Prédication
Chers amis,
Vous ne tomberiez pas de votre chaise, ou de votre banc, si je vous disais que Jésus n’approuverait certainement pas le fonctionnement de notre société.
Il constaterait, comme nous pourrions le faire, qu’elle se trouve en bien des points en contradiction avec ce qu’il a essayé de nous transmettre à travers son Évangile.
Il nous exhorterait à corriger les erreurs de ce monde en favorisant les humains les moins chanceux dans notre société.
C’est pour cela qu’il s’est permis de faire des miracles afin de remettre parmi les gens normaux ceux qui étaient devenus des marginaux, c’est pourquoi il a guéri des malades qui n’avaient aucune chance de vivre normalement.
Il s’efforçait de redonner leur chance à ceux qui avaient été victimes d’injustices.
C’est ainsi qu’il rendit sa dignité à une femme prostituée et qu’il permit à la femme adultère condamnée à mourir, de conserver la vie.
Le malade mental ainsi que le lépreux ont pu retrouver leur place dans la société des humains.
Voilà quelques exemples relevés dans l’Évangile pour que nous comprenions que Jésus préconisait une société qui aurait fonctionné à l’inverse de la nôtre.
Nous avons cependant du mal à comprendre ce qu’il voulait nous dire quand il prit un enfant dans ses bras et le proposa comme exemple de ce qu’il fallait faire pour devenir grand dans notre monde…
Aujourd’hui, les enfants sont au centre des préoccupations de notre société. L’enfant est devenu roi dans un monde où tout tourne autour de lui. Il est devenu le type même de consommateur que les marques cherchent à séduire tant il a pris de l’importance pour orienter le goût de ses propres parents.
Pourtant, si l’enfant est roi dans les sociétés favorisées, il ne l’est pas dans les sociétés défavorisées…
Il y a aussi un monde où des enfants sont des victimes….
Plus que les adultes, ils souffrent de la faim, de la soif, des maladies…
On les fait soldats, on les prostitue….
Il nous fallait donc faire le point sur la situation de l’enfant dans nos sociétés post-modernes pour comprendre l’attitude de Jésus.
Il prend un enfant en exemple pour montrer quel chemin on doit suivre si on veut devenir grand.
A l’époque de Jésus, l’enfant n’avait pas un sort enviable ; il était le plus souvent considéré comme une charge, une bouche de plus à nourrir. Et ce fût le cas pendant très longtemps…
On le faisait travailler dès le plus jeune âge pour un salaire inexistant, c’est ainsi qu’il fournissait une main d’œuvre peu coûteuse dont on avait tendance à abuser.
Premières victimes de la mauvaise alimentation et du manque d’hygiène, beaucoup mouraient en bas âge.
Sans doute l’enfant, était-il aimé par ses parents, comme le sont, ou devraient l’être, tous les enfants du monde, mais il n’était pas choyé comme aujourd’hui.
Les chagrins que causait la mortalité infantile poussaient les parents à ne pas trop s’attacher aux tout petits dont beaucoup ne survivaient pas à la petite enfance. D’ailleurs, on ne leur donnait un prénom définitif qu’au bout d’une année… Après avoir survécu à cette première année…
C’est donc dans ce contexte que Jésus intervint en plaçant un enfant devant les disciples, devant nous, à titre d’exemple.
On se demande alors en quoi un enfant aurait pu donner un exemple de grandeur : un enfant n’avait pas d’instruction et il n’avait aucun savoir. Il n’avait aucun exemple à donner sinon sa naïveté (sans aucun sous-entendu négatif).
On a aussi du mal à comprendre en quoi les enfants auraient à nous donner des leçons en matière de foi.
Comment pourrait-on être grand aux yeux de Dieu en se comparant à un enfant ?
Les enfants ne sont pas des adultes en miniature.
Ils ne pensent pas comme des adultes, ils ne réagissent pas non plus comme eux.
Ils ont des comportements qui leur sont propres.
Ils ont en particulier une faculté d’émerveillement que n’ont pas les adultes.
En contrepartie, les adultes ont le savoir et la science.
Ils ont aussi la sagesse, pense-t-on…
Aujourd’hui, comme jadis, on donne un enseignement religieux aux enfants pour qu’ils puissent acquérir les notions élémentaires de la foi.
Pour faire partie d’une communauté chrétienne, et avant d’avoir accès aux responsabilités dans l’Église et prendre part à la Sainte Cène de manière officielle, il faut avoir franchi les différentes étapes du catéchisme…
Les adultes à qui nous accordons le ministère d’enseigner les enfants, sont à la fois enseignants, mais aussi « gardiens » d’une tradition.
