Prédication
Encore 2 jours et c’est Noël !
La tension monte progressivement et irrésistiblement…
Aussi est-il bon de prendre un moment de liberté et de reposer son esprit en se plongeant sans trop de soucis dans une des histoires de la Bible qui mène vers Noël.
Aujourd’hui, un des jours les plus courts de l’année, où les quatre bougies de la couronne de l’Avent s’allument, il s’agit de la Visitation, la rencontre entre deux femmes enceintes.
L’une, Élisabeth, est avancée en âge et jusqu’à présent stérile, l’autre, Marie, est si jeune qu’elle n’a pas encore connu d’homme.
Deux extrêmes qui avaient, toutes les deux, connu la honte, une honte sociale.
La première parce qu’elle n’avait pas pu avoir d’enfants, la seconde parce qu’elle attendait un enfant dans des conditions inhabituelles.
L’historicité de cette rencontre m’importe peu.
Le nom du village où elle est supposée avoir eu lieu, n’est même pas mentionné.
L’essentiel, ce sont les mots qui la racontent, c’est de saisir et de se laisser saisir par cette ambiance si fine et légère qui règne entre les deux femmes et qui a inspiré tant de peintres.
Sur les tableaux, chacune des deux a la tête entourée d’une auréole, reflet d’une lumière émanant de l’intérieur, en l’occurrence de deux enfants qui attendent de voir la lumière du jour.
Il n’y a là que les deux futures mamans.
Zacharie, le mari d’Élisabeth, frappé de mutisme après l’annonce par l’ange Gabriel de la naissance d’un fils qui portera le nom de Jean, ne se montre pas. C’est comme s’il n’avait rien à dire.
Joseph, auquel Marie est accordée en mariage, est resté à Nazareth avec ses interrogations.
Marie a quitté ce petit bourg de Galilée en hâte, car, on peut le supposer, elle avait besoin de prendre du recul par rapport à ce qui lui était arrivé. Les deux femmes avaient besoin de se parler, non des inconvénients de leurs grossesses, fatigue, nausée et autre, mais du sens de ce qu’elles étaient en train de vivre.
Elles en ont eu le temps, car il est dit que Marie resta encore trois mois auprès d’Élisabeth, ce qui correspond à la naissance du futur Jean Baptiste. Puis elle retourna à Nazareth.
Selon Luc, il y avait donc six mois de différence entre Jean, l’aîné, et Jésus, le puîné.
C’est pourquoi la tradition a fixé l’anniversaire de Jean au 24 juin, au jour où le soleil commence imperceptiblement à décliner, ce qui, symboliquement, rappelle ces paroles de Jean au sujet de Jésus rapportées par l’Évangile selon Jean : « Il faut qu’il grandisse et que moi je diminue » (chapitre 3, verset 30).
Revenons maintenant au texte lui-même
S’il raconte la rencontre entre Marie et Élisabeth, il ne nous livre que la moitié du scénario, à savoir l’accueil qu’Élisabeth réserve à Marie (ou à Myriam en hébreu).
Il escamote la réponse de Marie, à savoir le Magnificat : « Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit s’est rempli d’allégresse à cause de Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a porté son regard sur son humble servante. Oui, désormais, toutes les générations me proclameront bienheureuse, parce que le Tout Puissant a fait pour moi des merveilles ».
Ces paroles se superposent aux paroles d’Élisabeth adressées à Marie.
Celles-ci se divisent en quatre parties
La première constitue le début de l’Ave Maria, du Je vous salue, Marie : « Tu es bénie entre toutes les femmes, le fruit de tes entrailles est béni ».
Étant donné que l’hébreu n’a pas de superlatif, on peut aussi traduire par « tu es bénie plus que toutes les femmes », mais quelle que soit la traduction, il est clair que c’est le fruit de ses entrailles qui est le signe de la bénédiction que Marie a reçue de la part de Dieu.
Si Marie est mise en relief, c’est à cause de cet enfant.
