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Prédication
Frères et sœurs, le jour des Rameaux, faut-il se réjouir ou faut-il être triste ? Nous sommes bien souvent indécis… Nous voudrions, certes, être dans la joie de la foule qui accueille Jésus, mais nous goûtons aussi une certaine amertume, en pensant que quelques jours plus tard seulement, ce Roi acclamé sera pendu à la croix. Oui cette même foule, à quelques jours d’intervalle acclame Jésus comme le Messie puis le condamne. Pourtant je le crois ce récit a une puissance de libération extraordinaire pour nos vies, encore aujourd’hui et même avec l’ombre de la croix.
Ce jour-là, c’est jour de joie populaire. Jésus, qui a refusé maintes fois tout au long de son ministère les honneurs après la multiplication des pains par exemple, Jésus qui s’est dérobé à la foule qui voulait le faire Roi, qui demande même à plusieurs reprises à ses disciples de se taire suite aux miracles qu’il opère, ce jour-là, s’expose. Il suscite délibérément un mouvement du peuple et il l’orchestre. Il se met en scène en descendant de la montagne prophétique des Oliviers vers Jérusalem et monte sur un ânon, accomplissant ainsi la parole du Prophète Zacharie : « Il est là ton roi, il vient à toi ; il est victorieux, il est pauvre et monté sur un âne, sur un ânon le petit d’une ânesse. »
Les Rameaux, c’est l’heure où Jésus manifeste ouvertement par plusieurs symboles, enfin, qu’il est le Roi attendu. C’est l’heure où le peuple l’accueille en chantant « Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire dans lieux très haut ! Comme en écho d’ailleurs à la voix des anges de Bethléem qui annonçaient sa naissance dans une simple étable.
Mais quel est ce Roi étonnant et quelle est sa politique ?
Jésus dit à deux de ses disciples : « Allez au village qui est en face. En y entrant vous trouverez un ânon attaché(…). Déliez-le et amenez-le. Et si quelqu’un vous demande : pourquoi déliez-vous ? Pourquoi détachez-vous ? Vous direz : le Maître en a besoin ».
Je ne voudrais pas vous choquer en nous comparant à des ânons… mais pourquoi pas ? Parce que je crois qu’ici, avec cette image se dit la volonté de Jésus de nous délier, de nous libérer de tous les liens qui nous entravent, comme l’ânon. Cette image dit bien je crois le projet de ce Roi-là ; un Royaume et une justice qui passe par notre libération. Notre Dieu nous veut libres. Notre Dieu vous veut libres. Voilà ce que veulent dire tous les miracles, tous les exorcismes, les délivrances racontées dans les évangiles : la passion de Dieu pour notre liberté.
À toi qui es enchaîné, prisonnier d’un passé trop lourd, d’une rancœur trop tenace, d’un deuil trop présent, d’une maladie trop douloureuse, d’une vieillesse qui t’écrase, d’une pauvreté qui t’étouffe, et la liste peut être longue, toi qui es enchainé quelque soit ta chaîne, le Maître aujourd’hui vient te dire : « Je veux que tu vives, je veux que ma joie et ma paix règnent dans ton cœur, que tu sois délivré ! ».
Passion de Dieu pour notre liberté… Mais de quelle liberté parle-t-on ? Certainement pas du libéralisme effréné qui entraine le monde dans sa course folle. Je ne parle pas non plus d’une liberté du plus fort qui utilise le plus faible pour se réaliser. Non, je parle d’une liberté sans bouc émissaire. Une liberté à contre-courant des lois de ce monde. Car, le Royaume de Dieu ne va pas sans sa justice. Une justice qui prend fait et cause pour le plus petit. Une justice qui découpe le gâteau en parts inégales pour que le plus petit ait la plus grosse part, comme les ouvriers de la 11ème heure, « afin qu’aucun de ses enfants ne soit perdu ». Voilà quelle est la politique de Dieu pour notre monde. Une passion pour notre liberté. Alors on comprend que toute la multitude des disciples, dans sa joie, se mette à chanter la bonté de Dieu d’une voix forte. Oui, on comprend cette joie qui déborde : ils ont vu Jésus faire des choses extraordinaires. Mais il y a un quiproquo qui grandit et se creuse tout au long de l’Évangile selon Luc entre Jésus et ses disciples, entre Jésus et la foule. Il n’est pas un libérateur militaire ou un souverain terrestre il n’est pas celui qui les libérera de l’occupation romaine. Sa logique, la politique de son Royaume est toute autre, il le dira plus tard « Son Royaume n’est pas de ce monde ». C’est dans les cœurs qu’il souhaite régner, les cœurs de tous les humains.
« Que ton Règne vienne… » Et ce Roi-là, avec son message d’amour universel sera crucifié ! À nous qui entrons dans la Semaine Sainte, il nous faut garder toujours en mémoire que la politique de Dieu est toujours une politique trahie, non comprise, reniée et plus de trois fois, jugée, bafouée, moquée : c’est une couronne d’épines qu’il portera. Cette politique est ridicule et ridiculisée. Et finalement elle est crucifiée et mise au tombeau.
N’oublions pas cela, et cet avertissement peut aussi être libérateur : Sans doute faut-il que tous nos projets, qu’ils soient politiques, sociaux, économiques, pour l’Église ou pour le monde, nos combats pour ce que nous croyons être le bien, le juste, le beau, le bon et l’agréable, que tous nos projets, tous nos combats, tous nos engagements s’arrêtent au pied de la croix. Qu’ils ne se prennent jamais pour être de droit divin, ordonnés par Dieu. Qu’ils ne soient jamais puissance qui écrase et impose mais joie du service.
Et c’est là, justement, que se joue notre foi :
Est-ce que nous croyons, oui ou non, que cette politique-là, Dieu l’a ressuscitée ? Croyons-nous, qu’avec son aide, nous sommes capables de révolutionner notre monde ? Que sa puissance d’amour dans nos cœurs est plus forte que toute puissance de mort ?
Être chrétien, c’est croire en la résurrection de ce Roi là ; c’est donc aussi croire dans la victoire de cette politique de la solidarité avec les petits, malgré les apparences et fonder son espérance et son action sur cela. C’est croire et découvrir en chemin que la vie véritable est à vivre là, que Dieu se rencontre-là. C’est s’engager réellement à changer le monde car nous sommes nous-mêmes au bénéfice de cette libération. Et oser dire à d’autres : Viens, le Seigneur a besoin de toi, tel que tu es avec tes forces et tes faiblesses.
Avec son aide forcément. S’engager pour un tel projet est bien trop difficile sans une vie de prière car c’est là, dans le cœur à cœur avec lui, qu’il nous délie, nous libère et de nous relibère quotidiennement de nos chaînes, comme l’ânon, nous rendant capable à notre tour de soigner les blessures et de chasser les démons du corps de l’humanité.
Aujourd’hui, nous fêtons les Rameaux, c’est jour de fête, alors réjouissons-nous car il y a un temps pour tout. Oui, lorsque les petits retrouvent l’espérance, lorsque les disciples s’y associent et que le Seigneur est là, n’arrêtons rien ; laissons la joie contagieuse régner en nos cœurs et éclairer le monde. Amen.
Pasteure Claire OBERKAMPF
Rennes, dimanche 13 avril 2025