Prédication du 18 juin 2023

Vous avez raté le culte du 18 juin ? Retrouvez la prédication du Pasteur Didier Fievet.

Lecture biblique : Luc 11 :24-26

 

[Dispute entre Jésus qui libère des malades d’esprit impur, en particulier d’un esprit qui rendait une personne muette, et ses détracteurs. Les uns disent qu’il guérit grâce à Satan, les autres réclament un vrai miracle porteur de la force divine, sans ambiguïté. Jésus conclut sa défense par ces quelques versets :]

Je lis dans une traduction personnelle :

 

« Lorsqu’un esprit impur est sorti d’une personne, il traverse des lieux arides, cherchant le repos, mais ne le trouve. Alors il dit : je m’en vais retourner à la maison dont je suis sorti. Une fois entré, il la trouve balayée et bien rangée. Alors il s’en va prendre avec lui sept autres esprits encore plus méchants que lui. Et ils viennent s’y installer ; et l‘état de cette personne devient pire qu’avant… »

 

 

J’aime bien ces petits versets auxquels on ne prête guère attention. On leur en prête d’autant moins qu’ils interdisent de confondre Evangile et bonnes manières ! Ils dérangent parce qu’obstinément ils empêchent de clore l’Évangile en un seul discours unitaire, de l’enfermer dans une doctrine ou pire encore dans des valeurs. Bienvenue à ces petits porteurs d’Évangile, grains de sable dans les rouages trop bien huilés des vérités religieuses ! Chez Luc, ces versets constituent un argument paradoxal de la part de Jésus. A celles et ceux qui l’accusent d’une délégation de pouvoir satanique, comme à celles et ceux qui en appellent à un vrai miracle, estampillé du label céleste, Jésus répond d’une seule voix : à quoi ça sert de chasser les démons ? D’un même mouvement, il dénonce dans leurs attitudes apparemment opposées, une même logique : les uns comme les autres font de Dieu un Satan.

 

Si ma vie était bien en ordre avec Dieu, ma maison bien balayée, si je pouvais cocher toutes les cases du parfait petit chrétien, alors…  je serais l’humain le plus en perdition ! La vie ne saurait se résumer à cultiver quelques vertus, fussent-elles théologales. La vie en mourrait.  La foi ne consiste pas à tenter de maintenir sa vie conforme aux principes de l’Église, comme on dit. Malheureuse (bah, oui, ce matin j’ai décidé que le masculin ne l’emporterait pas sur le féminin… juste quelques minutes, histoire de voir ce que ça nous fait, messieurs), malheureuse donc à ce petit jeu malsain, au mieux tu perdras la joie, au pire tu feras de ta vie un enfer. De Dieu tu feras un diable, sous prétexte d’éliminer Satan. Voyez-vous, il est significatif que Luc nomme ce chef des esprits impurs : Satan. En hébreu le mot signifie : accusateur. L’esprit impur ce n’est pas le fantasme qui te trouble au passage de quelques courbes évocatrices (et je parle là pour les deux genres !), l’esprit impur c’est de croire que Dieu pourrait être un accusateur. Et ça, mon ami.e, c’est le fantasme le mieux partagé du monde ! Dieu, dans un coin de chaque conscience croyante ou athée, rime avec commandement et sanction instruction et évaluation, effort et salaire. Eh bien, c’est cela le péché : croire que Dieu puisse être un Satan, un accusateur. Face au procureur l’Esprit de Dieu, lui, porte un autre nom : le paraclet. Ce qui en français se traduit par avocat. Entre esprit de Satan et Esprit saint, il y la même différence qu’entre le procureur et l’avocat. Entre esprit de Satan et Esprit saint, il y a … il y a … il y a ? Il y a la foi ! La foi au sens de la Réforme.  La foi qui fait et l’idole et le dieu, comme disait Luther. Athées ou croyantes, que nous réfutions ou ratifions des dieux qui accusent, nous ne parlons pas de l’Évangile du Christ. Nous ne connaissons pas la foi. Le premier lieu à évangéliser c’est donc notre croyance : passer de la croyance religieuse à la foi. Et ce passage ne peut se faire que dans le désarroi de savoir sa maison sale, pas balayée, hantée… Tout le reste n’est qu’illusion aliénante. La foi, c’est être acculé à s’en remettre au seul Dieu qui ne soit jamais un accusateur, le Dieu révélé par Jésus-Christ !

 

            Ce qui m’amène à mon second point : que signifie évangéliser ? Faire du nombre ou se faire l’écho d’une parole de liberté ? Répondre au sentiment religieux ou répandre une parole qui libère du sentiment religieux ? Nous vivons, certes, dans un monde athée. Mais qui regorge de dieux ! Et des dieux qui ont en commun un mot : efficacité. Des dieux qui servent à quelque chose. Des dieux qui se mesurent au résultat. L’argent, le pouvoir, le sexe, les apparences, le progrès, la technique. On est tous d’accord. Mais je vais ajouter quelques autres idoles : l’identité chrétienne, les vertus évangéliques, les valeurs protestantes, l’esprit du sacré, l’adoration de la nature … Et ça devient plus clivant, n’est-ce pas ? Pourtant, songez-y bien, toutes ces choses, une fois érigées en absolu par leurs adeptes, deviennent des Satans. Qui accusent. Ainsi celles qui refusent le progrès technique sont des amishes égarés, celles qui dérogent au culte des apparences sexistes sont des coincées, celles qui refusent de ployer le genou devant le pouvoir sont des perdantes ou des rebelles… elles-mêmes prisonnières de leurs idéaux utopiques ! De proche en proche, les idoles se combinent, nous conforment, nous font marcher au pas de la grande économie planétaire. Le monde se déchire, idole contre idole, Satan contre Satan.

Le plus souvent, et tout particulièrement par les temps qui courent, dans nos bouches chrétiennes, évangéliser c’est juste prendre part à ces luttes idolâtres : une religion contre une autre, la religion contre l’athéisme. Ce qui revient à faire de Dieu une idole parmi les autres… Jésus a connu ça. Et il a refusé d’entrer dans la valse. Là où les gens se prétendaient libres, il leur montrait leur aliénation. Là où ils étaient aliénés, il les libérait. C’est ça, évangéliser : dénoncer l’idole pour en libérer. Au risque d’être tenté de devenir un Satan. Au risque de la vie. Le Dieu de l’Évangile, le « Dieu pour rien », prend ce risque de la vie. Pas de grand ménage, pas de culte de la sainteté, pas d’effort rentable, sauf à devenir notre propre Satan. Notre propre accusateur… Bonne nouvelle de Jésus-Christ : Dieu n’est pas ce qu’on en fait. Dieu pour rien !

 

            Il ne nous est pas commandé d’avoir des consciences nettes. Il nous est juste offert de n’avoir plus à nous en préoccuper. La vérité de l’Évangile ne tient pas à des valeurs à faire valoir sur l’étalage du marché spirituel. La vérité de l’Évangile tient premièrement à ceci : je suis incapable de n’être pas le jouet de mes idoles. Et secondement, à ceci encore : ce n’est que sur le champ de bataille de mes incertitudes et de mes certitudes, ce n’est que parmi les paroles de séduction que peut me parvenir une parole de liberté.  Sur la façade de ma maison, il y aura toujours cette pancarte :  à libérer. Et c’est une bonne nouvelle, car c’est ainsi qu’il s’avance le Royaume de la grâce. Jamais comme une religion ! Toujours « pour rien ». Rien que pour une vie d’humain. Libérée de tout impératif d’efficacité, réconciliée pour toujours !

Amen !

 

 

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