Prédication d’après le texte des Actes 2 : 1-13
La Pentecôte : un simple coup de com ?
Le récit des Actes des apôtres, tel que nous le lisons à peu près tous les ans à la Pentecôte, pourrait apparaître à nos yeux, comme un coup médiatique qui fait grand bruit et qui a été bien orchestré avec une traduction simultané… Un bon coup de com pour la première Église. Un plateau télévisé avec un son et lumières soigné et des spectateurs venus des extrémités de la terre, c’est-à-dire en gros, pour l’époque, de tout l’Empire romain. La bonne nouvelle médiatisée – qui doit quand même être éclaircie par Pierre dans le discours qui suit le passage que nous avons lu – c’est que Jésus est ressuscité… Un coup de com efficace puisque beaucoup se font baptiser dans la foulée…
Pourtant, ce n’est pas de la résurrection de Jésus qu’il s’agit ici mais bien d’abord de nos relèvements à nous, à commencer par celui des disciples…
Figurons-nous ce groupe des disciples de Jésus qui ont brillé par leur absence au moment de la crucifixion qui se sont terrés ensuite dans la crainte et l’angoisse, figurons-nous ce groupe d’hommes et de femmes qui ont fait l’expérience du Christ ressuscité mais qui sont toujours enfermés et ne se rassemblent qu’à couvert… Figurons-nous donc ces disciples assis, repliés sur eux-mêmes, encore dans un entre-soi frileux, qui sont saisis par l’Esprit, qui oublient d’avoir peur et qui entrent en communication avec l’extérieur…
Peut-être que c’est cela l’acte fondateur de l’Église, non pas se rassembler à l’intérieur, en se mettant soi-même au tombeau, mais être traversé par une parole qui relève et permet d’entrer en communication avec les autres…
On n’est pas chrétien juste en cultivant l’entre soi, on est chrétien dans le monde… parce qu’on vit dans le monde…
Pour autant, le relèvement ne se fait pas tout seul, par simple décret ou par simple décision des disciples… Il est la réalisation d’une promesse : celle d’un Dieu qui ne nous laisse pas seul… celle d’un Dieu qui nous relève lorsque nous sommes abattus ou lorsque nous sommes tentés par le repli identitaire… Un Dieu qui n’a qu’une parole qui nous appelle à la vie : n’aie pas peur !
Or les disciples ont toutes les raisons d’avoir peur… Le rabbin dont ils avaient emboîté le pas s’est tout de même fait crucifier par les Romains… Une fin pas très tentante, … et plutôt déroutante…tellement déroutante même qu’on se dit que pour arriver à professer qu’est Dieu celui qui a reçu le pire châtiment de l’époque et qui est mort comme un criminel, il a dû arriver dans la vie des disciples un sacré chambardement. Fonder une bonne nouvelle sur quelqu’un qui est mort de cette manière et risquer sa peau pour ça, soit il faut être fou, soit il faut avoir vraiment fait l’expérience de la mort et de la résurrection du Christ…
C’est un petit morceau de cette expérience qui est ici raconté comme fondateur de la première Eglise…
Les disciples ont toutes les raisons d’avoir peur…
Pourtant, Dieu s’invite, Dieu parle à chacun d’eux et par chacun d’eux… L’événement est très visuel mais c’est bien de parole qu’il s’agit… Le terme grec utilisé pour désigner « les langues comme de feu » au-dessus de la tête des disciples, c’est le même terme – glossaï – qui signifie aussi en grec la langue, la langue qu’on a dans la bouche aussi bien que la langue qu’on parle, bref les mots qu’on a en bouche… Et en effet, l’Esprit n’est pas juste comparable au vent et au feu, il est aussi parole, parole autre qui traverse chacun des disciples et nous traverse… une parole autre pour aller à la rencontre de l’autre… une parole qui fait sortir de soi… Une parole autre aussi comme une parole des origines, comme une parole première qui parle à chacun sa « langue maternelle », la langue de l’intime… Et les disciples, il faut le préciser, ne disent pas tous la même chose mais parlent « selon ce que l’Esprit » – non pas leur ordonnait comme on le lit dans certaines traductions un peu autoritaires – mais « leur donnait d’exprimer » … C’est tout de même mieux, il ne s’agit pas d’une parole télécommandée mais d’une parole possible parce qu’elle a d’abord été reçue et accueillie… Parce que ceux qui ne se croyaient capables de rien ont reçu juste ce qu’il faut de confiance pour oser parler, chacun avec ce qu’il est… Parce que ceux qui ne se croyaient pas capables ont juste été relevés…
Mais il y a plus : Si cette scène est celle d’un relèvement, d’une résurrection si l’on peut dire, c’est que, par le biais de l’Esprit, la Parole prend chair, s’incarne en chacun de ceux qui la reçoivent…
Et le parallèle que l’on pourrait faire avec le don des tables de la Loi au Sinaï est assez étonnant car le tonnerre et le feu sont présents dans les deux épisodes, de sorte qu’on peut penser que lorsque Luc rédige ce passage, c’est bien à l’épisode du Sinaï qu’il pense… Sauf qu’ici, il n’y a pas une Parole collective à intégrer sous forme d’articles de Loi, il y a une parole, intime, adressée à chacun, une parole d’une certaine façon, qui vient marquer chacun dans sa chair et non plus dans la pierre… Et c’est cette parole-là, cette parole incarnée, qui relève et permet d’entrer en communication…
Mais de quelle communication s’agit-il ? Et qu’est-ce qui est communiqué ?
