Prédication
Le récit que nous venons de lire se situe dans la dernière partie de l’Évangile de Luc : Jésus et ses disciples sont en chemin depuis la Galilée jusqu’à Jérusalem où il sera crucifié. Il ne s’agit pas simplement d’un voyage dans l’espace, mais aussi d’un voyage théologique au cours duquel Jésus va redéfinir certains positionnements, encourager les personnes qu’il rencontre à un changement de regard.
Après la parabole du Bon Samaritain que nous avons partagée dimanche dernier, où il était question du prochain et du soin apporté aux blessés de la vie, ce récit nous rapporte la rencontre de Jésus avec deux sœurs Marthe et Marie à l’occasion de la préparation d’un repas.
Je vous propose d’explorer trois pistes de réflexion pour aujourd’hui tirées de ce récit.
Premièrement : Jésus ne pourrait-il pas être qualifié de féministe ?
Deuxièmement : Est-ce juste – au sens de la justesse – d’opposer Marthe l’hyperactive et Marie la contemplative dans une lecture binaire ?
Troisièmement : Et si ce récit avait quelque chose à dire à notre vie d’Église ?
Première piste donc : l’attitude féministe et révolutionnaire de Jésus pour l’époque. Marthe s’affaire en cuisine. Jésus et ses disciples, sans doute affamés, sont probablement reconnaissants de savoir qu’ils ne continueront pas leur route le ventre vide. A l’époque, c’est comme ça que ça se passe : les hommes s’assoient, écoutent les enseignements du maître et se font servir. Les femmes s’affairent en cuisine pour assurer l’accueil, servir à manger et à boire. D’autant plus lorsqu’il y a un invité de marque comme ce Rabbi dont tout le monde parle. Marie déroge à la règle. Marie fait le choix de « s’asseoir au pied » du maître – Une expression qui signifie prendre la position de disciple – pour écouter Sa Parole.
Marthe est choquée : En bonne juive, elle a intégré que l’enseignement des rabbis n’est pas pour les femmes. Elle estime que sa sœur n’est pas à sa place en n’étant pas avec elle en cuisine, et surtout, en ayant l’impertinence de s’asseoir pour écouter Jésus ! La place qu’occupe sa sœur lui semble un sacrilège. Marie quant à elle, montre d’autres rapports possibles, par son audace elle fait advenir une réalité nouvelle où la femme aura le droit non seulement d’écouter le Seigneur mais aussi de se mettre au plus près.
On comprend mieux alors l’attitude critique de Marthe, demandant à Jésus de faire respecter les usages anciens, et donc celui de la place des femmes. Bien entendu, s’y ajoute aussi la rancœur de devoir accomplir seule le lourd travail, et donc une accusation indirecte de paresse envers Marie.
Elle donne un ordre à Jésus : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider ! »
C’est alors que Jésus la corrige, fraternellement : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Jésus reconnaît à Marie et par conséquent à Marthe le droit de recevoir un autre héritage, une autre part que celle du ménage : celle d’enfant de Dieu, celle de disciple comme les autres !!
Chacun aura compris que Jésus ne condamne pas la brave Marthe ; il ne condamne que sa condamnation de sa sœur ; et de ne pas avoir saisi qu’avec lui, le Christ, les temps sont en train de changer. En lui, Il n’y a plus ni homme ni femme ; seulement des enfants de Dieu, qui ont droit tous au même enseignement et à la même place de disciple auprès de lui dans une identité restaurée.
Deuxième piste : La remise en cause d’une lecture binaire qui oppose Marthe et Marie.
À première vue, il serait tentant de dénigrer l’attitude de Marthe et d’honorer celle de Marie en opposant leurs deux attitudes. Or, comme souvent dans les textes bibliques, s’il y a deux frères ou deux sœurs, c’est pour nous faire comprendre que les deux habitent en chacun de nous.
Marie ET Marthe et non Marie OU Marthe.
L’essentiel n’est pas dans la comparaison ou l’opposition des deux sœurs. Il ne serait d’ailleurs pas juste de décrédibiliser tout ce qui est de l’ordre de l’accueil matériel, de la restauration du corps au profit de la restauration de l’Esprit ! En effet, comment écouter une prédication si on est en hypoglycémie ou si on est assoiffé ? Jésus et les disciples n’auraient pas pu se consacrer à leur ministère sans les repas qu’ils ont reçu dans les maisons. Marthe, ne la jugeons pas trop vite se met véritablement au service, c’est le mot « diaconein » , servir, qui est utilisé en grec, un mot magnifique qui a donné le nom de diaconie.
