Prédication réalisée d’après la lecture biblique : Luc chapitre 9 versets 10 à 17.
Chers amis,
Qui ne connaît pas l’Evangile que nous venons d’entendre ?
Cette histoire, qui nous est si familière, est relatée six fois dans les évangiles : deux fois chez Mathieu et Marc, et une fois chez Luc et Jean… Ces nombreuses occurrences suffisent à elles seules pour dire l’extraordinaire de la situation.
On a coutume de parler du « miracle de la multiplication des pains », comme on parle du « miracle de l’eau changée en vin ». J’aimerais revenir un instant sur l’histoire telle qu’elle est racontée, et sur la façon dont les événements se sont déroulés.
Avant ce récit, aux versets 1 à 6, Luc nous explique que les disciples avaient été envoyés en mission par Jésus, qui leur avait demandé d’annoncer la bonne nouvelle, et qui leur avait donné « la puissance et l’autorité » pour chasser les démons et guérir les malades. Les voilà qui reviennent de mission, et ils racontent à Jésus ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont fait. On imagine l’enthousiasme avec lequel ils se retrouvent pour partager cette expérience de vie.
Pour avoir un peu de tranquillité, Jésus se retire à l’écart avec ses disciples, mais la foule, s’apercevant de leur présence, vient les déranger.
Jésus accueille cette foule ; il leur parle du royaume de Dieu, il guérit les malades.
Jusqu’ici, finalement, rien de bien nouveau dans la vie de ce Jésus qui saisit toutes les occasions qui se présentent pour délivrer son enseignement, et qui guérit au passage ceux qui en ont besoin.
Et puis, le jour commence à baisser… Nous avons ici une indication littéraire intéressante : le jour qui tombe préfigure le début d’un nouveau jour, d’un nouveau départ, d’un commencement. C’est là que commence réellement l’histoire qui est passée dans la postérité, si j’ose dire. Les gens ont faim, la nourriture est maigre, la foule est nombreuse… Jésus prend le peu de nourriture dont il dispose, dit une prière de bénédiction, partage le pain et les poissons, et la foule mange à satiété – et il en reste ! Des pleins paniers !
Si nous lisons attentivement le récit que fait Luc de cet événement, nous pouvons nous demander si le but de ce récit est uniquement de montrer que Jésus fait des miracles, c’est-à-dire qu’il est à l’origine d’événements totalement inexplicables et inexpliqués, qu’il attribue à Dieu le Père, et qu’il fait en son nom.
Il n’y a dans ce texte aucune référence explicite à une quelconque foi qui sauve, et d’ailleurs, personne ne demande à Jésus de nourrir cette foule. Au contraire, même, les disciples veulent se débarrasser du problème en renvoyant tout le monde chez eux, mais Jésus leur dit : « Donnez-leur vous-même à manger ! ».
« Donnez-leur vous-même quelque chose à manger » … N’est-elle pas là, cette référence à la foi qui sauve ? Car enfin, n’est-ce pas un acte de foi de faire asseoir cinq mille hommes, dans le but de les nourrir, avec seulement cinq pains et deux poissons ?
Alors Jésus procède à la multiplication des pains, non sans avoir prononcé une prière de bénédiction, et après avoir partagé les aliments, il les donne aux disciples, pour qu’eux-mêmes les distribuent.
Notre entendement humain ne peut pas raisonnablement imaginer la scène sans y inclure un artifice de magie quelconque. Un genre de sac à la Mary Poppins, dont on sort tout ce dont on a besoin, en quantité. Ou alors, un puit sans fond.
C’est pourquoi je vous propose de laisser de côté l’aspect matériel de la scène, et de nous intéresser à comprendre ce qui transparait spirituellement derrière ce signe de la distribution gratuite et en abondance.
Avant de procéder à la multiplication des pains, Jésus rend grâce pour ce qu’il a : cinq pains, deux poissons – ce qui est somme toute dérisoire. Je pense que nous pouvons imaginer que Jésus rend grâce aussi pour la situation dans laquelle il est : au lieu de se retrouver seul avec ses disciples, qui sont déjà convaincus qu’il est qui il est, Jésus a l’occasion d’évangéliser une foule immense, avide de connaissance, qui a soif de le rencontrer et de l’entendre.
