Prédication du 22 octobre 2023

Vous avez raté le culte du 22 octobre ? Retrouvez la prédication du Pasteur Hervé Stücker.

Prédication tirée du texte de  Matthieu 22, 15-21

 

Chers amis, chers frères et sœurs,

 

Dans le prolongement de la lecture de l’évangile de Matthieu que nous faisons depuis quelques dimanches de ce temps de l’Église 2023, le texte de ce jour nous renvoie à un thème bien d’aujourd’hui. Un thème un peu « chaud » (comme on dit) dans notre société laïque française.

Et ce thème nous concerne bien, nous, aujourd’hui, en tant que chrétiens.

 

 

Dans le passé, les relations entre l’Église et l’État ont beaucoup varié suivant les régions et les époques.

Sous l’empereur Constantin, à la fin du IVe siècle, la religion chrétienne était devenue LA religion officielle de l’Empire.

Bonne nouvelle pour ces chrétiens de l’époque car ils voyaient ainsi la fin des persécutions, mais cette entrée du christianisme dans le cercle du pouvoir allait vite poser de nouveaux problèmes.

 

 

Je pense que nous sommes tous ici d’accord pour dire qu’il est inévitable que l’Église entretienne des relations avec l’État.

Mais reconnaissons que parfois, l’Église a instrumentalisé l’État… et que d’autres fois, elle a elle-même été instrumentalisée par l’État.

 

 

Quand l’Église instrumentalise l’État, elle méprise la liberté de conscience, et quand elle est elle-même instrumentalisée par l’État, elle fait le jeu de pouvoirs totalitaires.

Nul besoin d’aller chercher très loin : c’est exactement ce qui se passe actuellement en Russie…

 

 

Le texte d’aujourd’hui nous concerne tous car, tout chrétien que nous sommes, nous sommes « de ce monde », témoins de l’Évangile parmi celles et ceux que Jésus lui-même nous désigne comme notre Prochain. Ainsi, nous sommes tous bien des citoyens. La chose est claire !

 

 

Cette clarification, Jésus la fait à travers un prétexte anecdotique d’une question posée par quelques pharisiens perfides.

Perfides car ils savent bien que, pour de bons israélites, le fait de payer l’impôt d’un État, en l’occurrence, l’Empire romain, contredit certains principes du judaïsme.

 

 

La monnaie romaine cristallise ces problèmes.

Pour comprendre, il nous faut faire un peu d’histoire.

80 ans avant notre récit, en 49 avant Jésus-Christ pour être plus précis, Jules César a voulu stabiliser l’Empire en instaurant une nouvelle monnaie, avec des pièces frappées à son effigie.

Au moment où se situe notre récit, l’empereur Tibère est au pouvoir depuis 20 ans.

César étant un titre impérial (et non un prénom), c’est donc son profil qui figure en relief sur les pièces de monnaie.

 

 

Le problème, c’est que tous les empereurs romains sont considérés comme des dieux.

Ainsi, la monnaie romaine portant l’effigie d’un empereur/d’un dieu, apparaît aux yeux des juifs comme un objet frappé d’impureté.

Certains juifs pieux, comme les pharisiens, craignent de devenir idolâtres en utilisant cette monnaie.

C’est d’ailleurs pour cette raison que devant le Temple de Jérusalem on met en place des changeurs, ces changeurs qui ont mis en colère Jésus au chapitre précédent. Les changeurs, ce sont des personnes qui changeaient les pièces de monnaie variées présentées par les pèlerins et les fidèles en monnaie spécifique dont ils avaient le monopole : le demi-shekel.

 

 

On le voit, l’enjeu n’est pas celui d’aujourd’hui.

Pour nous, la question qui tourne autour de l’impôt est de savoir s’il est légitime ou non d’accepter une redistribution des richesses par son biais.

A l’époque de Jésus, l’enjeu, c’était de savoir dans quelle mesure on pouvait rester fidèle à la religion juive dans un pays dominé par un pouvoir qui enfreignait les lois du judaïsme.

Les pharisiens, partisans d’un judaïsme radical, sont bien sûr opposés à cet impôt.

Sur cette question comme sur beaucoup d’autres ils combattent les hérodiens, les partisans d’Hérode, le gouverneur de la Galilée, qui tiennent leur pouvoir de Rome et sont par conséquent favorables à l’occupation romaine.