Les deux sont inséparables, comme le montre aussi l’iconographie classique. Ce n’est qu’au XIXème siècle que l’habitude plus que douteuse est venue de représenter la vierge Marie toute seule.
Deuxième partie : « Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? » Vous savez peut-être qu’à partir du Vème siècle l’Église a appelé Marie « théotokos », la mère de Dieu.
Ce nom est lié à la discussion de l’époque à propos des deux natures du Christ, vrai Dieu et vrai homme.
Marie n’est évidemment pas considérée comme la mère de Dieu le Père, mais comme celle de son Fils, « Dieu venu de Dieu… Vrai Dieu issu du vrai Dieu » comme il est dit dans la confession de foi de Nicée-Constantinople reconnue aussi par notre Église Protestante Unie comme un de ses textes de base. Parmi les réformateurs, Jean Calvin refuse d’appeler Marie mère de Dieu, pour des raisons de polémique confessionnelle et pour des motifs pédagogiques.
Par contre, on peut occasionnellement trouver l’expression chez Ulrich Zwingli, le réformateur de Zürich, et, plus souvent, chez Martin Luther. Dans un texte où elle reste un personnage historique, et non pas une figure dogmatique, Luther fait dire à Marie : « Je suis l’atelier dans lequel Dieu œuvre, mais je n’ai rien à ajouter à l’ouvrage ; c’est pourquoi personne ne doit honorer ou louer en moi la mère de Dieu, mais louer en moi Dieu en son œuvre ».
Aujourd’hui, avouons-le, il n’est pas aisé d’employer le terme « mère de Dieu ».
On peut en justifier l’usage, mais on s’expose à des malentendus et à des incompréhensions qui en détournent le sens.
En tout cas, quand Élisabeth qualifie Marie de « mère de mon Seigneur », elle pense à Jésus et anticipe sa venue comme le Messie attendu, ce qui nous est nettement plus facile à comprendre que les discussions christologiques du Vème siècle.
La troisième partie rapporte comment l’enfant d’Élisabeth, à l’écoute de la salutation de Marie, a bondi d’allégresse en son sein. Le texte ne dit pas en quoi consistait cette salutation.
Peut-être était-ce un simple : « La paix soit avec toi ».
La quatrième et dernière partie est plus significative : « Bienheureuse celle qui a cru que ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira ».
Le mot « bienheureuse » est un terme profondément juif, repris par Jésus dans les Béatitudes et qui caractérise celui ou celle qui suit la volonté de Dieu.
En ce qui concerne Marie, elle est déclarée bienheureuse parce qu’elle a cru la promesse de Dieu transmise par l’ange Gabriel. Elle a acquiescé en disant : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit (fiat mihi secundum verbum tuum)».
C’est ce oui, à la fois simple et difficile, qui fait de Marie la figure par excellence de la foi.
C’est pourquoi un protestant aussi peut très bien dire en connaissance de cause que les croyants sont fils de Marie et qu’ils sont bénis avec Marie la croyante, exactement les mêmes termes que Paul utilise dans sa Lettre aux Galates par rapport à Abraham, le père des croyants, pour dire que l’homme n’est pas sauvé par les œuvres, mais par la foi seule.
Si bien que Marie peut être considérée comme la première dans l’Alliance nouvelle qui a été sauvée par la foi seule.
Contrairement à ce que pensent certains, un protestant peut aussi être sensible à celle qui a porté le Christ.
C’est elle qui est le véritable christoforos, le porteur du Christ, que nous rappellent tous les Christophe du monde.
Lorsqu’elle a rencontré Élisabeth, tout était en gestation, secrètement, caché dans la pudeur de l’attente.
En effet, l’essentiel se prépare toujours dans le silence, sans regards extérieurs. Cette préparation est parfois longue, comme elle peut être dure. C’est vrai pour la maturation d’une œuvre, c’est vrai pour le travail latent qui précède une naissance.
Mais quelle joie quand tout est accompli.
Or pour en parler, il faut encore attendre deux jours !
Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, dimanche 22 décembre 2024