Avance en eaux profondes et jetez vos filets
Les trois textes du jour entrent étonnamment en résonance avec deux moments vécus cette semaine au Temple et j’ai tendance à croire qu’il n’y a pas de hasard. J’appelle cela, un clin Dieu 😊. Oui, Le Saint Esprit a soufflé cette semaine !
Premier moment : Mardi soir. Sara Claire, Présidente du Conseil Presbytéral mène la méditation en début de Conseil. Elle nous livre une réflexion et une exhortation sur le thème de l’engagement à la suite du Christ en s’appuyant sur un autre passage de l’Évangile selon Luc. Passage dans lequel Jésus rencontre plusieurs hommes qui ont chacun une bonne excuse pour ne pas le suivre tout de suite. Jésus y tient des paroles radicales comme « Laisse les morts enterrer leurs morts et toi suis-moi » ou « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est pas propre au Royaume de Dieu ». L’appel de Jésus à sa suite nous engage et pas qu’un peu ! Aussi, le Conseil Presbytéral, régulièrement, constate son principal défi : « Comment susciter chez les autres, chez vous, chers frères et sœurs, l’envie de s’engager pour faire vivre l’Église ? » car oui, disons-le, les besoins ne manquent pas.
L’autre événement qui entre en résonance avec nos textes est la
soirée Soif de Sens du lendemain qui portait sur le thème : « Comment témoigner de sa foi » ? Les jeunes adultes présents se sont livrés sur ce qui rend parfois difficile le témoignage chrétien. Certains n’osent pas assumer une parole sur leur foi de peur d’être mal compris, mal accueillis.
Ce soir-là, on a pu entendre des phrases telles que :
« À la fac où la plupart de mes amis sont contre la religion, je n’assume pas mon identité chrétienne ouvertement. »
« Au travail, je ne veux pas prendre le risque d’être taxé de prosélytisme ».
« Ma famille ? Ils ne comprendraient pas… Je ne veux pas risquer de déclencher un conflit ».
« Finalement, le témoignage par les actes, par l’attitude, n’est-ce pas suffisant ? »
Deux moments donc qui nous amènent à nous poser ensemble cette question ce matin : à l’église comme dans le monde, comment répondre à l’appel exigeant du Christ, comment s’engager à sa suite et annoncer son Royaume sans se laisser freiner par des excuses bien réelles, bien humaines, et parfois mêmes légitimes ?
Les trois textes de ce matin, issus d’époques, de contextes et d’auteurs très divers peuvent nous donner un premier élément de réponse : Ils ont une idée commune qui les traversent : Dieu choisit de compter sur des êtres humains qui sont loin d’être parfait, pour se révéler au monde. Il appelle chacun et chacune avec ses fragilités pour bâtir son Royaume.
En effet, dans notre premier texte, Dieu envoie Ésaïe comme prophète pour s’adresser à son peuple alors qu’il confesse lui-même avoir des lèvres impures.
Dans le texte d’Évangile, des siècles plus tard Jésus appelle Simon, pêcheur de poisson qui deviendra Pierre pour être pêcheur d’hommes. Lui, qui l’abandonnera lâchement au moment de sa mise à mort, qui affirmera Trois fois de suite ne pas le connaitre, est choisi pour être l’un de ses plus proches disciples !
Enfin, Dieu choisit d’envoyer Paul, qui deviendra l’un de ses principaux apôtres alors qu’il a, dans le passé, persécuté des Chrétiens ! Paul ira dans tout le bassin méditerranéen annoncer la Bonne nouvelle qui transforme les vies, à l’écrit dans ses lettres ou à l’oral.
Ces trois textes ne sont que des exemples parmi d’autres : Il y a dans la Bible une quantité impressionnante de récits où des hommes et des femmes sont envoyés, alors qu’ils ne se sentent pas à la hauteur ou légitimes pour la mission que le Seigneur leur donne. Et c’est précisément ceux-là que le Seigneur appelle. C’est un premier encouragement pour lever les freins que nous pouvons avoir.
Continuons notre réflexion avec le passage de l’Évangile selon Luc de ce matin :
Lorsque Jésus arrive près du lac ce matin-là, il n’a pas encore de disciples… Des pécheurs lavent leurs filets… Geste habituel, quotidien après une nuit de pêche, ils sont découragés car ils n’ont rien attrapé, pas un poisson, rien pour nourrir leur famille…
Jésus monte dans la barque de Simon et lui donne cet ordre, vu le contexte, tout sauf raisonnable : « Avance en eau profonde, et jetez vos filets pour pêcher ». Ils ont surement dû se dire intérieurement : « mais pour qui se prend il celui-là ? Il est charpentier non ? Qu’est-ce qu’il y connait en pêche ? « et Simon de répondre : » Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. Mais sur ta Parole, je vais jeter les filets ».
Malgré la fatigue, malgré les apparences vraiment peu engageantes, Simon ose un acte de foi, Simon fait preuve d’audace. Au lieu de s’appuyer sur son raisonnement tout humain mais fait le pari de la foi. « Sur ta Parole, je vais jeter les filets. » Probablement impressionné par l’enseignement de Jésus, il décide à ce moment-là, alors qu’il ne croit pas lui-même qu’il peut y arriver, de croire dans la foi que Jésus met en lui. « Sur ta Parole »… Autrement dit : moi je ne crois pas en mes capacités mais toi tu penses qu’avec toi, Maître, j’en suis capable, alors j’y vais. C’est le deuxième élément commun aux trois textes : C’est la confiance dans la Parole que Dieu met en celui ou celle qu’il appelle qui rend capable d’oser.