C’était la même situation à l’époque de Jésus…
Il était nécessaire de connaître les 616 articles de la Loi ou tout au moins les dix commandements qu’il fallait respecter, pour espérer grandir dans la foi.
C’est sur ce point que Jésus semble en désaccord avec nous et avec les adultes de son temps. Il semble contester le fait que, pour être un homme de foi, il faille avoir acquis l’expérience auprès de plus savants que soi.
L’enfant plus que l’adulte sait observer ce qui se passe en lui.
Il découvre très vite que son cœur est habité de pensées bonnes et de pensées mauvaises.
Il sait aussi que des sentiments parcourent son âme.
Il a un sens de la beauté, de la justice, de la droiture.
Mais il ne sait pas mettre un nom sur l’origine de ces phénomènes, il ne sait pas que Dieu travaille en lui, mais il en constate les effets dans sa naïveté.
Pourtant, très vite les adultes interviennent pour expliquer ces mystères et pour lui indiquer la bonne voie à suivre… Et l’enfant perd sa candeur.
Très vite ses parents, puis ses enseignants vont lui apprendre à maîtriser le cours de ses émotions, et ils vont lui enseigner en même temps tout ce qu’il faut savoir sur le monde, sur Dieu, sur le péché, sur la loi… Et l’enfant passe de la spontanéité enfantine à la raison de l’adulte.
L’enfant va alors apprendre ce que les hommes savent depuis des siècles sur Dieu, et c’est ainsi qu’il deviendra un adulte bien élevé et un croyant honnête face à Dieu.
Mais Jésus trouve que les choses vont trop vite et que l’on ne s’arrête pas assez sur cette naïveté qui lui permet d’entendre Dieu et de le repérer avant même qu’on lui ait enseigné à le faire.
Ainsi sans que les adultes, parents ou éducateurs s’en souviennent, leur premier contact avec Dieu s’est fait à partir d’observations et d’expériences de vie intérieure qu’ils ont faites quand ils étaient enfants et qu’ils ont gardées pour eux-mêmes, dans l’incapacité qu’ils étaient de pouvoir l’exprimer.
Ce Dieu tout à l’intérieur d’eux-mêmes a bien vite laissé la place à un Dieu extérieur à eux-mêmes qui avait les apparences que le monde des adultes avait bien voulu lui donner…
Quelle que soit la façon dont les enfants entendent parler de Dieu par les adultes, cela se passe toujours de la même manière. Les adultes donnent une information sur Dieu sans se soucier des expériences que peut avoir eu le petit enfant dans sa vie intérieure…
Jésus sait bien, quant à lui, que ce sont les expériences de la vie intérieure qui nous amèneront les uns et les autres à une connaissance personnelle de Dieu. Il invite donc ceux qui l’écoutent à faire une descente au fond d’eux-mêmes avec la même naïveté que le ferait un enfant qui ne sait pas encore s’exprimer et qui découvre que « ça » parle au fond de lui, même s’il ne sait pas que c’est Dieu qui se manifeste à lui… Comme le fit Samuel enfant dans le sanctuaire. (Premier Livre de Samuel, chapitre 3, verset 10.)
Dieu nous invite à retrouver une spontanéité intérieure qui a été altérée par ce que l’éducation a apporté à l’enfant et qui a fait de Dieu une réalité extérieure à lui-même.
Devenu adulte, l’homme ne sait plus entendre quand Dieu s’adresse à lui au plus profond de son âme.
Attention : Jésus ne méprise pas pour autant l’enseignement de la loi, il ne rejette pas la tradition rapportée par les « Pères »… Elles sont des guides indispensables pour nous faire progresser en sagesse. Mais il dit aussi que nous ne pouvons pas progresser dans la foi si nous n’essayons pas de converser avec Dieu dans notre intimité avec lui, là où personne ne peut nous accompagner ni venir avec nous.
Si aujourd’hui beaucoup de femmes et d’hommes se détournent de Dieu, c’est parce qu’on leur a enseigné à se référer à un Dieu qui parle de l’extérieur d’eux-mêmes au travers des textes et des traditions.
Nous avons la joie d’accueillir au sein de notre communauté des frères et des sœurs qui découvrent notre manière « luthéro-réformée » de dire notre foi.
Nous cheminons ensemble à l’écoute de ce Dieu qui ne cesse de nous parler. Nos dogmes, nos sacrements, notre vocabulaire d’Église, aussi importants soient-ils pour vivre ensemble et faire communauté dans la foi, ne doivent pas dicter notre foi.
Ici, en passant le seuil de ce temple, le vieil huguenot comme le chercheur de Dieu sont invités ensemble à s’émerveiller de ce souffle sur leur vie en écoutant ce qu’Il dit d’eux-mêmes au plus profond de leur personne.
Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, dimanche 15 septembre 2024
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