 

 

Pour mieux contrer les hérodiens, les pharisiens veulent se servir de Jésus, ils l’instrumentalisent.

Mais Jésus n’est pas dupe : il reconnaît le piège et les traite d’hypocrites.

 

 

Car c’est bien un piège, et un piège qui en principe ne lui laisse aucune chance : s’il répond : Oui, il faut payer l’impôt, il devient un collaborateur de Rome et il perd l’estime du peuple ; s’il répond non, il ne faut pas payer l’impôt, il se déclare ennemi de Rome, et met sa vie en péril.

Dans les deux cas il est perdant : soit il perd sa popularité, soit il perd sa sécurité.

 

 

Jésus évite ce piège parce qu’il a une autre logique que les pharisiens et en définitive ce sont eux qui vont se retrouver piégés.

Les pharisiens placent le débat, à leur habitude, sur le plan de ce qui est permis et de ce qui est défendu. A-t-on le droit ou n’a-t-on pas le droit de payer la capitation (l’impôt) à César ?

 

 

Mais Jésus ne s’inscrit pas dans cette logique, il ne se pose pas la question de ce qui est permis et de ce qui est défendu.

Et c’est là, je crois, qu’il touche à quelque chose de très concret à l’intérieur de notre quotidien. Au lieu de répondre par oui ou par non et d’entrer dans la logique de ses adversaires, il revient à des choses concrètes : à la pièce de monnaie qui porte l’image de celui qui passe pour un dieu.

Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ?

Jésus dresse un parallèle : César a son image sur sa pièce de monnaie. Mais Celui qui interdit à ses fidèles de le représenter peut-il avoir une image… ?

….

 

Dans les Écritures, on trouve un passage où cette image de Dieu est évoquée de manière positive. Dans le livre de la Genèse, on lit : lorsque Dieu crée l’être humain, il dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance […].

En suivant la même logique, l’apôtre Paul dira que Dieu nous a marqué de son sceau.

Quant à saint Augustin, voici comment il commente notre récit : Que réclame de toi César ? Son image. Que réclame de toi le Seigneur ? Son image.

Mais l’image de César est sur une pièce de monnaie, l’image de Dieu est en toi !

 

 

Si César a fait frapper des pièces de monnaie à son image, et que Dieu nous a créés à son image, alors, c’est comme si nous devions lui être rendus.

C’est le sens du mot hébreu teshouva, que nous traduisons par conversion.

La teshouva, c’est le processus de repentance qui demande à celui qui a offensé son prochain de lui demander pardon en mettant des mots sur la faute commise, puis de demander pardon à Dieu en s’engageant à ne pas recommencer. Ainsi, la relation avec notre prochain ne peut être vraie que si elle est posée sous le regard de Dieu.

 

 

En d’autres termes, si les pièces de monnaie, qui portent l’image de César, appartiennent à César, les hommes, qui ont été créés à l’image de Dieu, appartiennent à Dieu.

La question de payer ou de ne pas payer l’impôt trouve alors sa juste place : une place tout à fait secondaire…

 

 

Par ce détour, ce passage d’Évangile nous rappelle qu’il ne faut jamais utiliser le religieux à des fins politiques, ni le politique à des fins religieuses.

Le judaïsme avait mis cette idée en avant déjà avec l’histoire du roi Saül, racontée dans 1Samuel 14, qui avait voulu offrir lui-même le sacrifice à Dieu, sans attendre le prophète Samuel. Il avait ainsi signé sa perte, car il ne devait pas y avoir de collusion entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux.

C’est en effet à partir de cet événement que le roi Saül a commencé à décliner au profit de son successeur David.

 

 

Ce passage d’Évangile s’inscrit donc dans la logique du judaïsme en donnant au pouvoir politique la place qui lui revient, tout en veillant à ce qu’il ne déborde pas de sa sphère.

Les détenteurs du pouvoir politiques restent des hommes et Dieu reste Dieu.

 

 

En tant que chrétiens et citoyens, nous sommes appelés à respecter le pouvoir politique pour la fonction qu’il exerce, tant qu’il ne s’approprie pas pour lui-même les attributs de Dieu.

Et Martin Luther de dire : « Il faut toujours obéir aux princes…. Mais parfois, il vaut mieux obéir à Dieu ». Ainsi s’affirmait la liberté de conscience, marque du chrétien.

 

 

Amen

 

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