Prédication
Nous entrons aujourd’hui dans le temps de l’Avent. Avent signifie « arrivée », d’après le mot latin « adventus ».
L’arrivée de qui ? Celle de Jésus Christ, bien sûr.
Le temps de l’Avent est le temps où nous méditons, nous approfondissons le sens de la venue de Jésus Christ, c’est aussi un temps de préparation intérieure.
Quand on dit « la venue de Jésus Christ » en décembre, tout le monde pense automatiquement à Noël, à la célébration de la naissance de Jésus. Mais il y a encore une autre venue de Jésus Christ, qui tient une place bien moins importante dans nos Églises du protestantisme historique, c’est sa révélation universelle à la fin des temps.
C’est de cette venue que parle le texte de l’Évangile selon Luc.
Beaucoup d’éléments vous ont probablement choqués dans ce texte, ou vous auront rappelé de mauvais souvenirs de communautés sectaires qui spéculent sur la peur de la fin du monde.
Même si du point de vue historique, on sait que ce genre de littérature « apocalyptique » avait sa raison d’être, on se demande si Jésus avait vraiment besoin de ça. On n’aime pas entendre de la bouche de Jésus des paroles qui annoncent des catastrophes.
Mais quand nous avons le courage de surmonter cette première réaction, quand nous lisons le texte de plus près, d’une manière plus attentive, nous nous apercevons qu’il y a deux sortes de paroles différentes.
D’un côté, oui, il y a ces paroles qui annoncent une catastrophe, qui font peur, qui menacent même.
Mais de l’autre côté, nous trouvons une série de paroles qui rassurent, qui appellent à la confiance, qui chassent la peur.
Et au milieu, nous avons la venue du Fils de l’homme dans la gloire.
Les paroles qui font peur se réfèrent d’une part à des événements historiques du temps de l’Évangile selon Luc, comme par exemple la guerre juive et la défaite de Jérusalem, contre les légions romaines.
Cette référence a été précisée dans les versets qui précèdent notre lecture de ce jour.
L’autre élément qui fait peur est la désintégration de l’environnement naturel.
« Dans le soleil, la lune et les étoiles, on verra des choses étonnantes. Les tempêtes de la mer feront beaucoup de bruit, et tous les habitants de la terre seront très inquiets et effrayés. » (Évangile selon Luc, chapitre 21, verset 25).
A l’époque, c’était un fantasme, on imaginait la fin du monde comme ça. Aujourd’hui, nous entendons ces phrases d’une nouvelle manière, car les dérèglements de la nature sont bien réels et la peur ne naît plus du fantasme mais de la réalité.
Enfin, notre texte plante le doute au cœur de tous ceux qui se croient éternels et invulnérables, que ce soit en politique, en économie ou plus banalement dans la consommation effrénée.
« Ce temps arrivera sur vous à l’improviste, comme un filet », nous dit le texte (Évangile selon Luc, chapitre 21, versets 34 et 35).
Personne ne peut se croire en sécurité, tout et tous seront égaux devant la catastrophe en l’espace d’un instant.
Ces paroles-là sèment le doute, la peur. Elles secouent. Elles nous appellent à regarder plus loin que l’instant présent ; mais c’est un appel bien dramatique ; nous ne nous attendions pas à un message aussi grave.
L’autre série de paroles, rassurantes, nous surprend peut-être d’autant plus. Elles nous disent que les événements « apocalyptiques » décrits peuvent être tout à fait bien vécus par les croyants. « Quand tout cela commencera à arriver, redressez-vous et relevez la tête ! Oui, Dieu vous rendra bientôt libres ! » (Évangile selon Luc, chapitre 21, verset 28).
Elles disent que ce qui paraît effroyable au premier abord est un changement aussi naturel aux yeux de Dieu que le changement des saisons pour nous.
Elles disent qu’il ne faut ni paniquer ni se réfugier dans l’étourdissement des sens (ivresse et beuveries), ni non plus se cacher la tête dans le sable (les soucis de la vie, les affaires continuent comme si de rien n’était).
Au contraire, il s’agit d’être tout à fait lucides, responsables, et prêts à accueillir le vrai événement de la fin des temps : le règne de Dieu.
