Prédication tirée des textes : Matthieu 21, 33-43 et Esaïe 5, 1-7
Revenant de la pastorale régionale, j’ai ouvert ma Bible (version NBS) et lu le texte de l’évangile proposé pour ce matin.
Bien sûr, j’ai lu le titre du passage que l’éditeur a choisi « La parabole des mauvais vignerons ».
Ce titre m’a surpris alors j’ai été voir dans une autre traduction le titre également proposé : « Parabole des méchants vignerons ». (Français courant)
Ainsi, avant même la lecture du texte, avant même que nous laissions parler Jésus par le texte, voilà que les vignerons sont déjà jugés…
Mais… Les vignerons sont-ils vraiment coupables ? J’ai envie de poser cette question face à l’affirmation des éditeurs qui, ainsi, orientent déjà notre découverte du texte.
Notre société occidentale orientée vers le respect absolu de la propriété les juge ainsi, n’y a-t-il pas d’autres regards ?
Si nous lisions cette parabole dans une autre société que la nôtre, celle où la mafia par exemple règne en maître, on donnera d’autres titres que ceux que j’ai cités : on aura par exemple : « histoire d’une révolution avortée » ou « échec de la libération ».
Si on considère que la terre appartient à celui qui la cultive, on aura encore un autre regard sur cette histoire.
Dans la Bible, il y a un texte fondateur qui nous parle de la révolte d’esclaves en Egypte conduits par Moïse avec la bénédiction de Dieu.
Ne peut-on pas dire que pour Moïse l’aventure a réussi, alors que dans la parabole, celle des vignerons a échoué.
Pour comprendre l’angle dans lequel je souhaite vous amener pour « regarder » cette histoire de vignerons, concentrons-nous sur l’attitude du propriétaire.
Ne peut-on pas voir chez lui une attitude irresponsable et lâche ?
En tout cas, je ne peux en aucune manière l’identifier à Dieu : Il abandonne les vignerons à leur tâche et se contente d’envoyer des serviteurs pour réclamer son argent !
Il n’établit aucune relation humaine avec ses ouvriers, il n’y a aucun échange.
Il ne reconnaît pour justifier son comportement que le droit établi en faveur des privilégiés, des possédants.
Comble de lâcheté, le propriétaire envoie son propre fils mater la révolte, et ce fils se fait tuer.
A cela, il ne semble ressentir aucune peine, aucun chagrin ; on nous décrit simplement les représailles qu’il ordonne.
Peut-être êtes-vous irrités par cette manière de voir le texte ?
Peut-être vous demandez-vous si je n’essaie pas de justifier quelques concepts appartenant à des courants alternatifs franchement discutables ?
Je crois seulement que si on veut comprendre le message de Jésus, il faut le nettoyer de tout ce que les siècles ont accumulé de traditions à son sujet.
Jésus donne tort aux vignerons, nous sommes d’accord sur ce point,
Mais il ne leur donne pas tort pour les raisons sociales qui nous viennent à l’esprit.
Jésus ne leur donne pas tort d’avoir molesté les serviteurs et tué le fils, même si cela nous choque, il leur donne tort d’avoir voulu contraindre leur maître à changer de comportement vis à vis d’eux.
Il leur donne tort d’avoir rompu le contrat qui les liait à leur maître en lui confisquant le droit d’être le maître.
Le texte dit bien que le maître loua la terre aux vignerons.
Ainsi les vignerons n’étaient pas des esclaves, mais qu’ils étaient liés au maître par un contrat librement consenti.
Ils devaient normalement payer au maître ce qui lui revenait sans tenir compte de l’éloignement qui les séparait.
En agissant comme ils ont fait, ils ont voulu contraindre le maître à exister d’une autre manière, ils ont voulu le reconstruire à leur manière et en fait, ils le contraignent à ne pas exister, … c’est pourquoi ils tuent le fils.
Plus de fils, plus d’héritier, plus de maître. Telle est leur logique.
