Évangile selon Matthieu, chapitre 3, versets 1 à 12
©︎ Évangile & Peinture / Bernadette Lopez Heredia
Prédication
(De manière grande éloquent)
Prenant le relais de la voix d’Ésaïe, Jean Baptiste crie à son tour.
Ces deux textes sonnent comme une longue complainte qui d’écho en écho traverse toute l’Écriture pour clamer la colère de Dieu sur son peuple rebelle.
C’est un peuple à « la nuque raide », il est « lent à comprendre et à croire », il est incapable de se repentir.
Combien de prédicateurs avant moi n’ont-ils pas voulu prendre à leur tour le relais de ce cri pour remettre en état de marche des églises assoupies, des paroisses confortablement installées dans leurs habitudes, et provoquer en elles un sursaut de réveil ?
Comme Jean-Baptiste, combien de prédicateurs ne se sentent-ils pas mandatés par Dieu pour secouer son peuple et ramener ses brebis au bercail ?
Les grands prédicateurs de tous les temps ne se sont pas privés de fulminer contre l’apathie du peuple des croyants qui consomment du religieux au lieu de vivre la précarité de la foi !
Alors, aujourd’hui, oserai-je emboîter le pas à ces illustres personnages et les imiter en usant des prérogatives que tant d’autres avant moi se sont appropriées ?
…. (Temps de silence)
Bon Hervé, calme-toi…
Calme-toi car ce serait d’abord malhabile de ma part de vous houspiller…
Car, enfin, vous êtes venus ce matin… Une réprimande serait plutôt à adresser à ceux qui sont restés sous la couette. Et puis, ça serait contraire, me semble-t-il, à l’Évangile lui-même.
Oui, contraire à l’Évangile… C’est ce que je vais tenter de vous expliquer.
Pourtant ces sermons, le mot est bien choisi, que l’on qualifie de « musclés » ne sont pas sans efficacité.
L’Évangile du jour nous montre les foules se précipitant dans le désert pour se faire tancer par Jean-Baptiste, et aujourd’hui encore, c’est un style utilisé par certains prédicateurs qui promettent des catastrophes aux infidèles, et ce faisant, font salle comble.
Un tel procédé assure sans aucun doute une rentabilité certaine à leur communauté : l’être humain aime à se faire peur car il a cette sensation d’exister, l’être humain aime se faire « secouer » car il croit qu’on s’occupe de lui…
Mais si de telles prédications font le succès des sectes, elles ne sauraient faire le succès des églises, car l’Évangile n’y trouve pas son compte.
En effet, que cela nous plaise ou non, l’Évangile est fait de douceur et d’amour et non d’invectives et d’admonestations ! Encore moins, excusez-moi pour le mot : d’engueulades !
Alors me direz-vous, pourquoi Jean-Baptiste se le permet-il, et pourquoi pas les prédicateurs d’aujourd’hui ?
Pour une seule et bonne raison, c’est qu’à partir de Jean-Baptiste, la révélation de Dieu s’est inscrite dans un autre discours.
Sous l’impulsion de Jésus, le mode de relation avec Dieu a été présenté d’une autre manière.
On est passé de la Loi à la Grâce.
Avec Jean-Baptiste s’achève l’ultime tentative d’un prédicateur pour amener les hommes à la foi en annonçant la colère d’un Dieu tout puissant offensé par le péché des hommes : « cessez d’être rebelles à Dieu leur disait-il, sans quoi Dieu ne pourra plus continuer à être votre Dieu, et vous mourrez certainement ».
Après Jean-Baptiste, Jésus proposera un autre défi.
Jésus met en avant un autre mode de relation à Dieu : face à l’être humain qui refuse de « changer de comportement », Dieu va changer la donne.
Oui, Dieu accepte de rejoindre les êtres humains dans leurs soucis, il accepte même de passer par la mort pour les rejoindre.