Et si ces cinq pains et ces deux poissons représentaient la Parole de Dieu qui se multiplie à l’infini à chaque fois que nous prenons le temps de la partager ?
Et si ces cinq pains et ces deux poissons représentaient l’espérance incarnée par Jésus qui, en faisant un geste que l’on pourrait qualifier de pré-eucharistique (lève les yeux au ciel, dit une prière de bénédiction, partage le pain), annonce sa mort et sa résurrection ? Dans les versets de la lettre aux Corinthiens que nous avons entendus tout à l’heure, Paul nous le redit : « chaque fois que vous mangez de ce pain et que vous buvez de cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, et ceci jusqu’à son retour ».
Ainsi Jésus rend grâce avant de partager le pain, comme il donnera sa vie sans rien attendre en retour.
Donner pour rassasier, donner pour combler un manque, donner pour donner, tout simplement. Donner du temps, de l’amour, de la reconnaissance, de l’attention… De la nourriture… En donner tellement qu’il y en a trop, mais continuer de donner. Car le don n’a pas de limite, et quand on fait confiance à Dieu, quand on lui rend grâce pour ce que l’on a, même si l’on a peu, la source du don ne tarira pas…. « Donnez-leur vous-même à manger ! »
Dans un second temps, je voudrais que nous revenions au début de ce récit. Je relis les versets 10 et 11 : « Les apôtres reviennent et ils racontent à Jésus tout ce qu’ils ont fait. Jésus les emmène loin des gens, vers une ville appelée Bethsaïda, mais les foules apprennent cela et elles le suivent. Jésus les accueille, il leur parle du royaume de Dieu et il guérit ceux qui en ont besoin. »
Mettons-nous un instant à la place des apôtres. Si nous avions passé des jours à annoncer la parole, à guérir, à aller de village en village… En quelques sortes, à travailler pour le royaume de Dieu, nous serions excités, heureux, mais aussi sans doute un peu las, un peu fatigués, remplis d’un trop plein d’émotions que nous aurions terriblement envie de déverser en conversant avec nos collègues et notre maître. Alors, quand Jésus, au lieu de renvoyer la foule, l’accueille à bras ouverts, nous aurions sans doute fait un peu la tête.
Jésus donne alors aux disciples une leçon d’accueil. Jésus nous donne alors une leçon d’accueil.
J’avais prévu de me reposer, de me plonger dans un bon roman, un film, une série.
J’avais imaginé d’aller me promener, j’avais prévu un temps privilégié avec mon ami, mon amour, ma famille.
Et puis, un autre est venu sans que je l’invite. Il a frappé à ma porte, ou même parfois, il est entré sans frapper. Il a sollicité mon aide, mon attention, alors que j’avais bien autre chose en tête.
Et Jésus me demande de l’accueillir à bras ouverts. Et il me demande de ne pas me contenter d’ouvrir ma porte et de le laisser entrer. Non, il me demande d’enseigner, de guérir, de partager…
Les disciples voyaient une foule sans visage, importune. Jésus voit chacun d’entre eux. Le texte ne nous dit pas qu’il les appelle par leur nom, mais le texte nous donne cette précision : Jésus dit : « Faites-les s’installer par groupe de cinquante environ ».
Une foule de personnes qui se tiennent côte à côte est une foule anonyme. Un groupe de personnes qui s’installe pour manger ensemble devient des individus qui se reconnaissent, se parlent, se regardent, et font communauté.
C’est là je pense un autre enseignement de ce temps de repas.
Acceptons de nous laisser bousculer dans nos habitudes pour accueillir en frère, en sœur, celle ou celui qui vient nous déranger. Faisons-lui une place dans nos vies, sans rechigner. Et rendons grâce à Dieu, car c’est dans les rencontres en vérité que naissent les échanges les plus enrichissants, et que grandit le royaume de Dieu.
Laissons-nous porter par la confiance, comme les disciples ont fait confiance à Jésus, comme la foule a fait confiance à Jésus. Car à Dieu, rien n’est impossible. Amen.
Sara-Claire LOUEDEC
Dimanche 19 juin 2022, Rennes