Prédication réalisée d’après le texte biblique : Esaïe 55/1-12 (traduction du Pasteur Didier Fievet)
« Holà, à tout assoiffé : allez vers les eaux !
A quiconque n’a pas un sou vaillant : allez, ravitaillez-vous, mangez.
Allez, faites provision de vin et de lait, sans avoir d’argent pour payer.
Pourquoi peser de l’argent sans obtenir de pain, pourquoi donner de votre fatigue sans obtenir la satiété ?
Écoutez, écoutez dans ma direction. Alors, vous allez manger du bon, vous allez régaler votre être de douce saveur. Tendez l’oreille, allez vers moi, écoutez et votre être vivra. Je vais couper[1] avec vous une alliance à jamais, scellée de la tendresse envers David, digne de foi.
Voici : j’en ai fait un guide et un chef sur les clans. Voici : tu appelleras une nation que tu ne connais pas, et une nation qui ne te connaît pas courra vers toi, grâce à ton Seigneur, ton Dieu. Oui le Saint d’Israël t’a couvert de sa splendeur.
Cherchez votre Seigneur, maintenant qu’il se laisse trouver, appelez-le maintenant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, l’homme d’iniquité ses desseins, qu’ils reviennent vers leur Seigneur. Et il aura compassion. Oui son pardon est abondant.
Oh oui, dit MonSeigneur, mes chemins ne sont pas vos chemins, mes pensées ne sont pas les vôtres ! Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins et mes pensées diffèrent des vôtres.
Oui, si la pluie et la neige ne descendent pas du ciel sans avoir abreuvé la terre, l’avoir rendue féconde, et l’avoir fait surgeonner, eh bien de même la parole de ma bouche ne revient pas vers moi à vide, sans avoir accompli mon désir, réussi sa mission ».
Comme beaucoup, pendant mes études, j’ai eu des petits jobs. Entre autres, j’ai été chauffeur de maître. Grosse Mercedes, casquette, etc. Un député parisien. Odieux. En revanche, une épouse qui, elle, ne méprisait pas le petit personnel et avait de l’humour… Un jour où Monsieur m’avait dédié au service de Madame, elle me fit cette curieuse demande : « où trouver à Paris, en ce vendredi après-midi, une énorme quantité de géraniums artificiels ? » Au sortir du grand magasin où je l’avais conduite, me voyant chargé d’une brassée géante de géraniums tout de plastique rutilant, quelque peu gênée de son achat, elle me confie : « Nous donnons une réception demain dans notre maison de campagne. Nous avons des moutons pour entretenir la pelouse, mais ils mangent toutes les fleurs ! Ils n’y verront tous que du feu… »
Ainsi en est-il trop souvent de la vie dite chrétienne : qu’importe les racines pourvu qu’on puisse exhiber de belles fleurs ! On fait donc des efforts, on se fatigue, on se donne du mal, on essaie de bien faire, et même de faire le bien… Mais au bout du compte, on a encore faim d’être, on a encore soif d’exister. On reste sur sa faim. S’efforcer, faire et s’agiter, même pour une bonne cause, laisse souvent un goût d’inaccompli. Peut-être parce qu’aucune cause, aucun combat, aucun effort n’est pur. Les Israélites en étaient là, quand au retour d’exil, il leur fallait reconstruire le Royaume de David. On frappe monnaie, on reconstruit l’État, on veut réunir royaume du Nord et royaume du Sud… autour de Jérusalem ou pas, est-on Juifs ou Samaritains ?
Qui sommes-nous, qui suis-je ? Le monde, et la religion avec lui bien sûr, répondent : « tu es le fruit de tes efforts. » Ce qui compte, c’est tes réussites. Même l’échec, il te faut le réussir. Rebondir ! Le mot qui tue, quand on a les chevilles brisées. Ressusciter sur ordonnance, ça tue deux fois. Pourquoi imposer des fleurs artificielles à des sols désolés ?