Les chrétiens sont donc appelés à la fois à saisir la gravité de l’heure, mais à répondre non par la panique ou l’irresponsabilité, mais par une confiance renforcée, une lucidité consciente, une responsabilité accrue. Les chrétiens sont appelés à rester eux-mêmes, mais plus forts, si j’ose dire.
Au milieu de ces deux séries de paroles, il y a la venue du Fils de l’homme.
Qui est le Fils de l’homme ?
C’est une façon qu’a Jésus de parler de lui-même.
Dans les évangiles, il y a deux séries de paroles différentes à propos du Fils de l’homme. D’un côté, le Fils de l’homme est celui qui, dans sa gloire, représente Dieu aux yeux des hommes. Et d’un autre côté, le Fils de l’homme est celui qui vit dans des conditions précaires et doit subir à la fin l’humiliation, la torture et la mort sur la croix. On ne peut pas séparer les deux aspects ; le Fils de l’homme aura à tout jamais ces deux visages, le torturé et le glorieux, le crucifié et le puissant, le méprisé et le juge du monde.
Je pense que c’est par ces deux visages, différents et pourtant inséparables, du Fils de l’homme, que nous pouvons en venir à la question : qu’est-ce que ce texte nous dit aujourd’hui ?
Car nous ne devons pas interpréter ce message apocalyptique de façon simpliste, comme si l’évangéliste Luc était notre contemporain.
Nous, nous sommes dans des univers de pensées et de représentation différents, et en partie difficiles à comprendre.
Si l’évangéliste Luc était ici aujourd’hui, il aurait aussi du mal à comprendre certains aspects de nos expressions et représentations, par exemple, tout ce qui touche à l’informatique, le courrier électronique ou les mondes virtuels.
Réciproquement, nous ne comprenons pas facilement le monde de Luc.
Certaines de ses affirmations ont été démenties par la suite de l’Histoire, comme par exemple : « Je vous le dis, c’est la vérité : quand cela arrivera, les gens d’aujourd’hui ne seront pas tous morts. » (Évangile selon Luc, chapitre 21, verset 32).
Cette phrase n’a néanmoins jamais été censurée dans nos bibles, car elle a toujours quelque chose à nous apprendre, même si ce n’est pas par une compréhension immédiate.
L’exemple inverse est la destruction de l’environnement naturel par l’action de l’Homme. Elle était impensable du temps des auteurs bibliques, mais pour nous, elle devient une réalité menaçante et une illustration « grandeur nature » de l’imaginaire apocalyptique.
L’évangéliste Luc nous parle, non de façon immédiate, mais à travers la médiation de Jésus Christ. Nous avons la foi en Jésus Christ en commun, nous regardons ensemble, au-delà des siècles, vers le Fils de l’homme dans son double aspect, et c’est lui-même qui nous propose l’attitude juste.
L’attitude juste est de voir notre monde avec le regard du Fils de l’homme, qui a part à la souffrance humaine et à la gloire divine.
À plusieurs reprises, dans notre texte, il nous appelle à juger par nous-mêmes de ce qu’il faut faire, à reconnaître les signes du temps, à nager à contre-courant de la tendance à la mode. C’est-à-dire rester critiques quand tout le monde se berce en sécurité et rester confiants quand tout le monde panique.
Bref, les chrétiens sont appelés à un comportement responsable basé sur une pensée autonome, indépendante.
Là où l’être humain est humilié, méprisé, torturé, réduit en esclavage, la figure du Fils de l’homme doit nous appeler à la protestation et à la solidarité.
Là où le désespoir, le cynisme ou la violence aveugle prennent le dessus, le Fils de l’homme nous appelle à poser des actes et des paroles d’espérance.
Là où la création est dégradée par l’action de l’homme, l’attente de la venue du Fils de l’homme et de son jugement nous motive à la sauvegarde de la création, don de Dieu dont nous sommes bénéficiaires et responsables.
Que les temps soient bons ou mauvais, prometteurs ou angoissants, le chrétien est dans l’attente active de la venue glorieuse de Jésus Christ, qui ne fait pas oublier sa venue initiale, sans gloire.
Nous attendons de nous présenter debout devant lui, nous attendons le jour où nous découvrirons grâce à lui, qui nous sommes en vérité, et quel est le sens de notre monde.
Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, dimanche 1er décembre 2024