dieu pour lui, de sa place dans la communauté chrétienne… Là se sont nos « mots d’Églises ». Mais à travers ces mots, nous avons dit aussi notre amour et notre espérance, notre joie et nos rêves, notre confiance et « une envie furieuse de la vie » (comme le disait Jacques BREL) de la vie pour Sacha… Comme pour tous ceux qu’on aime et que nous souhaitons sont, plus que tout autre, porteur de promesse. Là nous nous rejoignons, « croyants » ou non… Et d’ailleurs, n’est pas là notre croyance commune…
La présence de Sacha et ce geste du baptême que nous venons de vivre est une manière de dire et de « renouer avec l’essentiel » de la vie. Revenir à l’essentiel… Profiter de ce moment de joie partagé pour s’intéresser de près à ce qui est vraiment important dans la vie, voilà une bonne idée.
C’est d’ailleurs ce que Dieu propose au prophète Ézéchiel en lui organisant un petit tour du propriétaire, c’est-à-dire la visite guidée du temple de Jérusalem. Non pas le temple de pierre qui n’existait plus tel quel au temps d’Ézéchiel, temps de la déportation à Babylone, mais le temple tel que Dieu l’espère, le temple véritable que Dieu révèle dans une vision divine. Cette promenade en compagnie de Dieu est moins une randonnée pédestre qu’une révélation au sens théologique du terme, une apocalypse, de la manière dont Dieu envisage notre relation au monde et au domaine spirituel.
Cette promenade en compagnie de… Appelons le « Dieu » mais ne nous formalisons pas sur la nomination de quelqu’un que, selon La Bible on ne peut ni nommer, ni voir… Cette promenade en compagnie de Dieu est d’abord l’occasion d’être vigilant, de bien ouvrir les yeux et de ne pas être trop naïf sur le monde qui nous entoure.
En décrivant ce qu’Ézéchiel a sous les yeux, Dieu nous rend attentif au fait que le monde est extrêmement ambigu, qu’il faut se méfier de ce que l’on voit parce qu’il y a de l’ambivalence. C’est le cas de l’eau dont il est beaucoup question dans ce texte. L’eau, dans notre esprit, est quelque chose d’extrêmement positif, d’extrêmement précieux.
A part pour ceux qui considèrent que l’eau fait rouiller ! Nous sommes tous d’accord pour dire que l’eau est un élément essentiel pour la vie et il n’est pas rare de voir des slogans en forme de « l’eau, c’est la vie ».
Pourtant, au fil de cette promenade entre le temple de Jérusalem et la « Araba », cette zone au sud de Jérusalem, nous découvrons qu’il y a plusieurs types d’eau. Il y a l’eau qui sort du sanctuaire, qui permet à des arbres de grandir et de porter du fruit et à la rivière de grouiller de poissons. Mais il y a aussi l’eau que l’on trouve au bout du chemin, dans la mer, qui n’est autre que la mer salée, cette mer que nous appelons aujourd’hui la mer Morte. Et nous allons constater qu’elle porte bien son nom !
Au fil de cette visite, nous constatons qu’il y a eau et eau, que l’eau n’est pas toujours le signe de la vie, qu’elle n’est pas toujours facteur de croissance. Il y a de l’eau utile pour la vie et de l’eau franchement hostile à la vie. L’eau est ici un élément ambigu.
Cela peut nous faire penser que, parfois, pour un même mot, met en scène deux sens bien différents. Par exemple, le mot « combat » est illustré par des boxeurs sur un ring d’une part et, d’autre part, par une personne qui, au milieu de barres parallèles se démène avec beaucoup de courage pour faire un pas de plus dans le cadre d’une séance de rééducation. Le mot « claque » est illustré par un homme qui se fait gifler, d’une part, et d’autre part, par deux personnes qui sont bouche bée devant un tableau qui, manifestement, les a touchés au plus intime de leur être. Il y a bien d’autres exemples qui souligne l’ambivalence des mots, qui montre qu’un même mot peut recouvrir des réalités quasiment opposées.
C’est le premier enseignement que je retire de ce texte biblique : cheminer en compagnie de Dieu, c’est ouvrir les yeux sur des réalités plus profondes de la vie, c’est interroger le réel plutôt que de prendre pour argent comptant les idées reçues ; c’est être en capacité d’interpréter les signes. Ce qui peut apparaître essentiel, ce qu’on a pu nous tenir pour décisif, peut-être, en fait, quelque chose d’aussi malsain que les eaux de la mer Morte qui sont tout à fait impropre à la consommation et même mortel. Ici, la foi c’est de se fier à Dieu plutôt qu’aux idées toutes faites.
Cela nous conduit au deuxième aspect de ce texte qui parle beaucoup d’eau, qui, par ailleurs, est bien plus que de l’eau. Car l’Éternel ne se contente pas de faire un cours de géographie à Ézéchiel. L’eau qui sort du temple n’est pas qu’un assemblage harmonieux d’atomes d’hydrogène et d’oxygène. Cette eau qui sort du temple est la métaphore de ce qui sort du temple, de la maison symbolique de Dieu, autrement dit la métaphore de la parole de Dieu.
C’est l’image déjà utilisée dans le Livre des Nombres (chapitre 20) pendant la traversée du désert, lorsque Moïse frappe un rocher et qu’il en sort une eau jaillissante, c’est l’image que l’on retrouvera également dans l’Évangile selon Jean (chapitre 4), lorsque Jésus parle de lui comme de la source d’eau jaillissante.