Depuis toujours dans l’être humain, il y a une volonté de maîtriser la vie. Être sa propre origine et sa propre finalité. Il y a une injonction sociale non seulement à être performant, légitime, mais plus encore être maître de sa vie. On croit que c’est ça être libre : ne dépendre que de soi. Il y a un côté sale gosse chez chacun de nous : « je veux faire moi tout seul ! » Oh, je sais, vous allez me dire : « mais non tu es dépassé. On est entré dans l’ère du collaboratif, du faire ensemble… » Oui… Mais non ! Faire ensemble, certes mais tout seuls ! Que le mérite nous en revienne. On vous a parlé parfois de péché. Eh bien c’est cela, le péché : moi tout seul, nous tout seuls. Rien à voir avec le bien ou le mal, juste un : « Je n’en veux pas de ton repas gratuit, je veux payer, moi. Parce que je veux être le/la propriétaire ! Celui/celle qui a payé ! »
La découverte spirituelle de la Réforme, car vous savez la Réforme c’est d’abord une expérience spirituelle, la découverte de la Réforme c’est que depuis toujours et pour toujours Dieu dit : « ta volonté d’être propriétaire t’aliène ! Ton être ne repose pas en toi, ni dans tes actes, ni dans tes intentions, ni dans tes choix, non. Ton être repose dans ma promesse d’un à-venir pour toi ! Ton identité t’est donnée, gratuitement. Et c’est là ta vraie liberté.
Et c’est là ta vraie liberté : ta vie est un don gratuit. Que tu n’auras jamais à justifier… »
Ta vie est un don gratuit. Que tu n’auras jamais à justifier…
Écoutez, écoutez bien, entendez. Trois fois en deux versets, comme une antienne, comme une supplication. Esaïe répète l’alliance de toujours : la vie véritable est un don gratuit. Mais, peut-être avez-vous été attentifs à ce détail, il met le verbe au futur : je conclurai une alliance avec vous pour toujours. Pourtant, elle était déjà là, l’alliance pour toujours. Pourquoi un futur ? Peut-être parce que l’alliance (comme la foi) n’est jamais une donnée théorique. Elle ne se déploie que dans le fait d’être accueillie. C’est la foi qui fait naître la promesse. C’est pourquoi nous sommes réunis ici : entendre à nouveau l’offre de gratuité de l’existence. Et la savourer ensemble. Il n’y a pas d’autre Évangile.
On parle beaucoup d’évangélisation, dans nos Églises. Beaucoup trop. Car l’important, ce n’est pas de se faire connaître, de se rendre visibles, de se rendre utiles, de planter des géraniums artificiels pour être rejoints… Non l’important c’est d’entendre, d’entendre encore et encore que la vie véritable (celle qu’une traduction malheureuse appelle éternelle) la vie véritable est gratuite. Alors certains diront que ça ne vaut rien, puisque c’est gratuit. Ça ne vaut certes pas grand-chose aux yeux de l’économie marchande, aux yeux des exigences de l’efficacité, de l’obligation de rentabilité. Ça ne vaut rien. Ça ne vaut rien, parce que c’est hors de prix. La vie de liberté, la vie de gratuité, c’est hors de prix parce que c’est un trésor qui échappe à l’économie… Mes pensées ne sont pas vos pensées…
C’est pourtant bel et bien un trésor, la gratuité qui irrigue la terre. La gratuité, et la liberté qui va avec, transforment nos vies et notre monde bien plus efficacement qu’un jardinier de fleurs artificielles. Quand il se donne au monde, Dieu s’incarne dans le moins que rien. Parole bafouée, moquée, rejetée, crucifiée… Et pourtant parole vivante. Toujours vivante d’être entendue, écoutée, accueillie à nouveau. Vivante d’être partagée à nouveau. L’important n’est pas de remplir nos temples, l’important n’est pas d’être florissants, l’important est de se saisir avec d’autres assoiffés, avec d’autres affamés, de cette promesse : ta vie ne dépendra plus de sa valeur sur le marché. Elle t’est donnée. Pour rien.
Rien que pour te donner l’audace de la vivre. Ose donc te risquer à la vie, à ta vie. C’est cadeau !
Amen !
[1] En hébreu on dit « couper une alliance ». Pour des raisons rituelles, mais surtout pour signifier qu’une alliance est de l’ordre du symbolique : une parole, une promesse est lancée par-dessus une faille. Pour qu’il y ait alliance, il faut qu’il y ait une rupture première. L’alliance réunit, elle ne vise pas le fusionnel, elle vise la confiance.