Prédication
Nous célébrons cet événement pour le moins extraordinaire qui nous est raconté au début du livre des Actes, selon la tradition, par l’Evangéliste Luc. Peu de temps après l’Ascension du Christ survient un grand fracas, des langues de feu qui se posent sur chacun… stupéfaction générale. Ce jour-là, à la différence d’autres passages bibliques, le Saint-Esprit ne fait pas dans la discrétion.
Il y aurait beaucoup à dire tant les deux textes sont riches de sens à développer mais je souhaitais ce matin explorer un thème commun chez Luc et Paul que je trouve particulièrement parlant pour nous aujourd’hui : Le lien entre le Saint-Esprit et l’identité.
Dans les Actes, chaque témoin de la scène, quel que soit son origine entend les œuvres grandioses de Dieu dans sa langue maternelle. Tous s’étonnent et se posent la question : En grec, littéralement « Comment se fait-il que nous les entendions dans notre propre dialecte dans lequel nous avons été engendrés » ?
Comme pour dire que lorsque le Saint-Esprit souffle, il emploie la langue de mon intimité qui parle au plus profond de moi-même, il touche au cœur. Cette langue avec laquelle j’ai grandi, qui a forgé mon identité, cette langue avec laquelle j’ai appris à découvrir et à décrire le monde qui m’entoure.. Et ce récit met en scène pas moins de 16 langues différentes, 16 sensibilités, 16 rapports au monde différents… et en réalité bien plus puisque ce sont les cœurs d’une multitude, nous dit le texte, qui entendent ce message inédit et inouï de l’Evangile.
Chaque dialecte façonne une façon singulière de voir le monde. Nous sommes des êtres de parole et c’est par le langage propre à chacun que notre pensée complexe peut se dessiner. Aussi, la langue que je parle, celle avec laquelle je déploie ma pensée, influence grandement ma compréhension du monde. … Il est bon de garder cela en tête d’ailleurs lorsque nous lisons les textes bibliques.
Rien qu’en cotoyant l’hébreu ancien, langue d’écriture de l’Ancien Testament et le grec ancien, langue du Nouveau Testament, nous pouvons voir s’ouvrir sous nos yeux des mondes d’une richesse extraordinaire.
Prenons quelques instants si vous le voulez bien pour vous faire toucher du doigt cela.
L’Hébreu fonctionne sur un système de racine de trois consonnes, 3 lettres. Chaque mot a une racine de trois lettres à laquelle s’ajoute d’autres éléments.. comme des préfixe ou des suffixes..
Le verbe « souffler » par exemple la racine ב-ש-נ) Noun-Shin-Bet).NASHAV tout le champ lexical autour de ce verbe se déploie à partir de cette racine de trois lettres : écoutez bien
ב ַׁשָנ) nashav) : Verbe signifiant « souffler » (forme de base au passé).
- ב ֵׁושֹנ) noshev) : « Soufflant » (participe présent, masculin singulier).
- « souffler de action « : neshiva (נְ שִׁ יבָ ה )
- « ventilation « : neshivut (נְ שִׁ יבּות )
- « respiration « : nishuv (נִׁ ּׁשּוב )
- ב ֵׁשַּׁׁנ ְת ִׁה (hitnashév) : « Se rafraîchir » ou « prendre l’air » (forme réfléchie du verbe).
Le Grec quant à lui, fonctionne de façon tout à fait différente sur un système de cas et décline les mots dans la phrase selon leur fonction. Comme en allemand pour celles et ceux qui parlent l’Allemand. Nominatif, accusatif, datif, génitif…
L’ordre dans lequel on place les mots est donc relativement libre en raison de ce système de cas, bien que l’ordre sujet-objet-verbe soit courant. L’ordre des mots est souvent utilisé pour mettre l’accent sur certains éléments de la phrase.
En grec, il y a trois genres : masculin, féminin et neutre. Le genre des noms influence les formes des adjectifs et des articles qui les accompagnent.
Vous l’aurez compris, entre l’hébreu et le grec, ce sont deux langues, deux systèmes de pensées extrêmement différent. D’ailleurs en hébreu, [diapo] le Saint Esprit est un nom féminin ! Ruah ! en Grec, c’est du neutre ! Pneuma.. vous imaginez la conséquence que cela peut avoir dans la façon de se représenter Dieu ?
J’arrête là ce petit aperçu des langues bibliques mais j’espère que je vous aurai donné un peu envie de vous y plonger !