La scène, tout d’abord, est assez étonnante parce qu’en fait, ce n’est pas tant comme si les disciples sortaient dehors que comme si les murs tombaient autour d’eux… En effet, il n’est pas indiqué qu’ils sortent mais que ceux qui entendent le bruit accourent et entendent les disciples parler chacun dans sa langue maternelle…
Ce qui fait événement ici, ce n’est pas un contenu de parole, pas même l’annonce de la résurrection. Celle-ci viendra après, dans le discours de Pierre… Ce qui fait événement, c’est d’abord que dans la parole inspirée des disciples, chacun se sente reconnu… chacun se sente touché au plus intime, dans sa langue maternelle… C’est la proximité dans la distance car chacun demeure lui-même, conserve son identité propre comme l’indique la liste des peuples qui gravitent à Jérusalem, chacun avec son identité et son timbre propre…
C’est là tout le contraire de Babel dont nous avons entendu le récit en première lecture, (Gn 11) où tous parlent une seule langue, où tous cherchent à ne porter qu’un seul nom et où Dieu disperse l’humanité parce qu’il s’agit d’un rêve totalitaire dans lequel l’identité de chacun(e) est niée… A Babel, en dispersant les hommes, Dieu ne préserve pas ses prérogatives d’être tout seul tout puissant : il préserve les hommes de l’anéantissement : il leur rend une identité propre, il préserve leur différence… et la possibilité d’une vraie relation.
Et la Pentecôte n’est pas un retour en arrière à ce titre : la Pentecôte, c’est l’anti-Babel : les disciples ne parlent pas une seule langue mais ils sont entendus par chacun dans sa langue, ce qui est très différent parce que, du coup, la différence de chacun, notre différence, notre altérité est préservée… Un espace de liberté s’inscrit au cœur de la relation de parole : la parole des disciples, la parole habitée des disciples, n’est pas une parole en surplomb, mais une parole à niveau qui rejoint chacun où il est. Elle n’est pas une parole qui s’impose mais une parole qui laisse à chacun sa libre interprétation. La surprise d’avoir été rejoint peut d’ailleurs aussi bien se traduire par des moqueries et une analyse rationnelle de l’événement : « ils sont pleins de vin doux » disent certains. D’une manière générale, assez bizarrement, bien que chacun l’entende dans sa langue, ce n’est pas la clarté du message qui l’emporte mais la stupéfaction d’avoir été rejoint… On le voit bien : quand Dieu communique, fut-ce à travers ses disciples, on est loin du coup de com…
Alors voilà, quelles bonnes nouvelles, pourquoi est-ce aujourd’hui Pentecôte pour nous aussi ?
D’abord, c’est Pentecôte parce que nous ne sommes pas seuls… Dieu tient promesse et, par son Esprit, nous rejoint… Il nous rejoint lorsque nous avons peur et lorsque nous avons peu d’estime de nous-mêmes… Il fait tomber les murs que nous érigeons autour de nous pour nous protéger et il murmure à notre oreille : n’aie pas peur…
C’est Pentecôte parce que nous ne sommes pas seuls… une Parole nous rejoint… Une parole comme une langue maternelle, aimante, qui préserve l’identité de chacun et qui ne le soumet pas…
Et au fond, le baptême que vous avez reçu, Blanche et Laurellia, c’est un peu pareil : c’est le signe d’un amour qui vous est donné sans condition…
C’est le signe d’une parole qui vous rejoint et qui n’est pas une parole surplombante mais une parole qui relève et appelle à la vie…
C’est comme une nouvelle naissance où l’on entend dans sa langue le nom d’amour que Dieu nous donne, un nom caché qui est comme une promesse : vis ta vie, sois toi-même, « Ne crains rien car je t’ai appelé par ton nom » et mon amour ne te sera pas retiré !
Amen