Lectures bibliques
Évangile selon Jean, chapitre 3, versets 14 à 21
Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut, de même, que le Fils de l’homme soit élevé, pour que quiconque croit ait en lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que quiconque met sa foi en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que par lui le monde soit sauvé. Celui qui met sa foi en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas mis sa foi dans le nom du Fils unique de Dieu. Et voici le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les humains ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque pratique le mal déteste la lumière ; celui-là ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en Dieu.
Épitre de Paul aux Éphésiens, chapitre 2, versets 4 à 10
Mais Dieu est riche de compassion et, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts du fait de nos fautes, il nous a rendus vivants avec le Christ, c’est par grâce que vous êtes sauvés. Il nous a réveillés ensemble et fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus Christ, pour montrer dans les temps à venir la richesse surabondante de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus Christ.
C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés au moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas en vertu des œuvres, pour que personne ne puisse faire le fier. Car nous sommes son ouvrage, nous avons été créés en Jésus Christ pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance, afin que nous nous y adonnions.
Prédication
Ces deux passages du Nouveau Testament, surtout celui d’Éphésiens 2, nous placent face à la question de la Justification. Quoi de plus normal que de se poser la question entre membres d’une même Église ? Quoi de plus normal, car ici à Rennes, nous sommes l’Église Protestante Unie ! Nous sommes l’EPU… Comme à Vannes, Saint Brieuc, Saint Malo, Lorient, Quimper, Brest mais aussi Laval, Le Mans, Tours et dans bien d’autres endroits. Non pas une institution parmi d’autres, mais une communauté convaincue d’être vivifiée par le même souffle, au bénéfice de la même Grâce… Ici et ailleurs… ! « Qu’est ce qui me rend juste aux yeux de Dieu ? », nous interrogeons-nous, protestants que nous sommes… S’agit-il de ce que je fais, de mon comportement, de mes œuvres ? Ou bien s’agit-il de la grâce de Dieu, de son amour inconditionnel, immérité, qui m’est accordé quoi que je fasse ? Ou encore s’agit-il de ma foi, de l’accueil et de la reconnaissance de la grâce, de ma relation personnelle avec le Christ ?
Ces trois pôles représentent en fait trois options théologiques :
le Salut par les œuvres, le Salut par la Grâce et le Salut par la Foi.
La Justification par les œuvres consiste à instaurer un rapport de cause à effet entre l’éthique et le Salut. Ce dernier doit être gagné, acquis, au moyen d’une conduite irréprochable, qui se garde du mal pour privilégier le seul Bien : pour bien faire et pour faire le Bien. Le Salut par les œuvres est donc conditionné à l’attitude du croyant au cours de sa vie… « Je suis sauvé car j’ai bien agi ».
Nous le savons, Luther a vivement réagi contre cette orientation théologique.
Après avoir été un moine zélé pendant une douzaine d’années, sans pour autant avoir trouvé le moindre repos pour sa conscience tourmentée, Luther a en effet découvert dans les Épîtres de Paul que les œuvres de la Loi ne nous justifient nullement. Car, en faisant de l’éthique une condition du salut, on entre dans le cercle vicieux d’une surenchère permanente avec soi-même : quoi que je fasse, je peux toujours faire plus et mieux, et surtout, j’ai toujours à craindre d’avoir mal fait et d’avoir fait du mal.
La justification par les œuvres est donc tout sauf libératrice.
La justification par la Grâce, telle que nous la présente Paul dans plusieurs de ses Épîtres, disqualifie quant à elle l’éthique, notre comportement, notre manière d’être comme moyen de salut. Le Salut est ici donné gratuitement, sans condition d’aucune sorte. Le croyant est ainsi dégagé de tout souci de conquête de sa propre rédemption par ses seules forces. A ce titre, la justification par la Grâce signifie que celui qui est sauvé est d’abord sauvé de lui-même : de son angoisse et de sa culpabilité liées au désir de bien faire et, finalement, de sa quête perpétuelle de faire son propre Salut.
