Prédication
Il y a quelques jours, les chrétiens célébraient Noël. Noël, fête de l’Espérance. Espérance dans la venue de Dieu fait homme, incarné dans un tout petit, si fragile, dont la naissance, 1000 fois racontée et plus encore, alimente autant les récits empreints de foi que le folklore commercial des supermarchés.
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! Et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » (traduction Bible du Semeur), ont entonné des chrétiens de toutes confessions dans toutes les églises du monde.
Paix sur la terre aux hommes qu’il aime…
Et voilà que nous lisons aujourd’hui ce terrible récit du massacre des enfants ordonné par le sanguinaire Hérode. Récit qui glace le sang. Récit qui convoque des images bien réelles et très actuelles de massacres par milliers sur la terre de Palestine.
Paix sur la terre aux hommes qu’il aime…
Chers amis, chères sœurs, chers frères en Christ,
Comment recevoir ce texte aujourd’hui ?
Comment lire l’histoire de Joseph, poussé par la peur, qui prend femme et enfant pour fuir vers une terre inconnue ? Comment entendre une Parole de vie, une bonne nouvelle, dans les mots qui retracent le meurtre froid et calculé d’enfants ? Où est la lumière de Noël, dans ce texte ? Paix sur la terre aux hommes qu’il aime, vraiment ?
Matthieu est le seul des 4 évangélistes à relater le meurtre des enfants de Bethléem, et les historiens doutent qu’un tel massacre ait réellement eu lieu. Est-ce à dire que cet épisode est sans importance ?
Bien sûr que non. Car des meurtres de masse, il y en a eu hier, il y en a aujourd’hui, et il y en aura malheureusement demain. Cette histoire, c’est le reflet de sentiments et de comportements humains bien connus : la haine, la jalousie, le mépris, la vengeance, la violence, le meurtre – pour ne citer que ceux-là.
La famille de Jésus part se réfugier en Égypte. Environ 700 km à parcourir à pied, avec un enfant en bas âge. Nul besoin d’avoir beaucoup d’imagination pour comprendre la difficulté d’une telle entreprise, et les dangers inhérents à un tel voyage. Il est aisé ici de convoquer des images de familles des 4 coins du monde fuyant les combats ou la misère, avec pour seul bagage un aller sans retour.
Si Joseph fuit avec sa famille, c’est qu’il a été prévenu en songe du danger imminent. Joseph, qu’on pourrait qualifier d’acteur de second plan dans cette histoire si contemporaine. C’est pourtant à lui que Dieu rend visite en songe. Lui, le père adoptif, la « pièce rapportée ». Et Joseph fait ce que Dieu lui demande de faire.
Quelle confiance ! Quelle foi !
La confiance et la foi – de Marie d’abord, et de Joseph par la suite, permettent à Jésus de grandir dans un environnement serein malgré les péripéties qui jalonneront son quotidien. Dieu choisit de s’incarner et de grandir dans une famille modeste mais confiante ; Jésus se retrouve sur les routes de l’exil, nourrisson fragile mais aimé. C’est cette même confiance en l’Éternel qui permettra à Jésus de supporter l’épreuve de la Croix, et de dire « que ta volonté soit faite ».
Je vous propose maintenant de nous attarder sur la deuxième partie de notre texte : le massacre des enfants ordonné par Hérode.
A l’opposé de Joseph, Matthieu dresse le portrait de Hérode, roi sanguinaire.
Hérode appelle « en secret » les savants pour obtenir des informations plus précises sur le lieu de naissance de ce nouveau « Roi des Juifs ». Il a peur, il se sent menacé, et il ruse pour pouvoir se débarrasser de ce rival incarné dans un nourrisson.
En insérant ce récit entre la fuite en Égypte et le retour en Israël, Matthieu tient à mettre en avant le fait que Jésus est né dans un monde cruel, qui n’était pas prêt à le recevoir.
Ainsi sont dépeintes deux attitudes face à l’annonce de l’arrivée du Messie :
Une attitude de confiance. Celle des parents de Jésus, des juifs pieux, mais également celle des mages, ces scientifiques étrangers païens qui reconnaissent dans les astres un signe divin. Marie, Joseph, les Mages, entendent la voix du Seigneur à travers ses messagers et ils se mettent en route, sans douter que Dieu est à leurs côtés.