Et les filets sont remplis de poissons, prêts à craquer… Et la barque menace de couler tant elle devient lourde. On imagine la scène… Mélange de surprise devant ce miracle et de crainte…
Quand il vit cela, nous dit le texte, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus et dit : Seigneur, éloigne-toi de moi : je suis un homme pécheur. Car l’effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de la pêche qu’ils avaient faite. » Conséquence de la Manifestation de la grâce surabondante : la repentance. Il s’agit de la Crainte de Dieu, Simon prend conscience de sa petitesse devant lui et encore une fois essaie de se défiler : « Seigneur, éloigne-toi de moi : je suis un homme pécheur ».
Peut-être n’a-t-il pas encore compris que c’est là qu’éclate la Bonne Nouvelle, précisément au moment où il tombe à genoux devant le Maitre. Pourquoi ? Parce qu’il se prend la puissance de la Grâce en pleine figure ! Avons-nous bien pris la mesure de l’amour et de la considération que Dieu nous porte ?
Dieu nous aime et nous appelle avec tout ce que nous sommes, toute notre personne ! Nos forces et nos faiblesses, notre foi et notre peur, notre courage et nos lâchetés. Et c’est lorsque je suis confronté à mes limites que je dois alors compter sur Lui, libéré de devoir compter seulement sur mes propres forces ! Troisième élément commun aux trois textes de ce matin.
Vous l’aurez compris, la prise de conscience de notre incapacité, de notre faiblesse, de notre péché, finalement de notre humanité, ne peut pas être un prétexte pour reculer devant l’engagement. Au contraire, cette prise de conscience nous fait expérimenter son immense amour et nous donne la force nécessaire. Comme dit Paul : « j’ai travaillé plus qu’eux tous ; non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi »
Alors on ne va pas se mentir, il est vrai qu’accueillir Jésus dans sa barque, ça remue, ça suppose de quitter la terre ferme et prendre le risque de se mouiller, vraiment. Cela signifie assumer des actes et une Parole à contre-courant de la pensée dominante, celle de la foule qui préfère se tenir à une distance pas trop engageante pour écouter de loin. Cela demande de quitter la terre ferme de nos habitudes, de notre confort ou de nos excuses aussi, la terre ferme de la petite voix qui enferme et qui dit « ça sert à rien d’essayer, on a déjà tenté tellement de fois, ça marchera pas », ou celle qui dit « je ne suis pas capable, je n’ai pas les compétences, j’ai pas le temps… »
S’éloigner du rivage, avancer en eau profonde, jeter son filet, autant d’action qui s’entendent au niveau symbolique… Jésus nous invite à aller toujours plus loin, là où les eaux sont moins familières. Oui, la foi est une aventure !
La relation quotidienne avec le Christ transforme de fond en comble nos vies. Elle n’est pas un « à côté » confortable qui permet de réfléchir au sens de la vie. Chacun et chacune est libre de répondre à son appel à sa façon, de préférer rester dans la foule, mettre juste un pied dans l’eau ou de monter dans la barque. Jésus ne force jamais personne à le suivre et nous veut libres. Mais si tu lui donnes la première place, il mettra sa confiance en toi, il sera avec toi tous les jours jusqu’à la fin du monde et votre relation fondera et fécondera tout ce qui fait ta vie.
Et si cette relation te sauve, te libère, comment ne pas en parler ?
Nous faisons partie de la longue chaine de témoins au même titre qu’Ésaïe, Pierre et Paul et eux-mêmes n’ont pas fondé leur engagement sur leur propres forces, mais sur la Parole de Dieu qui relève et qui libère.
Bien sûr qu’à parler de Dieu, nous prenons le risque de mal en parler mais prenons courage et rappelons-nous que c’est lui, le Christ en nous, qui nous rend capable de parler de lui.
Oui, il nous le promet, si nous lui prêtons nos bouches pour parler, nos mains pour partager et nos pieds pour marcher, le Saint Esprit touchera les cœurs et des vies seront transformées. Mais si nous ne nous engageons pas, si nous ne parlons pas à la suite d’Ésaïe, Simon et Paul, qui témoignera ? Si nous n’osons pas, comment pourra-t-il libérer l’humanité des prisons qui l’enferment ?
Lorsque nous perdons courage, lorsque la tâche nous semble insurmontable, et les eaux trop profondes, souvenons-nous : Nul besoin de se sentir à la hauteur, Le Seigneur t’appelle, avec tes limites et tes fragilités pour se mettre à son service. Il en fait même une force : La conscience de tes limites te libère et t’ encourage à vivre de sa Grâce, à toi d’avoir foi dans la confiance qu’il t’accordes. Enfin, le Saint Esprit saura frayer son chemin, c’est à toi, à nous de lui en donner l’occasion…
Amen.
Pasteure Claire OBERKAMPF
Rennes, dimanche 9 février 2025