Mais, oublions pour un temps le propriétaire terrien et entrons dans l’allégorie de la parabole telle qu’elle nous est suggérée par le prophète Esaïe, l’autre texte proposé pour ce dimanche (Es. 5/1-7), et dont Jésus emprunte une partie.
Considérons, pour un temps tout au moins, que le propriétaire représente Dieu, le vigneron sera donc celui qui fait contrat avec Dieu, nous sommes d’accord ?
Alors, c’est donc le juif pratiquant, circoncis le 8ème jour, fidèlement assidu aux pèlerinages et aux sacrifices et par extension, ce sera le bon chrétien, baptisé, confirmé et bien dans sa peau de membre de l’Eglise.
C’est donc le fidèle que nous sommes qui est mis en garde afin qu’il ne dénature pas la personne de Dieu, et qu’il ne tue pas Dieu en croyant bien faire.
Quand je dis le « bon chrétien », je devrais dire que tout chercheur de Dieu est concerné, car le chercheur de Dieu est celui qui est déjà en train d’établir un « contact » avec son Seigneur : Toute personne qui se sent liée à Dieu, d’une manière ou d’une autre, est concernée de près ou de loin par cet avertissement qui lui est fait de ne pas dénaturer la réalité de Dieu en le modelant à notre manière.
C’est en agissant ainsi qu’on tue Dieu.
Pour éviter cela, Dieu a suscité de nombreux témoins dont l’Écriture nous rapporte l’histoire.
Ils ont dit à leur manière la vraie nature de Dieu.
Pourtant, beaucoup de gens, et même parfois des prédicateurs éliminent des aspects de Dieu qui ne leur conviennent pas, ainsi le déforment-ils au risque de le tuer.
Ils prêchent, par exemple, qu’il suffit de faire le bien ! Mais qu’est-ce que faire le bien ?
Ils disent qu’il suffit d’aimer son prochain ! Mais qui est mon prochain ?
Ils disent que Dieu pardonne toujours. Mais ils oublient que le pardon pour exister doit être précédé par la repentance (un retour sur soi !) et qu’il doit être suivi par un changement d’attitude.
Je crois que la parabole des vignerons nous invite à mieux lire l’Écriture, et à approfondir notre approche de la foi pour ne pas tomber dans le piège qui consiste à faire comme les autres, à suivre naïvement le troupeau, à faire confiance à la tradition et aux habitudes aussi respectables soient-elle.
Or, la parole de Dieu récuse le bon droit de la tradition, parce qu’elle nous provoque toujours par la nouveauté.
Elle nous provoque là où nous n’avons pas envie qu’elle nous interpelle.
Elle nous propose des itinéraires que nous n’avons pas envie de suivre, elle met sur notre chemin des prochains que nous n’avons pas envie d’aimer.
Lisez, relisez la Bible : Ni les patriarches, ni les prophètes ni les apôtres n’ont souhaité suivre les chemins que Dieu les a invités à emprunter ; mais ils les ont suivis à cause justement de cette relation étroite, puisée dans l’Écriture, qu’ils ont établie dans la vérité avec Dieu et que nous sommes tous invités à établir.
Mais attention, je ne voudrais pas être mal compris.
Dieu ne ressemble pas au propriétaire de la vigne, pas plus que vous ne ressemblez à ces vignerons mal intentionnés.
Cette histoire nous est racontée pour nous dire que, quand on veut modifier l’image de Dieu, Dieu ne répond pas à nos désirs et ne se conforme pas à ce que nous voulons.
N’imaginez pas, sous prétexte d’une certaine fidélité au texte que Dieu va punir les infidèles comme le fait le maître de ce récit, au contraire…
Bien au contraire, vous le savez bien, Dieu va s’acharner à gagner à lui tous les hommes en commençant par les vignerons de la parabole.
C’est là que réside la difficulté de cette parabole.
Elle ne nous demande pas d’identifier les personnages du récit avec Dieu ou avec nous-mêmes.
Elle nous demande d’apprécier la situation ici décrite afin que nous corrigions, en fonction de ce que nous avons compris nos comportements défectueux à l’égard de Dieu.
C’est apprendre à la suivre sans prétendre lui indiquer le chemin…
Amen.