A ce Salut « par la Grâce seule », base de notre foi protestante, se rattache directement « la Justification par la Foi », comme le rappelle Paul aux Éphésiens : « C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, au moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. » (Ep 2, 8). La justification par la Foi conteste le fait que nos actions, aussi bonnes soient elles (!), pourraient nous sauver : ce n’est pas ce que l’homme fait qui le sauve, mais c’est ce qu’il croit. Si nous relions la justification par la Foi à celle par la Grâce, c’est que la Foi est en fait la réception confiante de la Grâce de Dieu dans nos vies, l’attestation de l’Amour immérité de Dieu envers tous les hommes. Cependant, si nous insistons trop sur la réponse humaine qu’est la Foi au cadeau divin de la Grâce, on pourrait finir par atténuer la portée de la Grâce. Et cela jusqu’à prétendre quelque part conditionner l’Amour inconditionnel de Dieu et, ce faisant, faire de la Foi une œuvre méritoire.
Avec une foi acquise au forceps, on s’expose en effet à situer la foi sur le registre du faire plutôt que sur celui de l’être. Paul lui-même, qui met en tension la Foi et les œuvres, rappelle que l’homme est sauvé par « la Grâce au moyen de la Foi ». Il importe par conséquent de ne parler de justification par la foi qu’en considérant cette foi comme ne venant pas de nous. La réponse au don de la Grâce est, elle-même, un don, celui de la Foi. Mais si le Salut est offert sans condition, par Grâce, à travers la foi qui est elle-même donnée par Grâce, cela signifie-t-il que l’agir du chrétien n’a plus aucune importance ?
Dietrich Bonhoeffer, a vigoureusement rappelé le prix de la Grâce :
Si l’Amour de Dieu envers l’Homme est gratuit, il n’est pas pour autant à bon marché. Il a un coût, et même un coût élevé, pour celui qui reçoit cette Grâce. Si la Grâce « à bon marché » est la justification du péché, la Grâce qui coûte est la justification du pécheur, propulsé de ce fait vers des engagements audacieux et risqués en faveur de l’amour, de la justice et de la paix.
Ce n’est donc pas pour être sauvés, mais parce que nous sommes déjà sauvés par Grâce, que nous agissons au service de notre prochain. L’agir chrétien, y compris et surtout dans le sacrement du Baptême, n’est jamais un moyen de salut mais sa conséquence.
Ainsi, nous le croyons : délivrés de l’angoisse de toujours avoir à bien faire, nous n’avons rien à prouver ni à nous-mêmes ni aux autres. La question de notre salut a trouvé sa réponse en Jésus Christ. En effet, tous, nous avons été baptisés dans sa mort et sa résurrection, sauvés et justifiés une fois pour toute à la Croix. De fait, nous n’avons plus à être préoccupés de nous-mêmes mais nous avons à manifester, dans notre existence quotidienne, que nous sommes effectivement rendus libres par Dieu. Que nous sommes réellement passés à travers le Christ de la mort à la vie, de l’angoisse à la reconnaissance qui doit nous pousser à agir, avec cette certitude tranquille que notre vie puise son sens et trouve son but en Jésus Christ.
Et dans cette vie, nous n’avons plus rien à prouver, parce qu’en Christ, tout a déjà été dit, tout a été donné. Voilà le contexte du travail de notre communauté de Rennes, car en effet, nous avons un « travail » à faire. Témoigner, partager, faire en sorte, dans nos paroles et nos actes, que nos interlocuteurs puissent percevoir cette Grâce de Dieu.
Le fait que nous soyons une minorité chrétienne dans une société où le christianisme est lui-même une minorité, une minorité d’une minorité, nous amène parfois à douter de ce « travail »… C’est là qu’il faut se rappeler que nous ne sommes pas seuls. Dans ce monde, nous sommes, chacun de nous une petite communauté mais lié à l’autre, aux autres, sur un même chemin.
Ensemble nous portons et vivons de la même espérance :
« Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jean 3, 16) . Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, le dimanche 10 mars 2024.