Second Livre des Rois, chapitre 4, versets 42 à 44
« Un jour, un homme arrive de Baal-Chalicha. Il apporte à l’homme de Dieu vingt pains d’orge et un sac de grains qu’il vient de récolter. Élisée dit à son serviteur : « Donne les pains à manger à tous ces gens. » Mais le serviteur répond : « Comment est-ce que je peux nourrir 100 personnes avec cela ? » Élisée répond : « Donne les pains à manger à tous ces gens. En effet, voici ce que le Seigneur dit : “Chacun aura assez à manger, et il restera encore de la nourriture.” » Alors le serviteur distribue les pains à tous. Chacun mange et il en reste, comme le Seigneur l’a annoncé. » (Traduction Parole de Vie)
Prédication
Comme vous l’avez entendu, Élisée, un jour multiplia des pains…
Ces pains venaient d’un endroit que nous ne savons pas localiser, mais son nom est assez facile à comprendre, il signifie Trois-Baal, ou Trois fois Baal. Que ce nom de lieu porte le nom de Baal indique d’emblée que l’homme aux pains venait de l’étranger, ou, plus probablement, que le culte de l’Éternel ne s’était pas imposé partout en Israël.
En effet, si on regarde attentivement les textes de l’Ancien Testament, on constatera que des cultes païens anciens y ont toujours plus ou moins subsisté, avec plus ou moins d’influence, selon les lieux, et selon les souverains ; et, selon les souverains et leur politique étrangère, des cultes étrangers ont pu aussi apparaître en Israël. Trois-Baal est sans doute une sorte de nom générique pour désigner des lieux d’absolue corruption et perdition…
Pourtant, un homme sort de ce lieu, décidé à obéir au commandement de l’offrande des prémices à l’Éternel, cet homme est le premier personnage de cette histoire en trois versets.
Ce que fait cet homme signifie que même dans des lieux totalement corrompus, il demeure un tout petit nombre de personnes, ici un seul homme, pour être fidèle à l’Éternel…
Et c’est ainsi que des pains – les premiers pains de la saison – furent apportés à l’homme de Dieu. Il y avait 20 pains d’orge et de blé nouveau, et il y avait 100 personnes. Dans le calcul que nous faisons pour savoir comment partager équitablement ces pains, nous ne devons pas oublier que les pains de ces pays-là ne sont pas nos bons gros pain dodus et rebondis, mais plutôt des sortes de galettes… Et que partager chacun en cinq morceaux, ça ne fait pas vraiment grand-chose pour chacun. Mais la satiété n’est pas ce qui intéresse l’auteur de ces versets ; il est indiqué que les gens qui étaient rassemblés autour de la maison de l’homme de Dieu mangèrent et qu’il y eut des restes. Et ce qui intéresse notre auteur, ce sont les restes…
Plus encore que les restes… Il n’est pas écrit qu’il y eut des restes, il n’est pas écrit qu’il y eut du pain dans les paniers et dans les sacs. Il est écrit qu’il resta – un verbe – et non pas des restes. Rester est donc un verbe. Et avec rester qui est un verbe, ce ne sont plus des morceaux de pain qui restent, mais des hommes. Alors, lorsque des hommes restent – dans le sens de ce texte – qu’est-ce que cela signifie ?
Rester, par exemple, c’est continuer à vivre selon le commandement, même si vous êtes seul parmi vos contemporains à le faire. Rester, c’est demeurer plein d’espérance et fidèlement proche du lieu où la Divine Parole s’est fait entendre. Rester, c’est partager ce qui est reçu en don… Et rester c’est rechercher ces dons dont l’abondance est directement liée au partage qu’on en fait…
Et c’est ainsi que le reste engendre le reste dans cette petite histoire en trois versets, c’est ainsi que rester appelle à rester…
Ce récit de multiplication des pains a dû inspirer les auteurs des évangiles, Marc le premier. Ce texte, nous l’avons lu ensemble la semaine dernière au chapitre 6. Et le récit de Marc est vraiment très proche, presque décalqué sur celui du Second Livre des Rois. Anonymat du donneur, puissance de l’homme de Dieu – avec ou sans invocation, question de style ou d’époque – totale disproportion entre la nourriture disponible et l’effectif des convives, et restes dans les deux cas.
Comme nous l’avons dit déjà, le reste engendre le reste, et rester appelle à rester. Mais il y a tout de même des différences notables, que nous allons tâcher de repérer et de commenter.
Dans l’Évangile de Marc, c’est une foule qui est rassemblée. Le mot utilisé pour parler de cette foule est chargé d’une menace de chaos ; d’une menace de violence, les foules de la Bible et surtout des évangiles étant versatiles. D’autant que cette foule-là est composée de gens qui sont « comme des brebis sans bergers ». C’est même une très grande foule, cinq mille, autant dire infinie.
Et cette foule se rassemble quelque part, un lieu sans nom qui n’est la maison de personne. Manière de signifier que c’est partout que cela se passe, ou que cela peut se passer. Les pains et les poissons viennent de nulle part… Il est clair que quelqu’un les a achetés, mais ils sont simplement là, quelque part dans le paquetage de tel ou tel disciple. Ce qui nous suggèrera que le reste initial de ce qui est donné peut venir de partout. Et plus encore, ce si peu que quelqu’un a, et qu’il aurait fait projet de donner ou pas, cela peut servir à l’édification temporaire d’une communauté… Mais on retiendra surtout que ce presque rien, voire ce rien initial qui peut jaillir de partout, permet en tout lieu à toute espérance communautaire de prendre au moins temporairement une consistance fraternelle concrète.
En somme donc, avec le presque rien des restes initiaux, et avec le quasi infini de la foule, l’Évangile de Marc dit l’universelle possibilité d’une communauté fraternelle féconde… Sous réserve que cette communauté soit conduite par un berger.
Mais nous n’avons pas parlé beaucoup de l’Homme de Dieu Élisée, ni du Berger Jésus. D’abord, nous n’allons pas faire la moue devant cet incroyable catéchisme et repas que la providence ordonne par Élisée et par Jésus. Bénis soient-ils, et heureux sommes-nous !
Mais ni Élisée ni Jésus ne vont être présents en permanence pour éviter aux serviteurs et aux disciples toutes sortes de dérapages ; ils ne seront pas toujours là non plus pour multiplier les pains afin de nourrir la terre entière.
Alors une fois que les repas spirituels donnés nous auront rassurés et instruits, nous ne serons pas tout à fait impuissants ni démunis devant certains fléaux. L’espérance au nom de l’Éternel par laquelle nous sommes nourris nourrit notre propre espérance, et appelle notre engagement : il nous faut savoir être celui qui n’apporte que quelques miettes.
Nombreux étaient les convives de la multiplication des pains, et ils n’avaient rien apporté. Trois étaient les femmes au tombeau qui n’apportèrent rien au témoignage de la résurrection, puisqu’elles se turent à jamais.
Mais réfléchissez bien : c’est à partir de ce rien-là, apporté par on ne sait qui, que fut prêchée l’espérance qui nous nourrit encore aujourd’hui. Tel a été la volonté de Dieu. De ce reste nous vivons, et de ce reste nous restons. Amen.
Pasteur Hervé STÜCKER
Rennes, dimanche 28 juillet 2024