1ère idée donc : Le Saint-Esprit souffle dans la langue de notre intimité, s’adaptant à nos catégories mais on sait aussi qu’il les dépasse ! C’est le cas dans les langages universels non verbaux comme la musique, la peinture, ou toute forme d’art, canal particulièrement emprunté par le Saint Esprit.
Allons voir maintenant du côté de l’apôtre Paul dans l’Epitre aux Romains qui fait quand à lui un lien direct entre l’Esprit Saint et l’identité reçue d’enfant de Dieu. Il affirme que c’est le Saint-Esprit qui me révèle ma véritable identité, d’enfant du Père qui nous rend frères et soeurs. En insistant sur le fait que c’est un Esprit de libération. : « Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père »
L’Esprit ne me conduit pas à la servitude mais à l’adoption filiale. En me disant de qui je suis le Fils, la fille, l’Esprit me permet de me connaitre.
Cette parole sur l’identité nous convoquent aujourd’hui, je le crois, en tant que chrétiens, en tant qu’Eglise à vivre et à appeler d’autres à vivre de cette liberté!
Elles nous engage, cette parole, à lutter contre toute forme de repli sur soi, de repli identitaire, de rejet de l’autre au nom de cet Esprit de Pentecôte qui respecte et restaure toutes nos identités et empêche que l’une prenne le dessus sur l’autre.
Ils sont si rares les lieux aujourd’hui ou peuvent se rencontrer celles et ceux qui ne parlent pas la même langue, qui ne vivent pas dans le même monde. Le chef d’entreprise, l’aide-soignante, le musicien, l’agriculteur, le sans-papier, la bretonne depuis des générations, la célibataire, le couple, le divorcé, la remariée, le retraité, l’enfant, l’ado, le croyant, l’agnostique, la chercheuse de sens, l’expatrié, le geek, la poète, l’écolo, le communiste ou le nationaliste…
Le récit de Pentecôte rappelle à l’Eglise qu’elle est appelée à être un lieu qui accueille et assume d’accueillir toute la diversité de la société. Un lieu où je vis avec celui qui ne prie pas comme moi, qui ne mange pas comme moi, qui ne pense pas comme moi. Elle doit absolument je crois toujours résister à la tentation du repli identitaire et de la pensée unique en permettant encore et encore ces rencontres de mondes différents, aujourd’hui plus que jamais ! Pourvu qu’il ne s’agisse pas simplement d’être ensemble dans un lieu mais qu’il y ait véritablement dialogue et connaissance mutuelle… en somme, une vie fraternelle.
Dans notre société où l’on ne se réunit plus que par centre d’intérêt commun, où il est si facile de s’enfermer dans des bulles numériques, où même les algorithmes sont développés pour empêcher d’être confronté à une autre façon de penser. L’Eglise, quand elle valorise la pluralité des parcours, des identités, des paroles est un formidable levier de libération, et même, je le crois, un formidable antidote à la montée des régimes autoritaires et totalitaires.
Mais ne nous y trompons pas, l’Eglise n’est pas à l’abri de tomber elle-même dans ces travers ..
Comment ?
En cédant à la tentation toujours présente de prendre la place de Dieu, la place du Père. Ce qui est le cas je crois lorsqu’elle prêche une parole infantilisante, qui ramène à la peur, cette peur que dénonce Paul. Jesus met en garde dans les Evangiles contre l’hypocrisie des chefs religieux qu’il appelle à l’humilité.
« N’appelez personne sur la terre votre père, car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. » Il insiste que seul Dieu devrait être reconnu comme le Père ultime, soulignant la relation unique et directe que les croyants ont avec Dieu et replaçant par là chaque être humain à égale valeur devant lui.
Oui, L’Eglise n’est jamais à l’abri du risque de la dérive sectaire, elle y est même probablement la plus exposée.
Rappelons nous « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » (2 Corinthiens 3:17) Notre Père aimant nous veut libres et responsables devant lui.
Réjouissons-nous, car comme disciples du Christ, nous avons reçu un équipement spirituel par le Saint Esprit. Afin que la peur ne nous domine pas, de nous fige pas et que nous puissions apporter l’Espérance, et l’incarner dans nos vies.
A chacun et chacune de se faire caisse de résonnance de cet Esprit de Vie qui le traverse. L’accueillir et le laisser circuler entre moi et l’autre pour vivre en êtres réconciliés malgré ce qui pourrait nous diviser.
Le Seigneur nous envoie annoncer l’amour de Dieu à toutes les nations, dans la confiance que le Saint-Esprit saura s’adresser à chacune à chacun dans sa langue, dans la singularité de son histoire. L’Esprit Saint, dans la rencontre, opère ce miracle.
Gloire à Dieu !