PRÉDICATION : Dimanche 30 novembre 2025

Pour ce premier dimanche de l'Avent, c'est Stéphanie MERCIER qui officia. Pour concevoir sa prédication, elle s'est basée sur un extrait du chapitre 24 de l’Évangile selon Matthieu.

Évangile selon Matthieu, chapitre 24, versets 36 à 42

Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul.

En effet, comme ont été les jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme.

En effet, aux jours qui précédèrent le déluge, les gens mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et ils ne se doutèrent de rien jusqu’à ce que le déluge vienne et les emporte tous ; il en sera de même à l’avènement du Fils de l’homme.

Alors, de deux hommes qui seront aux champs, l’un sera pris et l’autre laissé ; de deux femmes qui moudront à la meule, l’une sera prise et l’autre laissée.

Veillez donc, puisque vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra.

PRÉDICATION : Veiller dans l’attente…

Frères et sœurs,

Très certainement, à la lecture de ce texte, partagez-vous ma surprise et ma gêne : Pourquoi ce rappel du déluge et cette annonce de la fin des temps avec la promesse d’un jugement inflexible devrait-elle être une bonne nouvelle pour nous tous ? Et pourquoi, question non moins préoccupante, ce texte a-t-il été choisi pour inaugurer ce temps de l’attente de Dieu, ce temps de l’espérance qu’est l’Avent ? Pourquoi commencer l’année liturgique par un texte pareil ? Comment y trouver un encouragement ? On nous avait pourtant dit que la grâce de Dieu nous était donnée sans condition… Telles sont les questions qui surgissent.

Il me semble pourtant qu’il est possible d’esquisser quelques pistes de lecture qui permettent d’entendre ici une bonne nouvelle…

 

La première raison de lire ce texte comme une bonne nouvelle, c’est peut-être, que Jésus, ici, contre nos tentations de toute puissance et notre désir de maîtrise, nous rappelle que nous ne maîtrisons pas tout…

  • La première chose que nous ne maîtrisons pas, nous dit Jésus, c’est le calendrier : « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul ». Ce qui signifie d’une part que si Jésus lui-même n’en sait rien, c’est que nous n’avons pas à y accorder une importance excessive. Et d’autre part que nous n’avons pas de pouvoir sur ce qui nous dépasse : le temps, le projet de Dieu… En fait, nous n’avons pas à nous faire des nœuds au cerveau avec ça… Ce qui, au demeurant est assez libérateur…
  • Mais si nous ne sommes pas maîtres du temps, nous ne le sommes pas non plus des autres. S’il est vrai que les récits qui évoquent le jugement dernier viennent certainement combler le besoin de justice des premiers chrétiens dans un monde où ils risquent la persécution, ils viennent aussi rappeler qu’ultimement, nous n’avons pas à nous positionner en juges de nos frères en nous prenant pour Dieu. Il n’est pas anodin que ce passage survienne après que Jésus ait condamné à la fois les faux prophètes et les docteurs de la Loi qui instrumentalisent la religion et prétendent, au nom de Dieu, trier l’humanité entre les purs et les impurs : ici, rien ne distingue les deux hommes qui travaillent au champ et les deux femmes qui transpirent à la meule. Aucun moyen de déterminer par nous-mêmes qui mérite quoi. Dieu est seul juge. Et cela aussi est libérateur : ultimement, personne ne peut dire le tout de notre personne, personne ne peut s’arroger, et surtout pas au nom d’un pouvoir religieux, le droit de nous condamner et de nous exclure. Et nous non plus, de même que nous n’avons pas à juger les autres, nous n’avons pas à nous enfoncer dans une culpabilité mortifère en nous jugeant nous-mêmes à l’aune de nos propres critères et de notre idéal du Moi.
  • Et puis, dans la foulée, ce qui est affirmé ici, c’est que nous ne pouvons pas asservir Dieu à notre volonté… que nous ne pouvons posséder Dieu en décrétant à sa place qui serait juste et qui ne le serait pas et, pour parler le langage des Pharisiens dont il est question au début du chapitre, qui serait pur et qui ne le serait pas… Dieu réaffirme sa liberté, il nous échappe… Et c’est important, personnellement et en Église, de l’entendre. C’est important non pour vivre dans la peur mais justement pour accueillir le message d’un Dieu qui fait grâce, d’un Dieu qui, comme le dit la première épître de Jean, « est plus grand que notre cœur » : « devant lui nous apaiserons notre cœur car, si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur » (I Jean 3, 19-20).

 

La deuxième raison d’entendre une bonne nouvelle dans ce texte, c’est que si Dieu nous échappe, pourtant Il vient, et il nous est donné de l’attendre : « Veillez-donc, puisque vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra ». Car ici, ce qui s’inscrit, c’est aussi une promesse : celle d’une venue… la promesse que Dieu ne nous abandonne pas… Et c’est aussi, notons-le, ce que nous rappelle le temps de l’Avent. Nous ne possédons pas Dieu, nous n’avons pas à l’égaler pour gagner le Ciel, c’est lui qui vient nous rejoindre là où nous sommes, tous et toutes, qui que nous soyons… Là aussi où nous sommes fragiles, là où nous sommes démunis, là où nous sommes ignorés, là où nous sommes jugés et incompris…

Il vient, fragile avec les fragiles, démuni avec les démunis, ignoré avec les ignorés, persécutés avec les persécutés, incompris avec les incompris… Et ce faisant, il ne vient pas exercer un pouvoir sur le monde mais le sauver…

Ici, cette promesse de la venue de Dieu est associée à un appel : veillez. Veillez, c’est-à-dire attendez, gardez cette posture de l’attente.

