Prédication
Les deux textes que nous venons d’entendre entrent en résonance. Il s’agit en effet de dialoguer avec celui que nous appelons Dieu, d’entrer en relation avec lui.
J’aimerais qu’ensemble, nous regardions de plus près plusieurs points que soulèvent les textes. Tout d’abord, nous essaierons de répondre à la question : pourquoi prions-nous ? Ensuite, nous verrons qui nous prions, et comment nous le prions. Enfin, je voudrais que nous nous penchions sur le verset : « Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira ».
Pourquoi prions-nous ?
Relisons quelques versets de Genèse 18…
Nous sommes témoins dans ce passage d’une drôle de situation… nous voilà en effet projetés en plein marchandage, comme si nous étions témoins d’un échange entre deux commerçants…
Et les deux protagonistes ne sont autres qu’Abraham et le Seigneur Dieu ! ça alors, ce n’est pas commun…
Si je trouve 50 justes, feras-tu périr toute la ville malgré tout ? Et si j’en trouve 45 ? 40 ? 30 ? 20 ? 10 ?
Mais que veut donc Abraham, à négocier comme cela avec le Très Haut ? Pour qui se prend-il ?
Dieu souhaite punir les habitants de Sodome et Gomorrhe, car ils ont mal agi. Ils ont provoqué la colère de l’Éternel en adoptant des mœurs empreint de violence, d’inhospitalité, d’orgueil.
Or, Loth, un neveu d’Abraham, habite à Sodome. Et voilà donc Abraham qui plaide pour des personnes qu’il connaît, mais aussi pour d’autres, qu’il ne connaît pas. Il demande la vie sauve pour des justes, mais également pour ceux qui offensent le nom de Dieu par leur comportement inapproprié.
L’échange entre Abraham et Dieu est pour le moins surprenant. Au premier abord, on a l’impression d’assister à une palabre de marchands de tapis, à une transaction rondement menée par Abraham qui, malgré les précautions oratoires qu’il prend, avance ses pions sensiblement. Mais regardons de plus près ce que fait Abraham : cherche-t-il à sauver sa vie ? Non. Cherche-t-il à sauver celle de son neveu et la famille de celui-ci ? Sans doute. Mais il va plus loin – beaucoup plus loin. En effet, Abraham, dans sa requête d’épargner la ville même si peu de ses habitants sont vertueux, cherche à intercéder pour tous les êtres humains, qu’ils soient bons ou mauvais.
Je pense que ce passage de la Genèse nous permet de prendre conscience que prier, c’est intercéder pour les autres. Prier, c’est acter le fait que nous sommes toutes et tous interdépendants, et que chacune et chacun d’entre nous a une responsabilité envers son prochain. Prier, c’est accepter de répondre à l’invitation que Dieu nous fait d’être pleinement co-responsables de la création, afin de travailler ensemble aux mieux-être de tous les êtres vivants, qui qu’ils et elles soient. Prier, c’est donc combattre l’individualisme, le chacun pour soi. Prier, c’est faire ensemble. Faire communauté. Prier, c’est se décentrer et laisser les autres – même ceux qui ne sont a priori pas nos amis – être touchés par la grâce et le pardon.
Qui prions-nous ?
Mais alors, qui prions-nous ?
Abraham, dans l’extrait du livre de la Genèse que nous avons lu, parle à Dieu avec crainte. Seigneur, dit-il, pardonne-moi d’insister, mais…
Nous sommes en présence d’un Dieu tout-puissant tel qu’il apparait régulièrement dans le premier testament. Un Dieu qui veut remettre de l’ordre, un Dieu qui se soucie de savoir si son peuple respecte les règles qu’il a édictées.
Un Dieu sévère, certes, mais un Dieu qui pardonne – à l’image des habitants de Sodome et Gomorrhe qui sont épargnés.
Regardons maintenant les versets de l’Évangile de Luc que nous avons lus.
Jésus prie, en présence de ses disciples. Et voilà que l’un d’entre eux (vous remarquerez qu’il n’est pas nommé – comme si cela voulait dire que ce disciple peut être l’un d’entre nous), intrigué sans doute, lui demande « apprends-nous à prier ». C’est vrai, ça …. Prier, ça doit bien s’apprendre… comme marcher, ou chanter, ou lire… Prier, ce n’est pas instinctif comme pourrait l’être respirer… D’ailleurs, je suis sûre que beaucoup d’entre nous se sont posé la question à un moment donné, ou se la posent encore régulièrement… Comment prier ? Y a-t-il une recette ? Un mode d’emploi ?