Ce n’est pas que Dieu ait changé, il reste immuable. Les prophètes avaient bien essayé, jadis, de dire les choses autrement, mais ils n’avaient pas été écoutés.
Mais, par sa volonté, Il incarne sa Parole en Jésus-Christ pour que toute chose nouvelle touche l’humanité. Et il faudra toute la persuasion de Jésus pour que les choses changent vraiment.
Alors, une dernière fois, Jean-Baptiste fait retentir la voix de la colère de Dieu. Il tonne contre tout ce qui fait entrave à sa majesté, il fustige les clercs, il admoneste les pécheurs, tous sont saisis. Mais c’est une forme de baroud d’honneur.
Jésus va nous proposer de regarder Dieu d’une autre façon. A partir de maintenant, les choses vont se mettre à changer très vite.
Il ne lui faudra que 3 petites années pour que tout ce qui était pressenti et annoncé par les prophètes avant lui prenne corps.
Car les prophètes, tel Ésaïe lui-même, avaient parfaitement compris. Ils avaient pressenti que Dieu préparait une lente révolution dans le cœur des hommes, et qu’un changement d’attitude de la part de Dieu, devait se produire.
C’est à partir du changement de Dieu que les hommes allaient changer.
Une conversion était nécessaire
Il s’agissait d’une double conversion : conversion de Dieu et conversion des êtres humains.
La conversion de Dieu consistait à ne plus se présenter dans sa majesté comme le maître de tout et le créateur de tout. Dieu renonce à sa toute-puissance extérieure et attend désormais, que nous le reconnaissions sous un autre aspect.
Dieu se présente alors sous les traits de celui qui est compatissant et qui ne peut être reconnu que par la manifestation de son amour.
Quant à l’être humain, quant à nous, la conversion consiste désormais à ne plus redouter la colère de Dieu et à ne plus chercher les actes visibles de sa toute-puissance, mais à le reconnaître dans les actes d’amour qui modifient les comportements des êtres humains entre eux.
L’amour, l’agapé, devient alors le point commun de la rencontre entre Dieu et l’humanité.
C’est en le partageant qu’ils se reconnaîtront l’un et l’autre.
Par amour, Dieu introduit l’homme dans sa souveraineté et dans son éternité et par amour, la femme et l’homme renoncent à tout ce qui les attachent à la vanité et acceptent de partager l’éternité de Dieu.
C’est ce qui se passe depuis 2 000 ans
Dieu a cessé de manifester sa colère légitime et a entrepris de renoncer aux signes apparents de sa divinité.
Le feu promis par les prophètes pour détruire l’humanité, comme le feu tombant du ciel pour anéantir les infidèles est devenu le feu de l’Esprit ; qui descend en l’être humain, le pénètre jusqu’au fond des entrailles et allume en lui le désir de faire alliance avec son Dieu dans un acte d’amour éternel.
Ainsi se prépare Noël. Le divin se fait humain.
Dieu Vient, il renonce à lui-même et à sa divinité et devient humain.
En Jésus il entre totalement dans l’abandon de soi en manifestant l’amour sans limite qu’il éprouve pour chaque humain.
Défilent alors devant lui, prostituées, enfants, vieillards, scribes, pharisiens soldats, publicains, juifs, samaritains, païens, riches, pauvres, infirmes et même défunts.
Tous se retrouvent dans une même relation d’amour, dans une égalité de sentiment.
Le péché cesse d’être un élément de rupture irréparable entre Dieu et l’homme.
En incarnant sa Parole en Jésus de Nazareth, homme parmi les hommes, Dieu accomplit un parcours d’humanité. Il accepte même la mort, renoncement suprême à lui-même en rencontrant l’humanité dans son ultime destin.
Mais la mort n’y résiste pas, et le néant devient éternité.
C’est alors que l’être humain peut se dire sauvé.
Il est sauvé quand l’être humain se met à croire que tout cela est vrai.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, dimanche 7 décembre 2025 (Avent)