Si nous sommes encouragés à attendre, c’est que le monde décrit par Jésus dans ce passage est un monde où la vie semble passer sans que personne n’attende rien. Les gens se livrent, en effet, à des activités quotidiennes, répétitives : ils boivent, ils mangent, ils travaillent durement aux champs, à la meule… Sur un axe chronologique, ils se marient et puis marient leurs enfants. Quoi de plus banal … et de plus mécanique ? L’humanité satisfait ainsi, grâce au travail et aux alliances, ses besoins les plus urgents : se nourrir et s’assurer une descendance… Et il ne semble plus y avoir de place pour rien d’autre. Et nous aussi, parfois, c’est ainsi que la vie nous semble : si pleine qu’il n’y a plus d’espace pour rien d’autre que le labeur quotidien et la routine… Mais qu’en est-il de ce qui fait de nous des humains ? Qu’en est-il de ce qui fait le sel de la vie, de ce qui lui donne son sens ? Je veux dire, qu’en est-il de ce qui nous fait exister pleinement, de ce qui nous rend vraiment heureux, de ce qui nous donne de la joie ? Qu’en est-il de notre capacité désirante ? Quelle place en nous pour attendre ? Quelle place pour accueillir l’imprévu et nous laisser surprendre ? Quel espace en nous pour aimer au-delà de nous-mêmes ? Et quelle place pour l’Aventure en germes dans le mot « Avent » ? En même temps que nous est rappelée dans ce texte notre finitude, notre mortalité, il nous est rappelé aussi qu’ici et maintenant, nous sommes appelés à la Vie sur des chemins imprévus…

 

Mais ce qui peut être routinier, ce n’est peut-être pas seulement notre vie personnelle mais notre vie d’Église, surtout quand nous la voyons comme une institution dont la doctrine détient toute la vérité sur Dieu.

« Veillez-donc puisque vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra. » dit Jésus… Et si, ce faisant, il nous disait que la foi que pouvons mettre en Dieu et en sa Parole n’était pas l’objet d’une possession mais plutôt d’une déprise, d’un renoncement à posséder Dieu et d’une recherche… en confiance… parce qu’il demeure une heure que nous ne connaissons pas, parce qu’il nous est donné un Seigneur encore à connaître, encore à rencontrer tous les jours de notre vie, un Dieu qui ne se donne pas comme un savoir mais comme une rencontre dans la surprise et l’émerveillement, un Dieu qui vient…

En écho à cette méditation, j’aimerais vous partager ces réflexions de Paul Tillich, théologien allemand qui a fui dès 1933 l’Allemagne nazie après avoir été destitué de ses fonctions universitaires pour avoir pris la défense d’étudiants juifs : « Rien ne caractérise autant notre vie religieuse que ces images de Dieu fabriquées par nous. Je pense au théologien qui n’attend pas Dieu parce qu’il le possède enfermé dans une construction doctrinale. Je pense à l’étudiant en théologie qui n’attend pas Dieu parce qu’il le possède enfermé dans un manuel. Je pense à l’homme d’Église qui n’attend pas Dieu parce qu’il le possède enfermé dans une institution. Je pense au fidèle qui n’attend pas Dieu parce qu’il le possède, enfermé dans sa propre expérience. Il n’est pas facile de supporter cette non-possession de Dieu… Il n’est pas facile de prêcher Dieu à des enfants et à des païens, à des sceptiques et à des athées, et de leur expliquer en même temps que nous-mêmes ne possédons pas Dieu, mais que nous l’attendons. Je suis convaincu que la résistance au christianisme vient pour une grande part de ce que les chrétiens, ouvertement ou non, élèvent la prétention de posséder Dieu et d’avoir ainsi perdu l’élément de l’attente… Nous sommes plus fort quand nous attendons que quand nous possédons. » [1].

Accepter de ne pas posséder Dieu mais l’attendre et se laisser surprendre …   Tel est l’appel qui nous est fait pour cet Avent…

Alors oui, veillons dans l’attente de la promesse

Veillons parce que l’inouï de Dieu prend le chemin du monde

Veillons parce qu’Il vient où nous ne l’attendons pas

Veillons pour témoigner nous aussi, en chemin

Veillons pour témoigner de notre attente

Veillons avec nos doutes, avec nos inquiétudes,

Veillons pour, nous aussi, être mis au Monde…

Seigneur, fais de nous des veilleurs !

Amen.

[1] Paul Tillich, Quand les fondations vacillent, Labor et Fides, 2019.

 

Stéphanie MERCIER

Rennes, dimanche 30 novembre 2025

Contact