Quand vous priez, dit Jésus, dites « Père »… Quel beau nom que ce nom de Père, qui fait de nous des enfants, et des frères et sœurs ; qui nous englobe dans une grande famille ! Père, et non pas Seigneur, dont nous serions les serviteurs craintifs. Bien sûr, le nom de Père ne résonne pas doucement aux oreilles de tous les êtres humains. Bien sûr, pour certaines et certains d’entre nous, le nom de Père peut rimer avec violence, abandon, crainte. Mais le Père dont témoigne Jésus est celui d’un amour infini. Dieu le Père, c’est le parent – Père ou Mère – qui ouvre ses bras pour accueillir le fils prodigue, c’est le parent qui guérit, qui relève, qui redonne confiance et espoir.
L’enfant qui se jette dans les bras de son parent aimant trouvera le réconfort et l’amour inconditionnel qui est essentiel pour grandir. L’adulte qui appelle librement son parent « père / papa » « mère / maman » exprime un amour libre, gratuit, reconnaissant. Et c’est de cet amour qu’il est question lorsque Jésus nous invite à prier le Père.
La première phrase que Jésus nous propose est celle-ci : « que ton nom soit reconnu pour sacré. » C’est-à-dire, que ton nom soit vivant, qu’il soit vivifiant, reconnu comme unique et irremplaçable. Jésus nous invite à glorifier le nom de Dieu dès la première phrase de notre prière. Puis il continue : « que ton règne vienne ». Le règne de Dieu, c’est celui dont nous parlions tout à l’heure avec l’exemple de la prière d’Abraham. Le règne de Dieu, c’est celui dans lequel les êtres humains acceptent leur co-dépendance et leur co-reponsabilité face à la création.
Ainsi donc, frères et sœurs, quand nous prions, nous sommes, à l’image de Jésus, des enfants confiants. Nous répondons à l’appel de Dieu, et nous lui demandons d’être le compagnon de nos routes.
Demandez, et l’on vous donnera… mais quoi donc ?
Poursuivons la prière que Jésus enseigne à ses disciples : « Donne-nous, chaque jour, notre pain pour ce jour ». De quel pain parlons-nous ? Du pain fait de farine qui calme notre faim ? Ou d’un tout autre pain ?
Souvenez-vous de l’Évangile de Jean, au chapitre 6, lorsque Jésus répond à la foule qui lui demande le pain venu du ciel, comme Dieu donna la Manne à Moïse et aux siens. Il leur dit alors : « C’est moi qui suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui met sa foi en moi n’aura jamais soif. » (verset 35)
Le pain pour ce jour est donc Jésus, c’est-à-dire un pain spirituel, un pain essentiel. Certes, nous ne calmerons pas notre faim en lisant les Évangiles. Mais notre lecture nous mettra en mouvement pour aller vers les autres, et nous oserons – à l’image des amis de la parabole que nous avons lue dans le texte de Luc – demander, dans la confiance, et donner, par amitié et fidélité.
La deuxième chose que Jésus nous enseigne, c’est de demander le pardon. Le pardon semble aussi essentiel que le pain. Car oui, nous le savons – même si nous avons parfois du mal à nous en convaincre – le pardon est un acte incontournable pour pouvoir avancer sans rester figé dans un passé douloureux. Le pardon permet d’ouvrir les portes du possible dans des situations qui semblent bouchées, dans des situations qui font si mal qu’elles peuvent avoir des conséquences dramatiques sur nos vies. Pardonner, ou demander le pardon, ce n’est pas renoncer à ce que justice soit faite. C’est choisir un chemin de vie qui n’enferme pas.
« Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez à la porte, et l’on vous ouvrira. »… Lorsque nous prions, n’hésitons pas, comme Abraham, à demander… Dieu le Père nous donnera, nous dit Jésus.
Mais que nous donnera-t-il ?
L’Esprit Saint, cette force qui nous accompagne au quotidien. C’est un don précieux et quelque peu déroutant, avouons-le. Car, lorsque nous prions, nous demandons plutôt la réussite, la santé, ou que sais-je… et nous voudrions un résultat immédiat ! Or Jésus nous promet l’Esprit Saint. Cette force qui nous permet d’entrer en relation avec Dieu et avec les autres.
« Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, dit Jésus, je suis là au milieu d’eux ». Cette force qui nous permet de ne plus agir en tant qu’individus isolés les uns des autres, mais en tant que société qui porte un projet de fraternité et d’amour partagé. Cette force qui permet à nos énergies non pas uniquement de s’additionner, mais de fusionner et d’être fécondes pour que vienne le règne de Dieu, c’est-à-dire le projet divin d’une humanité vivante, fraternelle, où la justice, la paix et la confiance ne seront pas de vains mots. Et alors Dieu pourra voir, comme au premier jour, que « cela était bon ».
Pour que nos prières, adressées à un Père aimant au-delà de tout, nous poussent à agir par l’Esprit, que Dieu nous vienne en aide. Amen.
Sara Claire LOUEDEC
Rennes, dimanche 27 juillet 2025