Le problème que pointe Jésus n’est pas ce qu’elle fait. Le problème est son inquiétude et son agitation. Vous la reconnaissez sûrement cette personne, dans vos familles ou amis – à moins qu’il s’agisse de vous-mêmes !- cette personne qui, 15 jour avant une réception se met déjà à stresser au sujet du menu, du programme etc… et qui le jour venu s’affaire au ménage, à la cuisine, préparant un plat succulent, mais complexe, à la mise de table, au service, au débarrassage, à la vaisselle et qui finalement, à la fin de la fête, n’a eu le temps de rencontrer personne. Celui ou celle qui se plie en quatre pour les autres en passant à côté de l’essentiel : être présente avec ses invités, vivre les retrouvailles tant attendues.
Jésus nous exhorte à travers cette histoire à donner toujours priorité au lien, à la relation qu’il y a à vivre. Une relation qui ne peut se passer de l’écoute de l’autre et donc d’une capacité à être simplement là.
Et si votre Marthe intérieure prend un peu trop de place, au point de rabaisser la part de vous qui ressemble plus à Marie, rappelez-vous que c’est bien le spirituel qui féconde le matériel, que c’est la relation à Dieu et au prochain qui donne sens au reste. Et si on louait Dieu en faisant la vaisselle ?
Chaque fois que je me laisse gagner par l’inquiétude et l’agitation, je suis invitée à imiter Marie, à me retrouver aux pieds du Seigneur pour l’écouter. Car lorsque ma vie de foi se refroidit, mes inquiétudes et agitations prennent la place inoccupée par ma prière et mon attention à mon prochain en est affectée.
Troisième piste : Une recommandation pour la vie de l’église
Cet enseignement peut être étendu à notre vie d’église : nombreux sont les temps d’accueil que nous vivons ici dès que les portes sont ouvertes. Comme pour toute association, la menace de l’activisme est bien présente. Lorsque notre action n’est pas accompagnée d’écoute, elle se transforme en agitation. Marthe et Marie, action et écoute, sont comme les deux jambes qui permettent d’avancer…
Les temps de culte qui sont le cœur de notre vie ecclésiale, sont ces temps d’écoute individuelle et collective, mais il est évident qu’ils ne pourraient pas se vivre sans des locaux propres et rangés des toilettes nettoyées, des poubelles vidées régulièrement. (Un grand merci à Brigitte d’ailleurs, qui s’en occupe chaque semaine, merci aussi à l’équipe ménage qui se retrousse les manches régulièrement pour le grand ménage et à Eloise pour le rangement régulier !)
Autre moment d’écoute féconde : celui du temps de prière chaque mardi dans ce temple où celles et ceux qui viennent se mettent ensemble au pied du Seigneur simplement pour écouter. Déposer aussi mais d’abord écouter.
J’aime cette pensée de Saint Augustin au sujet des deux sœurs : « Marthe n’avait qu’un souci : Comment nourrir le Maître ? Marie n’en avait qu’un : comment être nourri par lui. »
On peut alors se demander : Lorsque nous accueillons sur la terrasse ou lors d’un pot de l’amitié après le culte, notre souci est-ce d’abord de nourrir l’autre ?
Et s’il était tout aussi essentiel, voir premier de chercher à être nourri de l’autre ? Une écoute donnée qui, paradoxalement, viendra le nourrir profondément ?
Les Évangiles sont truffés de renversement de ce genre, de changement de perspectives par rapport à ce vers quoi nous tendons instinctivement.
Quoique nous vivions, C’est Lui, le Christ, qu’il s’agit d’accueillir d’abord et toujours à nouveau. Le reste, toutes les activités n’ont de sens que parce que Christ est présent dans nos vies et que notre relation avec lui est vivante. Si nous choisissons de lui ouvrir la porte de notre maison, de notre vie, il convient de lui laisser donner un sens, un rythme, une direction. C’est sa seule présence qui fertilise notre écoute et notre action.
Alors Marthe osera s’arrêter un moment pour écouter et Marie pourra se lever et servir. Toutes deux seront réconciliées, elles sauront que l’essentiel n’est pas de servir mais de connaitre Celui qu’elles servent.
Amen
Pasteure proposante Claire OBERKAMPF
Rennes, dimanche 21 juillet 2025