Une attitude de défiance. Celle d’Hérode. Sa jalousie maladive nourrit sa haine, et Hérode apparaît comme l’incarnation de la noirceur : hypocrite, il dit vouloir rendre hommage à l’Enfant-Roi, alors qu’il n’a qu’une envie, détruire celui qui met son pouvoir en péril. Et tant pis si c’est un enfant ! Et tant pis s’il ne sait pas exactement où le trouver ! Il fera exécuter tous les enfants de moins de 2 ans des environs, pour être sûr d’asseoir son autorité.
Alors se réalisa ce qu’avait déclaré le prophète Jérémie : « On a entendu une plainte à Rama, des pleurs et de grandes lamentations. C’est Rachel qui pleure ses enfants, elle ne veut pas être consolée, car ils sont morts. »
Ces versets sont un cri qui déchire la nuit.
Ces versets nous transpercent comme l’épée qui met à mort.
Où est Dieu, dans tout cela ? L’histoire du massacre des enfants de Bethléem choisit de regarder de front la question du bien et du mal, et la question de la toute-puissance de Dieu. Dieu aurait-il choisi de protéger son fils au péril de la vie d’autres êtres humains ?
Dieu, me semble-t-il, n’est pas dans la toute-puissance telle que nous la pensons dans une vision humaine, c’est-à-dire une force écrasante qui détruit tout sur son passage. Quand on dit d’un dirigeant qu’il agit en toute puissance (comme Hérode dans notre texte), on a d’emblée une image négative de cette toute puissance. Or, si Dieu est tout puissant, il l’est à l’image d’un parent aimant qui fera le maximum, et même plus, pour prendre soin de son enfant. Dieu ne pourra pas arrêter le mal. Mais il se glissera dans les failles, s’insinuera dans les craquelures, mettra un pied dans la porte pour qu’on entende le cri des personnes étouffées, mutilées.
Dieu est présent dans la vulnérabilité d’un enfant, d’un exilé, qui échappe à la tyrannie. Dieu est présent dans la fragilité. Le Mal existe ; il est puissant, redoutable, et Dieu ne l’arrête pas. Car le Mal est inhérent à la liberté de l’être humain. Or Dieu nous a voulus libres.
Dieu souffre avec nous, il est le nouveau-né dans Bethléem-la-sanglante, et il est le torturé sur la croix. Je crois que Dieu était présent dans toutes les personnes qui ont facilité le voyage de Jésus et de sa famille vers une terre d’exil. Comme il est présent dans toutes celles et ceux qui aujourd’hui accueillent les bras ouverts celui qui vient de loin, celui qui est déraciné, apeuré. Dieu, j’en suis convaincue, était présent dans Simon de Cyrène qui a porté la croix de Jésus…
Car, si le Mal existe, qu’il soit tonitruant ou caché pour mieux s’ancrer, le Bien aussi existe, avec force, depuis la nuit des temps.
Le Bien est discret, anonyme, humble. Il se faufile là où il peut, pour fissurer les murs de haine. Le Bien a une force de tantale et fait tomber les murs que la haine édifie.
« Je ne crois pas en Dieu », peut-on parfois entendre, « car s’il existait, il n’accepterait pas le malheur, il n’y aurait plus de guerres. » Ce Dieu que certains fantasment n’est pas celui dans lequel je mets ma confiance.
Dieu fait homme la nuit de Noël n’accepte pas le malheur. Certes, il ne dresse pas ses armées contre les forces du mal – car il n’a pas d’armée. Il suscite cependant des résistants, des maquisards du bien, des révoltés portés par l’amour inconditionnel que l’Éternel a pour ses enfants. Dieu fait homme la nuit de Noël fait briller une étoile d’amour et d’espérance qui luit dans les ténèbres. Dieu fait homme la nuit de Noël s’incarne aujourd’hui encore dans toutes les paroles et tous les gestes qui disent « tu n’es pas seul / seule ».
« J’étais un étranger et vous m’avez recueilli… »
En présence des fuyards et des exilés, que Dieu nous inspire chaque jour d’être ses résistants. Amen.
Sara Claire LOUEDEC
Rennes, dimanche 28 décembre 2025