C’est une métaphore car quiconque s’est rendu à Jérusalem aura constaté qu’il n’y a pas de cours d’eau qui va directement de Jérusalem à la mer Morte et, je vous le rappelle, si nous nous en tenons à la narration biblique, le temple de Jérusalem, dont il est question dans ce texte, n’est accessible que par une vision divine.
Il y a donc là un enseignement de Dieu sur le bon usage de sa parole et sur notre relation au monde, et cet enseignement est donné sous forme de contraste.
Il y a d’un côté de l’eau en mouvement qui fait croître le monde végétal et animal et, de l’autre, de l’eau stagnante où la vie n’est pas possible.
Si nous redéployons la métaphore, il y a d’un côté une parole dynamique de Dieu qui favorise la vie et, de l’autre, une parole de Dieu, figée, qui empêche la vie. Je serais tenté de dire : choisissez votre camp…
Cela doit nous poser question sur l’usage personnel que nous faisons des textes bibliques. Ouvrons-nous La Bible pour que la parole divine se répande et irrigue tout sur son passage ou La Bible est-elle pour nous une sorte de réservoir de la parole divine que nous laissons stagner et, finalement croupir ?
Victor Hugo (vous savez que j’aime particulièrement cette personnalité) relevait que certains ont une bibliothèque comme les eunuques ont un harem… Et nous, quel usage faisons-nous du texte biblique ? Est-ce que nous ouvrons La Bible pour y mêler ce qui fait notre vie, ce qui constitue notre quotidien de telle sorte que notre quotidien s’en trouve enrichi ou considérons-nous La Bible comme la fixation définitive de la parole de Dieu que nous gardons peut-être précieusement comme un trésor, avec beaucoup de respect mais aussi en piégeant la parole vive, jaillissante, dans un recueil de papier. Alors, La Bible, est-elle pour nous source jaillissante ou mer Morte ? Dis plus simplement, considérons-nous que la parole de Dieu déborde largement le texte biblique ou la parole de Dieu est-elle intégralement déposée dans La Bible ?
Mais allons plus loin dans ce questionnement, au-delà du simple objet Bible. La parole de Dieu, selon nous, est-elle toujours en mouvement et donc toujours en train de se formuler et de se reformuler pour nous rejoindre là où nous sommes, comme cette eau qui sort du temple ou la parole de Dieu est-elle retenue, figée, bornée, immobile ? Et si la parole de Dieu est ce qui nous constitue en tant qu’être humain, notre identité est-elle toujours en mouvement elle aussi ou notre identité est-elle, au contraire, fixée, déterminée, établie définitivement ? Et je continue le raisonnement en posant la question de l’essentiel. Ce qui est essentiel est-il fluctuant, dynamique, en évolution, bref en mouvement ou l’essentiel est-il posé une fois pour toutes par une sorte de commandement immuable, une prescription irrévocable ?
Les réponses à toutes ces questions semblent peut-être faciles, évidentes, parce que c’est assez caricatural pour faire nos choix sans trop hésiter. Et puis ce questionnement est assez théorique. Les positions de principes ne coûtent pas très cher.
Ce qui coûte, c’est lorsque nous sommes en situation, confrontés à des choix éthiques, affrontés à des situations qui nous tiraillent en tous sens. Si ce texte nous raconte que Dieu prend la peine de faire cette leçon de choses à Ézéchiel qui n’était pourtant pas un débutant en matière de foi, c’est parce que cela n’a rien d’évident, en fait, une fois de retour chez soi, comme ce sera aussi le cas pour les exilés de retour chez eux.
Ézéchiel ne rentrera pas bredouille chez lui : avant que Jésus dise qu’on reconnaît l’arbre à ses fruits, Ézéchiel saura qu’on reconnaît la parole à ses arbres et à ses poissons. Pour découvrir ce qui est essentiel dans la vie, on peut toujours se demander si la parole dont nous sommes porteurs, si l’essentiel que nous choisissons abîme la vie, rend l’existence invivable, si cela nous éparpille ou si, au contraire, cela nous tonifie, si cela nous fait grandir, si cela favorise la vie et l’unité de notre personne.
Nous venons de baptiser Sacha.
Autour de lui, il y avait ces jeunes de l’école biblique et du catéchisme, il y avait nous. Autour de ce temple, il y a cette ville de Rennes, avec cette foule d’étudiants, cette foule de jeunesse. Autour de nous, il y a ce monde qui souffre, ce questionne… Et qui espère. Tous espèrent.
Chers amis, nous sommes porteurs d’une promesse.
Cette promesse est pour moi le véritable essentiel de ce texte et peut-être notre essentiel tout court : l’Évangile qui résonne dans ce passage biblique. Cette promesse c’est que même si nous nous sommes fourvoyés dans des zones stériles, Dieu peut encore transfigurer notre situation, il peut assainir ces situations malsaines où nous dépérissons, à l’image de ce torrent dont il est dit qu’il y aura de la vie partout où il passera et que les eaux de la mer Morte deviendront saines. Nous pouvons vivre et être témoins de cette eau vivifiante pour chaque être humain… Et Sacha est le premier de ce peuple. Frères et sœurs, au milieu de notre monde coule une rivière. Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, le dimanche 11 février 2024